« Les revenants de l’impossible amour », à revoir.

— Par Roland Sabra —

Ne chantez pas la Mort, c’est un sujet morbide
Le mot seul jette un froid, aussitôt qu’il est dit
Les gens du show-business vous prédiront le bide
C’est un sujet tabou… Pour poète maudit
La Mort… La Mort…
Je la chante et, dès lors, miracle des voyelles
Il semble que la Mort est la sœur de l’amour
La Mort qui nous attend, l’amour que l’on appelle
Et si lui ne vient pas, elle viendra toujours
La Mort… La Mort…

Jean-Roger Caussimon

A l’entrée dans la salle, la scène est close, laissant dépasser en bordure quelques miniatures de tombes. En sourdine des chants, des mots, des cris, fusent par instant, incompréhensibles, et quand le rideau se lève il découvre une atmosphère de brumes nocturnes dans laquelle se noient quelques sépultures ornées de gigantesques croix papistes plus ou moins tordues au milieu desquelles on finit par apercevoir un pauvre bougre dépenaillé, armé d’une pelle, fossoyeur supposé, qui se terre et qui soliloque. Il est, Jean-Simon Brutus, une figure de Baron Samedi, à l’origine avec son épouse, Dame Brigitte, de la famille des Guédé, ces incarnations des esprits de la mort dans le vaudou haïtien. Il se situe à l’entrée des cimetières et décide qui peut rentrer ou non dans le monde des morts. Elle, Manman Brigit, protège les pierres tombales et les cimetières, à condition qu’ils soient convenablement pourvus de croix. Elle boit du jus de piment et emploie un langage obscène. Les dieux n’étant que le reflet que de la représentation que les hommes ont d’eux-mêmes, Baron Samedi et Gran’n Brigitte vont s’aimer, se déchirer, s’attirer, se repousser. Elle va surgir sur le plateau, du coté jardin, magnifiquement parée de coiffes et de tulles, autoritaire, méprisante, dictatoriale, vis à vis d’un Jean-Simon Brutus soumis et tyrannisé. Les figures des personnages sont dans une opposition si caricaturale que le spectateur comprend immédiatement qu’il va assister à un renversement des relations de pouvoirs, à un basculement des rapports de domination et son intérêt va donc se porter sur la manière dont cela va se faire sur les registres de l’amour et du sexe, du public et du privé, de politique et de l’intime. Vont se mettre en jeu des forces occultes, des ébats passionnés, pervers, enragés, où le désir de vie et de mort se mêlent et se démêlent surdéterminés dans des rapports de classe et d’intersexe inextricables.

Le parti pris de mise en scène consiste à faire épouser au plus près le texte par le jeu des comédiens. Mais qui trop embrasse mal étreint. On bascule par moment du côté de la bande dessinée dans un processus d’illustration de l’écrit, amplifiée par une diction très saccadée, qui enveloppe le texte au point de sembler vouloir l’étouffer. Et le texte résiste de toutes ses forces, et il en a en réserve, comme parasité par la monstration dont il est l’objet.

Rita Ravier, danseuse, comédienne, fidèle à ses talents incarne une Grann Brigitte orageuse, voltaïque, galvanisée, forte et fragile à la fois. Les chorégraphies qu’elle insère dans le propos sont une belle respiration qu’elle propose au public comme une offrande amoureuse et Ndy Thomas, comédien, chanteur, psychothérapeute par ailleurs, lui donne la réplique avec la foi du charbonnier.

Un mention particulière pour la création musicale de Daniel Dantin et Ghassen Fendri qui accompagne avec sobriété, discrétion et force pour autant le fil un peu convenu cependant du spectacle.

Vladimir Delva, comédien, metteur en scène, lauréat de l’appel à projet de la SACD « Écrire pour la rue » 2020, haïtien du même age que Faubert Bolivar avait le projet de mettre, lui aussi, en scène « Les revenants d’un impossible amour ». Il a été pour ce faire en résidence d’écriture dans le sud Luberon pendant 5 semaines entre avril et juin 2021. On ne sait si ce projet a pu être mené à bien. Si c’est le cas il serait très intéressant de pouvoir le voir et comparer avec le travail de Jean-Erns Marie-Louise.

Fort-de-France le 17/03/2022

R.S.