« Les mots de l’information / 60 termes clés – 2023 », un remarquable outil rédactionnel à la portée de la presse en Haïti

— Par Robert Berrouët-Oriol, linguiste-terminologue —

À la mémoire d’André Vilaire Chery, rédacteur d’ouvrages lexicographiques

de haute qualité scientifique et auteur

du Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti

(tomes 1 et 2, Éditions Édutex, 2000 et 2002).

Au cours du mois de janvier 2023, la Commission d’enrichissement de la langue française a publié « Les mots de l’information / 60 termes clés – 2023 », un livret de 33 pages dont le contenu lexicographique était déjà accessible sur le portail France Terme. En raison de ses grandes qualités lexicographiques, cette publication pourrait être mise à contribution au titre d’un efficace outil d’aide à la rédaction –en particulier sur le registre de la traduction français-créole–, parmi les journalistes haïtiens, les professionnels de diverses disciplines, les rédacteurs de manuels scolaires, les enseignants et les étudiants. « Les mots de l’information / 60 termes clés – 2023 » a été publié sous les auspices de la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF), l’un des opérateurs de la Francophonie scientifique et technique. La Commission d’enrichissement de la langue française mène des travaux de terminologie de concert avec d’autres instances de la Francophonie, notamment la Commission de terminologie de l’Office québécois de la langue française. Conformément à son mandat, elle s’attache en particulier à identifier les nouveaux concepts qui apparaissent généralement sous des appellations étrangères, le plus souvent en anglo-américain, puis en créant en français les termes équivalents. Il s’agit là d’un travail de « veille terminologique » qui lui permet d’œuvrer de façon coordonnée à l’élaboration d’une terminologie sûre et cohérente, conforme aux règles de formation des mots en français. Cette terminologie est mise à la disposition des langagiers et des professionnels d’horizons divers afin que les nouvelles notions scientifiques et techniques soient accessibles au plus large public. Les termes créés par la Commission d’enrichissement de la langue française sont publiés au Journal officiel et leur emploi est dès lors obligatoire dans l’Administration publique et dans les établissements de l’État. En vertu d’accords de réciprocité, ces termes sont également accessibles sur les grandes plateformes terminologiques suivantes : le GDT, le Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française ; Termium Plus, la banque de données terminologiques et linguistiques du gouvernement du Canada ; IATE, la base de données terminologiques interinstitutionnelle de l’Union européenne ; ISO OBP, la plateforme de consultation en ligne de l’Organisation internationale de normalisation ; UNTERM, la base de données terminologique multilingue des Nations unies ; TERMDAT, la banque de données terminologique de l’administration fédérale suisse.

Les termes issus des travaux terminologiques de la Commission d’enrichissement de la langue française et ceux provenant de la Commission générale de terminologie et de néologie publiés au Journal officiel sont accessibles gratuitement sur le portail France Terme. Cette Commission publie ainsi au format papier des fascicules qui reprennent les listes de termes, expressions et définitions publiés au Journal officiel, ainsi que l’infolettre « La langue s’enrichit ». Les langagiers haïtiens, les travailleurs de la presse, les enseignants, les étudiants et tous ceux qui effectuent un travail de rédaction en français ou qui doivent traduire des textes du français vers le créole peuvent accéder gratuitement, sur le portail France Terme, au contenu du livret « Les mots de l’information / 60 termes clés – 2023 » ainsi qu’à celui de tous les autres livrets édités par la Commission d’enrichissement de la langue française. Il est utile de rappeler que le portail France Terme rassemble et diffuse les termes reproduits dans chacun des livrets édités par la Commission d’enrichissement de la langue française, et ces livrets couvrent une variété de sujets, entre autres le « Vocabulaire de l’éducation et de la recherche — 2022 », le « Vocabulaire du droit — 2021 », le « Vocabulaire de la santé et de la médecine — 2020 », « Quelques termes de l’information et de la désinformation – 2020 », le « Vocabulaire des techniques de l’information et de la communication — 2017 », le « Vocabulaire de l’audiovisuel et de la communication », etc.

En quoi les termes scientifiques et techniques français issus des travaux terminologiques de la Commission d’enrichissement de la langue française et de la Commission générale de terminologie et de néologie peuvent-ils être utiles à la lexicographie créole, aux traducteurs français-créole, aux journalistes et aux rédacteurs de manuels scolaires en langue créole ?

La réponse adéquate à cette question majeure doit prendre en considération plusieurs facteurs.

Premièrement : dans les domaines de la lexicographie créole, de la traduction scientifique et technique créole et de la terminologie scientifique et technique créole, le tout premier outil de référence fait encore largement défaut. En effet il n’existe pas encore un dictionnaire unilingue créole élaboré selon la méthodologie de la lexicographie professionnelle. Et de manière liée, la lexicographe haïtienne n’a pas encore élaboré le dictionnaire de lexicographie créole rassemblant la terminologie spécifique de la lexicographie créole. (Sur les dictionnaires unilingues créoles, voir nos articles « Le traitement lexicographique du créole dans le « Diksyonè kreyòl Vilsen », Madinin’Art, 23 juin 2020 ; « Le traitement lexicographique du créole dans le « Diksyonè kreyòl karayib » de Jocelyne Trouillot » (Fondas kreyòl, 21 juillet 2022.)

Deuxièmement : dans les domaines de la lexicographie créole, de la traduction scientifique et technique créole et de la terminologie scientifique et technique créole, il n’existe pas encore un référentiel méthodologique unique et standardisé devant guider et encadrer l’élaboration de tous les dictionnaires et lexiques créoles. Nous entendons par référentiel méthodologique unique et standardisé le document normatif auquel se référer et qui comprend les règles et les principes méthodologiques constituant le modèle unique devant guider tous les travaux lexicographiques créoles. Ce référentiel est un guide méthodologique décrivant les différentes étapes du travail terminologique depuis le dépouillement initial des données documentaires jusqu’au traitement lexicographique des données recueillies. Nous avons amplement démontré dans plusieurs articles que le défaut du recours à la méthodologie de la lexicographie professionnelle constitue la plus lourde lacune de la lexicographie créole (voir nos articles « La lexicographie créole en Haïti : pour mieux comprendre le rôle central de la méthodologie dans l’élaboration du dictionnaire créole », Rezonòdwès, 16 décembre 2023 ; « La lexicographie créole en Haïti : retour-synthèse sur ses origines historiques, sa méthodologie et ses défis contemporains », Rezonòdwès, 11 décembre 2023 ; « Créole haïtien : plaidoyer pour un référentiel méthodologique standardisé et unique en terminologie scientifique et technique », Rezonòdwès, 25 février 2023).

Troisièmement : au niveau institutionnel, les universités haïtiennes ne dispensent pas encore une formation spécialisée complète en lexicographie créole, en traduction créole et en terminologie créole. L’enseignement de la lexicographie est plutôt récent en Haïti, il s’insère dans le tronc commun d’une formation généraliste en traduction dispensée à la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti et à l’ISTI, l’Institut supérieur de traduction et d’interprétation.

Quatrièmement : au niveau institutionnel, Haïti n’a pas encore accédé à la professionnalisation du métier de lexicographe ou de traducteur ou de terminologue sanctionnée par un diplôme universitaire. L’une des caractéristiques majeures de cette professionnalisation est la création d’instances institutionnelles qui définissent le cadre normatif et légal d’exercice du métier (exemple : l’Ordre des traducteurs, terminologues et interprètes agréés du Québec).

Cinquièmement : en fonction des quatre facteurs qui précèdent, la lexicographie créole doit rigoureusement viser, parmi ses priorités immédiates, la mise en place d’un dispositif de « veille lexicographique » lui permettant de circonscrire le corpus étendu des documents qu’elle doit dépouiller en vue de la constitution de la nomenclature de base des dictionnaires et des lexiques bilingues français-créole et unilingues créoles. « La veille [lexicographique] » est un processus continu et organisé de sélection, de collecte et d’analyse de l’information [documentaire] dans un domaine particulier qui a pour but de fournir une information pertinente » (source : LEXsic / Dictionnaire des cultures de l’information, n.d.). En lexicographie créole, la « veille lexicographique » consistera donc en un dispositif et en une logistique dont la fonction principale consistera à observer l’apparition, la fréquence et le contexte d’utilisation des termes et à les classer en vue de leur traitement analytique.

Au plan méthodologique, la notion de « corpus étendu » est de toute première importance car le corpus est le point de départ de toute recherche lexicographique rigoureuse. « L’acception de « corpus » pour un usage propre au domaine de la linguistique, en tant qu’« ensemble de textes établis selon un critère thématique en vue de leur étude linguistique » est attestée depuis 1855, mais il n’entre dans les dictionnaires français que plus d’un siècle plus tard (1968, pour la première attestation lexicographique). Depuis, les dictionnaires proposent généralement deux acceptions pour « corpus » : la première proviendrait de la langue du droit — « Recueil de pièces, de documents concernant une même discipline » —, la seconde de la linguistique — « Ensemble limité des éléments (énoncés) sur lesquels se base l’étude d’un phénomène linguistique » (Le Petit Robert, 1989) » (voir Eliana Magnani : « Qu’est-ce qu’un corpus ? Compte-rendu de la journée d’études – 2017 » paru dans Les carnets de l’IRHT, octobre 2017). L’identification du corpus étendu, constitué de l’ensemble des sources documentaires identifiées durant la « veille lexicographique », permet au lexicographe d’élaborer la nomenclature de base des dictionnaires et des lexiques bilingues français-créole et unilingues créoles. La nomenclature regroupe l’ensemble des termes identifiés et retenus à l’étape initiale du dépouillement des sources documentaires et habituellement ces termes sont classés par ordre alphabétique. C’est à défaut d’avoir rigoureusement mis en application ces principes de base de la méthodologie de la lexicographie professionnelle que de nombreux dictionnaires et lexiques créoles se sont révélés lourdement lacunaires, déficients et inadéquats.

L’une des caractéristiques majeures du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » est précisément le recours systématique à un corpus étendu en amont de son élaboration. En effet cet ouvrage est un dictionnaire généraliste unidirectionnel qui, parce qu’il cible les écoliers haïtiens scolarisés dans l’École fondamentale –et parce qu’il a été conçu comme un dictionnaire scolaire et d’apprentissage–, est une adaptation pour Haïti d’« un grand nombre de références Hachette (…) réécrites en relation avec les réalités haïtiennes (histoire, géographie, vie sociale, etc.) plus familières à l’élève ». La mention qualifiante « adaptation pour Haïti » (« Préface », page 6), conforme au projet éditorial de l’ouvrage, est essentielle au plan de la méthodologie d’élaboration de ce dictionnaire car elle précise que le corpus à partir duquel la nomenclature a été élaborée provient d’un autre dictionnaire, à savoir le « Hachette Juniors ». Le recours à un corpus étendu est donc en lien direct avec le projet éditorial de l’ouvrage, le corpus à partir duquel il a été élaboré n’est pas tombé du ciel : il provient d’une version antérieure à 1996 du « Dictionnaire Hachette Juniors » sous le régime d’une entente institutionnelle entre les deux éditeurs, Deschamps et Hachette. Dans ses différentes éditions d’une année à l’autre le « Dictionnaire Hachette Juniors » comprend en moyenne 25 000 mots et expressions du français commun, 1 000 noms propres et 2 000 illustrations. L’adaptation haïtienne, par choix éditorial, a extrait de ce corpus originel des termes du français commun auxquels ont été ajoutés des termes du français régional d’Haïti, soit un total de 15 000 entrées consignées dans le « Dictionnaire de l’écolier haïtien ». Le choix de ce corpus originel est également un indice de qualité : les termes et les définitions retenus figurent déjà dans un ouvrage conçu selon les normes de la lexicographie professionnelle et dans la tradition de rigueur lexicographique des dictionnaires Hachette dont l’« ancêtre » a vu le jour en 1980. La confection de la nomenclature s’est donc effectuée selon un double mouvement explicité dès la « Préface » puisque le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » « (…) réalise un juste équilibre entre deux exigences pédagogiques complémentaires : assurer l’ouverture mentale du petit Haïtien sur le monde, tout en inscrivant son apprentissage de la langue dans son environnement socio-culturel particulier ». (Pour une meilleure connaissance de l’histoire des dictionnaires dénommés dictionnaires pédagogiques ou scolaires ou d’apprentissage, voir Chantal Lambrechts, « La conception éditoriale d’un dictionnaire pédagogique », Presses de l’Université de Montréal, 2005. Pour une connaissance élargie de la méthodologie d’élaboration des dictionnaires pour enfants apparus au début des années 1950, voir Micaela Rossi (Università degli Studi di Genova, Italia), « Dictionnaires pour enfants en langue française / L’accès au sens lexical ». Dans cette magistrale thèse de doctorat soutenue en 2001, l’auteure retrace l’histoire des dictionnaires pour enfants, elle analyse « la structure d’un dictionnaire scolaire », « la présentation et organisation de la nomenclature », « les pratiques définitionnelles dans les dictionnaires pour enfants », etc. De la même auteure, voir aussi l’article « Dictionnaires pour enfants et accès au sens lexical – Pour une réflexion métalexicologique » (euralex.org, 2004).

Les tableaux 1 et 2 consignés ci-après présentent un échantillonnage de dictionnaires et de lexiques élaborés en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle puis ceux qui ont été confectionnés selon le protocole de la méthodologie de la lexicographie professionnelle. Ces tableaux présentent d’une part les ouvrages qui n’ont pas eu recours à un « corpus étendu » en amont de l’élaboration de leur « nomenclature » et, d’autre part, ceux qui ont été élaborés à partir d’un « corpus étendu ».

TABLEAU 1 – Échantillon de dictionnaires et lexiques élaborés en dehors de la méthodologie de la lexicographie professionnelle

Titre

Auteur

Année de publication

Éditeur

  1. Diksyonè kreyòl Vilsen 

Maud Heurtelou, Féquière Vilsaint

1994

Éduca Vision

  1. Diksyonè kreyòl karayib 

Jocelyne Trouillot

2003

Éditions CUC Université Caraïbe 

  1. Glossary of STEM terms from the MIT – Haiti Initiative [Lexique]

MIT – Haiti Initiative 

Non daté

[ 2015 ? ]

MIT – Haiti Initiative 

  1. Petit lexique du créole haïtien

Emmanuel Védrine

1995

E.W. Vedrine Publications

La lexicographie créole, toutefois, a su au cours des ans élaborer des dictionnaires et des lexiques en conformité avec les principes de base de la méthodologie de la lexicographie professionnelle. En voici un échantillon provenant des données contenues dans notre « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 » (Le National, 21 juillet 2022).

TABLEAU 2 – Ouvrages lexicographiques (lexiques et dictionnaires) élaborés

en conformité avec la méthodologie de la lexicographie professionnelle

(11 ouvrages sur un total de 75 publiés entre 1958 et 2022)

Titre

Auteur

Date

Éditeur

1- Ti diksyonnè kreyòl-franse

Henry Tourneux, Pierre Vernet et al.

1976

Éditions caraïbes

2- Haitian Creole-English-French Dictionnary (vol. I, vol. II)

Albert Valdman et al.

1981

Creole Institute, Bloomington University

3- Petit lexique créole haïtien utilisé dans le domaine de l’électricité

Henry Tourneux

1986

CNRS – Cahiers du Lacito

4- Diksyonè òtograf kreyòl ayisyen

Pierre Vernet, B.C. Freeman

1988

Sant lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti

5- Dictionnaire préliminaire des fréquences de la langue créole

Pierre Vernet, B.C. Freeman

1989

Sant lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti

6- Dictionnaire inverse de la langue créole haïtienne/ Diksyonè lanvà lang kreyòl ayisyen

B.C. Freeman

1989

Sant lengwistik aplike, Inivèsite Leta Ayiti

7- Dictionnaire de l’écolier haïtien

André Vilaire Chery

1996

Hachette-Deschamps/ÉDITHA

8- Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti (tome 1)

André Vilaire Chery

2000

Éditions Édutex

9- Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti (tome 2)

André Vilaire Chery

2002

Éditions Édutex

10- Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary

Albert Valdman

2007

Creole Institute, Bloomington University

11- English-Haitian Creole Bilingual Dictionnary

Albert Valdman, Marvin D. Moody, Thomas E. Davies

2017

Creole Institute, Bloomington University

NOTE / Ces dictionnaires et lexiques de grande qualité scientifique mettent tous en œuvre le même cadre méthodologique qui consiste (1) à définir le projet éditorial et les usagers-cibles visés ; (2) à identifier les sources du corpus de référence en vue de l’établissement de la nomenclature ; (3) à procéder à l’établissement de la nomenclature des termes retenus à l’étape du dépouillement du corpus de référence ; (4) à procéder au traitement lexicographique des termes de la nomenclature et à la rédaction des rubriques dictionnairiques (définitions, notes explicatives, notes contextuelles, catégorisation grammaticale des termes placés en « entrée » en ordre alphabétique et s’il y a lieu mention de l’aire géographique d’emploi du terme). Le même cadre méthodologique est mis en œuvre dans l’élaboration des lexiques bilingues (qui ne comprennent pas de définitions des termes) et pour la confection des vocabulaires spécialisés en néologie scientifique et technique. Sur le plan méthodologique, les ouvrages identifiés au tableau 2 ont été élaborés dans la stricte observance du critère de l’exactitude de l’équivalence lexicale conjoint à celui de l’équivalence notionnelle : c’est le critère majeur placé au centre de toute démarche lexicographique et terminologique. (Sur la problématique de l’équivalence lexicale et terminologique, voir Annaïch Le Serrec : « Analyse comparative de l’équivalence terminologique en corpus parallèle et en corpus comparable : application au domaine du changement climatique », thèse de doctorat, Université de Montréal, avril 2012 ; voir aussi Robert Dubuc, enseignant émérite de traduction et de terminologie à l’Université de Montréal et auteur du « Manuel pratique de terminologie » (Éditions Linguatech, 2002). Il nous enseigne que « Deux termes sont dits équivalents s’ils affichent une identité complète de sens et d’usage à l’intérieur d’un même domaine d’application. (…) Il y a équivalence même si chaque langue n’envisage pas la même notion sous le même angle »). Les dictionnaires anglais-créole élaborés par le linguiste-lexicographe Albert Valdman et ses équipes se situent tous au sommet de la lexicographie créole en raison de leur rigueur scientifique et de leur ancrage systématique sur le socle de la méthodologie de la lexicographie professionnelle : ils appartiennent de la sorte à la grande famille des dictionnaires majeurs de la langue usuelle réputés pour leur fiabilité (Le Robert, Le Larousse, USITO, Le Littré, le Oxford English Dictionary, le Oxford Advanced American Dictionary, El Diccionario de la lengua española de la Real Academia española, etc.).

Sur la base des 4 critères de la méthodologie de la lexicographie professionnelle que nous venons de rappeler, notre évaluation des dictionnaires élaborés par Albert Valdman et par le lexicographe haïtien André Vilaire Chery permet d’exposer que ces ouvrages constituent LE MODÈLE NORMATIF STANDARD dont doit s’inspirer toute la lexicographie haïtienne contemporaine (voir nos articles « Le « Dictionnaire de l’écolier haïtien », un modèle de rigueur pour la lexicographie en Haïti » (Le National, 3 septembre 2022), et « Toute la lexicographie haïtienne doit être arrimée au socle méthodologique de la lexicographie professionnelle » (Le National, 29 décembre 2022) ; « Lexicographie créole : revisiter le « Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary » d’Albert Valdman » (Le National, 30 janvier 2023),

L’œuvre d’André Vilaire Chery, un modèle de rigueur lexicographique 

En quoi les termes scientifiques et techniques français issus des travaux terminologiques de la Commission d’enrichissement de la langue française et de la Commission générale de terminologie et de néologie peuvent-ils être utiles à la lexicographie créole, aux traducteurs français-créole, aux journalistes et aux rédacteurs de manuels scolaires en langue créole ? Formulée au début du présent article, cette question a fait l’objet d’une réponse qui offre un éclairage sur plusieurs points, notamment par le rappel des ouvrages lexicographiques haïtiens élaborés en conformité avec la méthodologie de la lexicographie professionnelle (tableau 1) et par le rappel des critères de base de la méthodologie de la lexicographie professionnelle.

Des éléments complémentaires de réponse à cette question majeure sont également attestés à l’aune des apports scientifiques du lexicographe André Vilaire Chery et nous verrons combien sa démarche lexicographique, au plan méthodologique, est identique à celle de la Commission d’enrichissement de la langue française qui a élaboré « Les mots de l’information / 60 termes clés – 2023 ».

Décédé le 26 juillet 2022, André Vilaire Chery a enseigné à la Faculté de linguistique appliquée et à l’École normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti. Il a été responsable de l’adaptation pour Haïti du « Dictionnaire Hachette juniors » paru à Port-au-Prince sous l’appellation de « Dictionnaire de l’écolier haïtien » chez Hachette-Deschamps en 1996. Cet ouvrage comprenant 15 000 entrées fut élaboré par l’équipe d’André Vilaire Chery en étroite collaboration avec celle dirigée par le linguiste Pierre Vernet à la Faculté de linguistique appliquée. Durant son parcours de lexicographe, André Vilaire Chery a contribué à l’élaboration du « Dictionnaire universel francophone » édité par Hachette ÉDICEF/AUPELF-UREF en 1997. Le « Dictionnaire universel francophone » a été intégré au monumental « Dictionnaire des francophones », le DDF, accessible gratuitement sur Internet. Cet ouvrage numérique et collaboratif lancé en 2021 comprend aujourd’hui près de 480 000 mots et locutions et 620 000 définitions qui reflètent les divers usages du français à travers le monde (voir notre article « Le DDF, « Dictionnaire des francophones », un monumental répertoire lexicographique de 400 000 termes et expressions accessible gratuitement sur Internet », Médiapart, 22 mars 2021). Plusieurs termes du français haïtien sont répertoriés dans le « Dictionnaire des francophones » : « acra », « cassave », « rigoise », « malandrin », « zenglendo », « macoute »…

André Vilaire Chery est également l’auteur du rigoureux « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti » (tomes 1 et 2, Éditions Édutex, 2000 et 2002). Cet ouvrage est paru avec le concours du Bureau caraïbe de l’AUF, l’Agence universitaire de la Francophonie, ainsi que de celui de la FOKAL. Dans Le National du 29 juillet 2022, nous avons exposé les grandes qualités méthodologiques de ce dictionnaire sous le titre « Le « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti » d’André Vilaire Chéry, un riche héritage ».

Intellectuel érudit, essayiste au regard affûté, André Vilaire Chéry a aussi publié « Le chien comme métaphore en Haïti – Analyse d’un corpus de proverbes et de textes littéraires haïtiens » (Éditions ETHNOS, 2004), et de « Haïti, que faire ? – Une allégorie pour notre temps (essai-fiction) » (Éditions ETHNOS, 2013). 

Comme nous l’avons démontré dans l’article « Le « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti » d’André Vilaire Chéry, un riche héritage », le rigoureux « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti » constitue une exceptionnelle contribution à la lexicographie haïtienne et à la description du français haïtien contemporain. Partie intégrante de notre patrimoine linguistique historique, la variété régionale de français en usage en Haïti, le français haïtien, a fait l’objet d’un livre collectif fort instructif dirigé par le linguiste Renauld Govain, doyen de la Faculté de linguistique appliquée : « La Francophonie haïtienne et la Francophonie internationale : apports d’Haïti et du français haïtien » (Éditions Jebca, 2021). – (Sur la notion de « français régional », voir l’article du linguiste Jean-Claude Corbeil, « Le ‘’français régional’’ en question » paru dans « Contacts de langues et de cultures, Cahiers de l’Institut de linguistique de Louvain, vol. 9, no 3-4, 1984. Voir aussi Marie-Madeleine Bertucci, « Vers une conceptualisation de la notion de « français régional » : de la dialectologie à la sociolinguistique », revue Mots / Les langages du politique, 120 | 2019 Sur la notion de « français régional d’Haïti », voir Pradel Pompilus, « Approche du français fondamental d’Haïti, le vocabulaire de la presse haïtienne contemporaine », Port-au-Prince, Faculté de Linguistique Appliquée, Université d’État d’Haïti, 1983.)

Le « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti » (tomes 1 et 2, Éditions Édutex, 2000 et 2002) ainsi que le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » paru chez Hachette-Deschamps en 1996 sont des ouvrages rigoureux tant au plan méthodologique qu’à celui du contenu lexicographique. Dans notre article « Le « Dictionnaire de l’écolier haïtien », un modèle de rigueur pour la lexicographie en Haïti » (Le National, 3 septembre 2022), nous avons fourni un ample éclairage sur les qualités de ce dictionnaire scolaire attestant qu’il a été élaboré selon le protocole méthodologique de la lexicographie professionnelle, à savoir : (1) l’identification du projet éditorial et la présentation de la méthodologie d’élaboration du dictionnaire ; (2) l’établissement du corpus dictionnairique de référence ; (3) la confection de la nomenclature et le nombre de termes retenus ; (4) le traitement des données lexicographiques présentées à la suite des « mots-vedettes » (les entrées classées en ordre alphabétique dans les rubriques : les définitions, les contextes définitoires et les notes illustratives). Le traitement des données lexicographiques du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » illustre avec clarté combien le protocole rédactionnel conforme à la méthodologie de la lexicographie professionnelle occupe une place centrale dans le travail d’André Vilaire Chery.

TABLEAU 3 – Exemple de modélisation des rubriques

du « Dictionnaire de l’écolier haïtien »

Terme + catégorie lexicale

Indicatif de pays [« Français d’Haïti]

Définition [DEF] et/ou « phrase exemple » [PEX]

Synonyme [SY] ou Antonyme [AN] ou renvoi analogique [REN]

déchouquer v. [sens] 1, 2, 3

FH

[PEX] Le président Jean-Claude Duvalier a été déchouqué le 7 février 1986 : il a été renversé du pouvoir dans une atmosphère de violence (déchouquage sens 1). 2. On a déchouqué la maison de l’ex-Premier ministre, on l’a pillée, ou incendiée en représailles (déchouquage, sens 2). 3. Ce directeur général a été déchouqué : il a été destitué de manière arbitraire par des actions violentes (déchouquage, sens 3).

[Remarque RBO : les sens 1 et 2 du substantif « déchouquage » sont définis à la page 156.]

macoute1 nom f.

FH

[DEF] Grand sac de latanier que le paysan porte en bandoulière et qui sert à divers usages. [PEX] Mon papa a acheté une macoute pour aller au jardin.

Aucun

macoute2 nom m.

FH

[DEF] Nom donné aux membres de la milice créée par François Duvalier. [PEX] Les macoutes s’appelaient officiellement « Volontaires de la sécurité nationale ».

[SY] tonton-macoute. Chercher aussi : milice

[REN] [Remarque RBO : Les termes « milice », « milicien », « milicienne » sont définis à la page 372.]

Dans le « Dictionnaire de l’écolier haïtien », les exemples « déchouquer » (verbe) et « déchouquage » (nom) sont particulièrement intéressants quant à leur « mémoire sémantique » ou à leur « mémoire étymologique », d’autant plus qu’ils ont leurs apparentés lexicaux en créole : « dechouke », « dechoukaj » et « dechoukè ». Sous réserve d’une étude détaillée sur l’étymologie de « déchouquer » et de « déchouquage », on peut déjà noter que les termes français « chouque » / « chouquet » (nom masculin) provenant du normand « chouquet », billot, sont attestés dans Le Larousse avec la définition suivante : « Pièce de bois dur, cerclée de fer, destinée à raccorder deux pièces de mâture ». Sur le site Ortolang du Centre national de ressources textuelles et lexicales de l’Université de Nancy, « chouque » / « chouquet » sont définis, avec le trait « Vx. » pour « vieux », comme étant un « gros billot de bois utilisé par le bourreau pour une décapitation ». Ce site précise que « chouque » est attesté depuis 1835 [?] et que « les marins disent quelquefois, par abréviation, « chouq ». Le locuteur francocréolophone a bien dans son répertoire les termes « chouk » et « chouk bwa », par ailleurs attestés dans le Haitian Creole-English Bilingual Dictionnary d’Albert Valdman (Creole Institute, Indiana University, 2007), qui enregistre les sens 1 et 2 de « chouk » et dirige l’usager vers les termes « chouk bwa » et « chouk dan ». Il semble confirmé que « chouk bwa » est sémantiquement apparenté au terme français « souche » dont l’une des significations est « Le bas du tronc d’un arbre, accompagné de ses racines et séparé du reste de l’arbre. Une grosse souche. Une souche pourrie » (DicoDéfinitions, n.d.). Pour sa part, le Dictionnaire de l’Académie française (9ème édition, 1986 / 1992) consigne que « chouque », attesté au XIVème siècle, « est la forme normanno-picarde de « souche », et que « chouquet » en est le diminutif ». On peut noter que le locuteur francocréolophone a dans son répertoire le terme « choukèt lawouze », mais il faut prendre avec prudence l’ensemble des données se rapportant à ces différents termes. Enfin, dans le monumental Dictionnaire des francophones, qui comprend aujourd’hui 480 000 termes et locutions, le verbe « déchouquer », avec son indicatif de pays, est défini comme suit : sens 1. : « Verbe, transitif. (Antilles) Destituer une personne de son poste. » ; sens 2. : « Verbe, transitif. (Antilles) Extirper, déraciner des arbres, des plantes. Enlever la souche ».

Le dispositif unique de présentation des données lexicographiques de chacune des « rubriques » du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » témoigne lui aussi de la grande qualité scientifique de cet ouvrage. Ainsi, en page 5, il consigne –sur le modèle structurel des grands dictionnaires usuels du français–, un guide méthodologique fort éclairant et utile intitulé « Comment utiliser ce dictionnaire ». Ce guide méthodologique présente et exemplifie la structure et le contenu des données lexicographiques placées à la suite des « mots-vedettes » de l’ouvrage à l’aide de marqueurs, de mentions indicatives et éclairantes : « orthographe (en lettres grasses) », « prononciation », « renvoi aux mots de sens équivalents (synonymes) », « mot de la même famille », « sens figuré », « catégorie grammaticale », « changement de la catégorie grammaticale », « mots qui s’écrivent de la même façon mais qui n’ont pas le même sens », « expression mise en vedette », « indique que le mot (ou le sens) fait partie du français d’Haïti » (il s’agit de l’aire géographique d’emploi du terme ou « indicatif de pays », FH pour « français d’Haïti), etc. 

Les tableaux 3 et 4 éclairent, sur le mode comparatif, que le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » et « Les mots de l’information / 60 termes clés – 2023 » sont deux publications qui ont été élaborées selon le dispositif méthodologique de la lexicographie professionnelle. Ce parti-pris méthodologique s’expose en particulier en ce qui a trait à la formulation (1) des définitions (les traits définitoires sont précis et signifiants) ; (2) des notes (elles sont explicatives et complètent les définitions) ; et (3) des remarques sur l’étymologie des termes.

Le livret « Les mots de l’information / 60 termes clés – 2023 » comprend 33 pages et les « Termes clés » sont classés en quatre rubriques : « Information et désinformation », « Acteurs de l’information et de la désinformation », « De l’information à la communication », et « L’information à l’ère du numérique » suivi d’un « Index », qui est le listage des termes français et anglais rassemblés dans l’ouvrage. Le propos introductif (pages 3 à 13) est de Éric Fottorino, journaliste et romancier. À la page 13 il est précisé que « Les termes sélectionnés dans ce recueil sont issus des publications de la Commission d’enrichissement de la langue française au Journal officiel. Ils sont principalement dus au travail de veille, de définition et de désignation du groupe d’experts chargé de la terminologie et de la néologie de la culture et des médias. Certains termes proviennent d’autres groupes, dont ceux compétents pour le droit, le numérique, les relations internationales ou l’éducation et l’enseignement supérieur ». Les exemples suivants illustrent bien le mode de traitement lexicographique de l’information relative aux termes anglais « podcast » et « fake news », termes couramment employés dans la presse francophone, y compris en Haïti.

TABLEAU 4 – Modélisation de l’information lexicographique pour le terme « podcast » dans le livret « Les mots de l’information / 60 termes clés – 2023

[TERME EN ENTRÉE] audio (à la demande), AAD

[MENTION] au lieu de podcast

[DÉFINITION] Contenu audio mis à la disposition du public dans l’internet. → Lorsque l’audio est une émission de radio préalablement diffusée, on parle également d’« audio en réécoute » ou d’« audio de rattrapage » ; lorsque l’audio est créé spécialement pour l’Internet, on parle d’« audio original » (en anglais : native podcast).

[SOURCE] Journal officiel du 23 mai 2020.

Recommandation sur les équivalents français à donner au terme podcast et à ses dérivés

[NOTE EXPLICATIVE] À partir d’un nom de marque (iPod), créé pour désigner un baladeur numérique, s’est développée en anglais une série lexicale (podcast, to podcast, podcasting), qui s’est francisée dans notre langue essentiellement sous les formes substantive « un podcast » et verbale « podcaster ». Or l’usage de ces termes en français est souvent source de confusion. Il convient de distinguer plusieurs notions :

– le programme audio, couramment désigné aujourd’hui par l’anglicisme « un podcast » ;

– l’action, pour le diffuseur, de mettre à la disposition du public un tel programme (to podcast) ;

– l’action, pour l’auditeur, de télécharger un tel programme, couramment désignée aujourd’hui par l’anglicisme « podcaster », ou de l’écouter ou de le réécouter ;

– enfin le service de diffusion offrant à l’usager la possibilité d’accéder à tout moment à un programme choisi dans un ensemble de titres proposés (podcasting).

La Commission d’enrichissement de la langue française recommande d’utiliser les termes suivants :

audio n.m., audio à la demande (AAD), voire programme ou émission à la demande ;

télécharger, écouter, réécouter ;

service audio à la demande.

[SOURCE] Journal officiel du 23 mai 2020.

TABLEAU 5 – Modélisation de l’information lexicographique pour le terme « fake news » dans le livret « Les mots de l’information / 60 termes clés – 2023

[TERME EN ENTRÉE] infox, information fallacieuse

[MENTION] au lieu de fake news

[DÉFINITION] Information mensongère ou délibérément biaisée. → Une infox peut servir, par exemple, à favoriser un parti politique au détriment d’un autre, à entacher la réputation d’une personnalité ou d’une entreprise, ou à contredire une vérité scientifique.

[SOURCE] Journal officiel du 23 mai 2020

Recommandation sur les équivalents français à donner à l’expression fake news

[NOTE EXPLICATIVE] Portée par l’essor des médias sur la Toile et l’activité des réseaux sociaux, l’expression anglo-saxonne fake news, qui désigne un ensemble de procédés contribuant à la désinformation du public, a rapidement prospéré en français.
Voilà une occasion de puiser dans les ressources de la langue pour trouver des équivalents français. Lorsqu’il s’agit de désigner une information mensongère ou délibérément biaisée, répandue par exemple pour favoriser un parti politique au détriment d’un autre, pour entacher la réputation d’une personnalité ou d’une entreprise, ou encore pour contredire une vérité scientifique établie, on pourra recourir au terme information fallacieuse, ou au néologisme infox, forgé à partir des mots « information » et « intoxication ». On pourra aussi, notamment dans un cadre juridique, utiliser les termes figurant dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse ainsi que dans le code électoral, le code pénal ou le code monétaire et financier : nouvelle fausse, fausse nouvelle, information fausse ou fausse information.
En tout état de cause, la Commission d’enrichissement de la langue française recommande l’emploi, au lieu de fake news, de l’un de ces termes, choisi en fonction du contexte.
[SOURCE] Journal officiel du 4 octobre 2018.

Les équivalents français recommandés par la Commission d’enrichissement de la langue française pour les termes anglais « podcast » (tableau 4) et « fake news » (tableau 5) sont particulièrement éclairants et rigoureusement définis. Ils correspondent, comme nous l’avons précédemment énoncé, au parti-pris méthodologique ayant guidé et encadré la formulation (1) des définitions (les traits définitoires sont précis et signifiants) ; (2) des notes (elles sont explicatives et complètent les définitions) ; et (3) des remarques sur l’étymologie des termes.

C’est précisément sur ces trois registres complémentaires qu’est attestée la conformité au socle méthodologique de la lexicographie professionnelle entre le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » et « Les mots de l’information / 60 termes clés – 2023 ». L’examen du mode d’élaboration de ces deux ouvrages indique qu’ils mettent en œuvre, tous les deux, le même cadre méthodologique qui consiste (1) à définir le projet éditorial et les usagers-cibles visés ; (2) à identifier les sources du corpus de référence en vue de l’établissement de la nomenclature ; (3) à procéder à l’établissement de la nomenclature des termes retenus à l’étape du dépouillement du corpus de référence ; (4) à procéder au traitement lexicographique des termes de la nomenclature et à la rédaction des rubriques dictionnairiques (définitions, notes explicatives, notes contextuelles, catégorisation grammaticale des termes placés en « entrée » en ordre alphabétique et s’il y a lieu mention de l’aire géographique d’emploi du terme).

L’examen comparatif du « Dictionnaire de l’écolier haïtien » et de l’ouvrage « Les mots de l’information / 60 termes clés – 2023 » apporte un éclairage supplémentaire sur l’un des défis majeurs de la lexicographie haïtienne contemporaine, à savoir l’élaboration prochaine d’un référentiel méthodologique unique et standardisé devant guider et encadrer la confection de tous les dictionnaires et lexiques bilingues français-créoles et celle du futur premier dictionnaire unilingue créole conforme à la méthodologie de la lexicographie professionnelle.

Tel que mentionné au début de cet article, le référentiel méthodologique unique et standardisé que la lexicographie haïtienne devra très prochainement élaborer sera un guide méthodologique décrivant les différentes étapes du travail lexicographique depuis le dépouillement initial des données documentaires jusqu’au traitement lexicographique des données recueillies puis consignées dans un dictionnaire unilingue créole ou bilingue français-créole ou bilingue anglais-créole.

Première proposition

Nous plaidons pour que ce référentiel méthodologique unique et standardisé soit élaboré dans un cadre institutionnel, celui de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti qui dispense déjà une formation généraliste en traduction assortie de cours préliminaires de lexicographie. Cela exigera la mise sur pied, à la Faculté de linguistique appliquée, d’un programme de formation spécialisée et complète en traduction/lexicographie. Pour élaborer et mettre en œuvre une telle formation, la Faculté de linguistique appliquée pourrait faire appel à des institutions dépositaires d’une expertise reconnue en lexicographie, notamment l’Université des Antilles (pôle Martinique) et l’Université de Sherbrooke où s’élabore le remarquable dictionnaire USITO.

Deuxième proposition

D’autre part, en amont de l’élaboration du futur référentiel méthodologique unique et standardisé de la lexicographie haïtienne, la Faculté de linguistique appliquée devrait occuper –sur le plan scientifique–, le rôle moteur et directeur de la centralisation d’un futur dispositif de « veille lexicographique » devant assurer la détermination du corpus étendu indispensable à la confection de la nomenclature des futurs dictionnaires créoles, français-créole et anglais-créole. La comparaison entre le « Dictionnaire de l’écolier haïtien » et le livre « Les mots de l’information / 60 termes clés – 2023 » a précisément mis en lumière, dans le déroulé du présent article, la place qu’occupent de manière liée la « veille lexicographique » et la détermination du « corpus étendu » préalable à la fabrication de la « nomenclature » et au traitement lexicographique des termes retenus.

Troisième proposition

Afin de mettre en route le dispositif de « veille lexicographique » devant assurer la détermination du corpus étendu du créole haïtien contemporain, nous plaidons pour la création à la Faculté de linguistique appliquée d’une base de données lexicales (BDL). « Une base de données lexicales est un ensemble de mots (dits entrées lexicales ou données lexicales) catégorisés, c’est-à-dire associés à un certain nombre d’informations, généralement d’ordre linguistique (dites informations lexicales ; par exemple, la catégorie grammaticale et les informations sur le comportement contingent des mots), et organisés en vue de leur utilisation par des programmes informatiques d’analyse de texte. La base de données lexicales sert de source de références et d’informations lors des procédures d’annotation ou de catégorisation des mots d’un texte donné. On parle aussi de dictionnaire électronique » (Mohand Mahrazi et Djamel Nahali, Université de Béjaia, Algérie : « Base de données lexicales : application au Dictionnaire d’électrotechnique français », ; voir aussi Alain Polguere, « Une base de données lexicales du français et ses applications possibles en didactique », Revue de linguistique et de didactique des langues (LIDIL), 21, 2000 ; à propos de la « Base de données lexicographiques panfrancophone (BDLP) », voir l’ample étude du lexicographe québécois Claude Poirier de l’Université Laval, « Une représentation dynamique de la francophonie : la base de données lexicographiques panfrancophone », revue Québec français, 134, 2004).

Montréal, le 5 avril 2024