« Les cinq fois où j’ai vu mon père », texte et m.e.s. de Guy Régis Jr : à ne pas manquer!

Le 26 mars 2022 à 19h Tropiques-Atrium

— Par Roland Sabra —

Le nom du père Guy Régis JR le porte plutôt deux fois qu’une et c’est sans doute pourquoi « Les cinq fois où j’ai vu mon père » est sans doute le texte le plus intime de Guy Régis Jr. Le pré-nom annonce ce qui doit advenir, ce qui n’est pas encore, avant même de différencier les individus au sein de la famille. L’ adjonction de  Jr au nom du père le souligne avec évidence en supposant une re-production forcément imparfaite de ce qui est déjà. C’est une pratique usuelle aux États-Unis mais aussi dans certaines société arabes dans lesquelles le pré-nom porte la mention « fils de » ( Ben…). Si le père n’existe que par ses actes, l’enfant n’est donc, dans ce cas, que le prolongement d’un des actes du père.

L’auteur le dit très clairement dans son « travail, depuis des années, mère, père, fils, fille, défilent, s’entrechoquent indéfiniment. » Il pose la famille comme « clef du problème humain. » Ce n’est donc pas la première fois que Guy Régis Jt aborde plus précisément la question du père. Déjà dans la pièce de théâtre «  Le Père », prix ETC Caraïbe / Beaumarchais  il évoquait son absence et la nécessité de casser le mythe de son retour, de briser l’attente qui perpétue la dépendance, pour pouvoir faire sa vie. Ne peut être absent que ce qui existe ou a existé comme l’écrit la philosophe, écrivaine Éliette Abécassis : « L’absence n’est rien d’autre qu’une présence obsédante. ».

Le père est donc parti comme tant d’autres dans ce mouvement qui s’accélère depuis le dernier quart du siècle dernier, vers les Etats-Unis, le Canada, la France. Et c’est le deuxième axe qui parcourt toute l’oeuvre de Guy Régis Jr : l’émigration avec les thématiques de l’absence, du retour incertain ou provisoire, des envies, des craintes, des espoirs, des jalousies chez ceux qui restent. Son père à lui, c’est aux USA qu’il est allé s’installer comme mécanicien passionné par les belles bagnoles. A dernière fois qu’il l’a vu, il avait douze ans Il ne le reverra qu’à l’âge de trente ans. C’est par cette dernière entrevue que commence la pièce construite comme un compte (un conte?) à rebours à l’inverse de la version romancée. À l’époque il a douze ans, c’est le moment de sa première communion. Impensable pour l’enfant que le père ne soit pas là à cet évènement capital, et il est là comme il l’a toujours été dans la parole de la mère qui toujours l’évoque, le convoque entre elle et ses enfants. Elle leur parle de lui, de ses goûts, de son amour pour la langue française, pour la culture, de la fierté qu’il éprouve devant les réussites de son fils. Elle le fait vivre. Un des plus belles scène de la pièce est la deuxième rencontre vers l’âge de trois ans. Père et mère sont face à face, les yeux dans les yeux, sans un mot, absorbés qu’ils sont dans un échange intense, et l’enfant alors comprend qu’il est le tiers exclu d’une relation qui ne concerne que cette homme et cette femme et qu’il n’est pas le premier dans le désir de sa mère. Une scène nodale qui pose le père comme modèle que le fils suivra. De fait Guy Régis Jr dira dans un entretien qu’il n’a jamais eu l’impression de ne pas avoir de père. Voilà qui est à entendre dans nos sociétés marquées du sceau de la matrifocalité.

La mise en scène de l’auteur est très épurée et le choix de Christian Gonon de la Comédie française est judicieux à plus d’un titre. Il y a d’abord de talent incontestable du comédien à faire vivre, à donner chair avec une grande sobriété au personnage bien réel sur la scène. Et puis le recours à un européen loin de décrédibiliser le propos le dérégionalise, l’universalise en quelque sorte. La fonction du nom du père concerne tout un chacun quand bien même serait-elle portée par un autre que le géniteur.

Il semblerait que Guy Régis Jr, soit tenté de reprendre le rôle ! Qu’il se rassure il est bien présent sur scène avec Christian Gonon comme le public martiniquais pourra le constater le 26 mars prochain. À voir sans faute!

Paris, le 30/01/22

R.S.

EXTRAIT

– Tu m’aimes, c’est vrai ?
– Je t’aime mon enfant. Je t’aime tant. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime. Je t’aime en piles, tu sais.
– Pourquoi, alors, pourquoi je ne te vois pas ?
– Je ne sais pas mon enfant. Je ne sais pas. Mais je t’aime.
– Tu m’aimes.
– Oui, je t’aime. Je t’aime en piles.
– Et ma maman, tu l’aimes aussi ?
– Mon enfant. On ne parle pas de ces choses-là. De ta mère. Elle ne sait pas ce qu’elle veut. Un jour, peut-être, je t’expliquerai
PRODUCTION NOUS Théâtre
COPRODUCTION Théâtre Ouvert Centre National des Dramaturgies Contemporaines, l’Artchipel – Scène Nationale de Guadeloupe, Tropiques Atrium – Scène Nationale de Martinique.
Avec le soutien financier de l’Institut français à Paris, , la DRAC Île-de-France, la Région Île-de-France, la Ville de Paris. Et le soutien de la Comédie Française, du Théâtre de la Tempête, du Théâtre des Doms, de l’ONDA, de la Radio Métropole et de la Radio Haïti Inter
D’après Les cinq fois où j’ai vu mon père de Guy Régis Jr ©Éditions Gallimard
Ce texte est lauréat de l’Aide à la création de textes dramatiques – ARTCEN