« Visages », exposition organisée par Entre Nous & Co

Jusqu’au 30 avril 2022

— Par Marie Gauthier —

« Le portrait a une cause dans le modèle », 

Jean-Louis SCHEFER (Images peintes, 1998).

Le visage est exclusivement ce qui se voit de la face humaine ; le portrait, ce que l’artiste met en place pour sa représentation. Partie antérieure de la tête, le visage, par les yeux et la bouche, joue un rôle primordial dans la figuration du portrait. Faire le portrait de quelqu’un, c’est soumettre à la vue son apparence extérieure reconnaissable. C’est l’inscrire dans le temps, en rappelant que sa présence réelle a eu lieu. Le portrait tout en affirmant la singularité identifiable d’une personne, signale donc une absence. Il la garde en mémoire, la fige dans le temps. Toute figure révèle des expressions, un âge, un genre, une histoire, un contexte, un imaginaire, mais aussi quelque chose d’intemporel.

Bien que l’apparence du modèle soit l’une des priorités, le portrait ne peut ignorer l’intériorité du sujet. Sa représentation n’est pas seulement identitaire, sociale, historique, il implique l’expression de ce qui individualise le modèle : psychologie, sentiments, imaginaire. « Le visage parle ! », écrit Emmanuel Lévinas1. De quoi nous parle-t-il ? Le silence du portrait est remplacé par ce qu’on peut en dire, c’est-à-dire ce qui reste lorsqu’on ne peut plus s’adresser à la personne figurée. Le portrait rend visible l’invisible du visage. De nombreux indices évoquent, à la surface de l’œuvre, quelque chose de l’irreprésentable de l’être. Et Jean-Luc Nancy dit de cet infigurable « qu’il est à la fois propre à chacun et commun à tous »2. Le mystère de notre dimension humaine intime transparaît dans l’incertitude de ce que nous sommes profondément.

Le regard du portrait, plus encore, nous interpelle et rappelle notre commune appartenance à l’humanité. Notre regard rencontre le regard de l’Autre qui m’invite à imaginer sa singularité, mais aussi à me reconnaître en lui. Le portraituré me regarde, m’interroge sur ma propre vérité, sur l’écart et la ressemblance. Ça me regarde !3

Tous les portraits ensemble ne constituent-ils pas le corps du monde et la substance de l’être ? Ils font apparaître le visage de notre humanité dans la diversité qui appelle à la reconnaissance de l’autre, semblable et différent. Chacun peut se reconnaître dans l’humanité de l’autre. Le portrait infuse nos questions, poétise nos doutes, sublime nos regards. Il exprime nos rêves, nos croyances, nos désirs de connaître et de sonder l’inconnu. Il continue de nous interpeler, de nous inquiéter ou de nous rassurer.

Chacun avec leur technique – dessin, peinture, sculpture, photographie – les artistes de cette exposition donnent leur vision de ce que peut signifier, au-delà du portrait, le visage : l’affirmation de l’identité (genre, âge, physionomie), les sentiments éprouvés, le souvenir des ancêtres, la joie spontanée de l’enfance, les humeurs changeantes, ce que devient l’humain dans le désastre de la guerre ; et de manière plus universelle : l’intemporel, l’imaginaire, l’intériorité, l’interrogation devant le mystère de ce que nous sommes, la quête d’une dimension spirituelle.

Faisant l’éloge et la fierté du métissage caribéen, Mickaël CARUGE peint des visages féminins solaires, la chevelure en auréole, le tout en gris et lumière.

MOEY se présente dans deux autoportraits photographiques en noir et blanc, où les éléments naturels jouent de leur esthétique d’accessoires pour masquer ou maquiller le visage. La nature a même valeur que le corps. Entre sujet et objet, l’artiste s’affirme au-delà du genre.

Victor ANICET et Martine BAKER présentent des têtes en terre cuite, qui pour l’un remémore l’histoire quasi oubliée des Amérindiens, pour l’autre interrogent le sens à vivre.

Certains artistes réalisent des portraits de groupes. Claude CAUQUIL révèle la spontanéité et la joie de l’enfance, ainsi que la demande d’amour, par des couleurs très joyeuses ou des valeurs de gris lumineuses. JULI.A exprime par un dessin très touffu, en grisaille, la difficulté de s’extirper des ruines et de l’horreur de la guerre. Ne pas perdre la figure humaine, c’est garder l’humanité.

Les portraits de Christophe MERT cadrent des têtes de profil. Métaux rouillés, découpés, recyclés servent à inscrire le temps long de la mémoire en ruine, en opposant l’aujourd’hui des mots prélevés dans le papier fragile des journaux.

Vincent GAYRAUD expose un seul grand dessin à plusieurs visages de profil, comme autant de facettes de la personnalité. L’effet fragmentaire exprime les strates des émotions, des âges, des humeurs toujours changeantes du vivant.

Plusieurs artistes donnent priorité à l’intériorité et à l’infigurable. Marie GAUTHIER dans ses autoportraits « retirés », offre une dimension non verbale de l’imaginaire, source du désir, de la créativité et de la connaissance. MAURE présente une œuvre picturale abstraite, une tête sans traits, dans un environnement flou, L’infini du Soi exprime une quête d’absolu. HAMID, quant à lui, dans son dessin Les Yeux baissés, nous invite au recueillement et à la méditation.

Pierre MONTAGARD (artiste invité) rend hommage à Marceline, portrait de la solitude, mémoire mélancolique d’une âme.

À l’époque des selfies, et à l’instar de ces artistes plasticiens, ce thème du visage nous invite à réfléchir sur ce que nous sommes et sur ce que nous partageons : les valeurs d’humanité, l’expression de la diversité humaine, du respect des différences, des valeurs spirituelles, des rêves liés à l’avenir de la nature.

Au-delà de l’apparence, le portait exprime la beauté du visage, magnifie notre humanité.

Marie GAUTHIER

Mars 2022

1Emmanuel LEVINAS, Éthique et Infini, Le Livre de Poche, 1990.

2Jean-Luc NANCY, Regard du Portrait, Galilée, 2000 et L’Autre Portrait, Galilée, 2014.

3Georges DIDI-HUBERMAN, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, éditions de minuit, 1992.

 

Mercredi 14h – 17h30
Vendredi 14h – 17h00
Samedi 10h30 – 18h
Centre d’Activités de Bellevue
Corniche 3 / 1er étage
Fort-de-France