Les Antillo-Guyanais en France hexagonale et le temps politique aujourd’hui

 La foi comme support

Vitrail de l’église Regina Mundi de Soweto (Afrique du Sud)

— Par Pierre Pastel, sociologue, psychothérapeute —

Notre contribution, ici, revisite un parcours sur près de 40 ans dont nous avons été témoin actif soit à travers nos travaux de recherche, soit en tant qu’acteur participant à l’éclosion d’actions sociales, culturelles ou politiques ou d’actions de formation dans l’hexagone.

Faire entendre sa note dans le concert « communautaire »

Depuis que nous avons débuté (1978) notre observation du mode organisationnel de nos compatriotes en France hexagonale, les temps ont bien changé.

De l’immigration massive à l’adaptation, de l’adaptation à l’interrogation, de l’interrogation au doute, du doute à l’installation malgré tout, de l’installation à l’observation, de l’observation encore et encore à l’organisation du groupe, voici venu le temps de la détermination à l’engagement politique et à la prise de sa pleine part dans la construction et la transformation collective.

Nous parlons bien ici de construction citoyenne et de transformation de la vie commune dans cette société à visée « démocratique », « égalitaire » et « fraternelle » où nous évoluons.

L’ère est manifestement à tenter la participation « naturelle » et à faire entendre sa note dans le concert communautaire (entendons ici la Communauté Nationale, la Communauté française) sans ne plus avoir à s’interroger sur sa légitime volonté à s’impliquer à tous les niveaux.

Du levier associatif au levier politique

Après avoir actionné de manière marquée, dès les débuts des années 80, le levier association pour souhaiter le resserrement des liens, le respect de leurs droits et de leur dignité à quelque niveau que ce soit, les antillo-guyanais affichent, aujourd’hui, leur prétention à faire accepter leur choix de faire la France en collaboration avec tous les bâtisseurs de cette « Maison Commune ».

De l’associatif

Leur stratégie d’être non des guadeloupéens, des guyanais, des martiniquais atomisés mais des antillo-guyanais solidaires (contrairement à ce que certains égos surdimensionnés et hors du temps cherchent à défaire) a été et est, sans conteste, payante. Il n’est pas dit, ici, qu’il faille s’oublier pour faire partie du tout. Mais l’esprit lucide conçoit parfaitement que l’Unanimité dans le Pluralisme est la logique même de la vraie vie. Est-il besoin de le rappeler ? Les actions culturelles, sportives et sociales dans une moindre mesure se font dans le cadre d’unités associatives intergroupe pour une plus grande efficacité.

Les apprentissages d’actions collectives entre blocs associatifs (qui gagneraient à être un réflexe naturel) ont mis du temps, un long temps de gestation avant que les consciences ne se soient éveillées. Des associations comme le CASOMI à Grenoble(dans l’Isère), ou le CM98, le Collectif DOM, le CEGOM, le CREFOM, fondées en région parisienne (nous ne citons que quelques-unes « plutôt récentes »)(1) marquent assez fortement la conscience collective au niveau national et régional par leur capacité à mobiliser et à capter l’attention sur des thématiques bien ciblées. Elles témoignent assez de cette logique collective et en indique désormais la tendance.

Quelles que soient les imperfections qu’on peut leur reconnaître, il est indéniable que la volonté de leurs dirigeants pointe un réflexe à atténuer le mal-être, les souffrances de leurs compatriotes nourri d’un projet de vivre avec (et de faire « un »avec) toutes les cultures composant la communauté nationale et ce, dans un élan de solidarité. Même si tous n’investissent pas le monde de la gestion de la chose publique, ils font tous œuvre d’action politique puisque leur geste tend à opérer un changement dans la cité.

Le levier politique

C’est la même inclinaison que nous observons lorsque le levier politique s’est trouvé actionné de manière significative dès la fin des années 80(2).Ces compatriotes s’impliquant dans la gestion de la chose publique, issus, dans leur écrasante majorité, du milieu associatif et commençant à se faire nombreux, ont choisi en 1989, à l’initiative de son président fondateur Jean-José Clément alors conseiller de Paris, de conjuguer leur énergie au sein de « l’Association Métropolitaine des Elus d’Outremer » (AMEDOM) avec pour objectif de Regrouper l’ensemble des élus originaires des départements d’Outre-Mer, vivant en métropole, dans un but d’entraide, d’échange d’informations au profit de leurs compatriotes installés en France.

« Pourquoi ? Parce qu’ils se sont rendu compte que les difficultés que rencontrent leurs compatriotes sont grandissantes et qu’ils entendent apporter quelques solutions à travers leur gestion, notamment au niveau municipal.

Mais c’est aussi pour dire et comprendre les difficultés qu’ils rencontrent eux-mêmes en tant qu’élus, face à leurs compatriotes élus blancs, les discriminations qu’ils subissent là encore dans le cadre même de la gestion de la chose publique. »(3)

Là encore le réflexe collectif est à rappeler car il s’agit d’élus de tous bords (sauf de l’extrême droite) qui nourrissent ensemble leur réflexion à traduire en propositions, en actes au sein de leurs partis respectifs et sur le terrain de l’action publique pour le bien de tous y compris pour les antillo-guyanais.

Le chemin à parcourir est encore long mais nous observons un investissement de plus en plus affirmé sur le terrain, même si certains auraient tendance à oublier leur base lorsqu’ils commencent à prendre de la hauteur. Les adjoints au Maire se font de plus en nombreux, les maires, les conseillers généraux et régionaux commencent à faire leur apparition sur la scène. Les prétendants à la députation ou en tant que sénateur n’hésitent plus à dire que la planète France est aussi à eux. Ils cherchent à faire connaître leurs prétentions d’autant qu’ils sont souvent des routiers de longue date dans l’organisation locale de leurs partis nationaux respectifs. Sur ce terrain, ils deviennent concurrents et porteurs de projets au même titre que les autres citoyens, y compris des politiciens d’origine maghrébine ou d’Afrique subsaharienne auxquels certains auraient tendance à les opposer.

Que l’on ne s’y méprenne pas : leurs préoccupations immédiates ne se limitent pas aux difficultés de logement, d’emploi ou encore aux problèmes de discrimination qu’ils soulèvent par ailleurs. Ils ont pleinement conscience que l’avenir de tous dépend, pour partie, d’une bonne gestion de la globalité. Pour preuve, la question que des jeunes posaient déjà aux candidats à l’élection présidentielle de 2007 : Depuis 1958, l’environnement politique, économique, social et culturel de la France a beaucoup changé ; la France plurielle s’affirme nettement depuis plus de vingt ans ; quel type d’évolution institutionnelle, statutaire envisagez-vous pour la France et l’Europe ?

 N’est-ce pas l’heure de penser la VIème République ? (4)

Quoiqu’il en soit, le train est en marche ; il sera difficile de reculer ; le mouvement se poursuivra, d’autant que les jeunes des 3ème et 4ème générations qui commencent à prendre le relais n’entendent pas se laisser imposer leur avenir.

Une note particulière au sein de la République

Le pacifisme actif comme positionnement

Les antillo-guyanais forment, aujourd’hui, un groupe capable, de lire, sans complaisance, ses atouts et les freins à son évolution. Ce faisant, c’est un groupe en voie de consolidation mais aussi en mesure d’œuvrer, par ses actions concertées, pour un meilleur épanouissement de ses membres autant que pour peser dans la société dans laquelle il attend de significatives mutations… y compris des consciences.

Nous sommes face à un groupe qui évolue avec sa note particulière au sein de la République.

De tempérament chaleureux, communicatif, accueillant et généreux, cette « population » se reconnaît, et on lui reconnaît, de manière prononcée, des qualités premières qui notent chez elle un rapport au monde bien singulier en dépit des vicissitudes de la vie. C’est ce que confirment les résultats d’une enquête que nous avons analysée pour l’Aumônerie Nationale Antilles Guyane en 2008(5). On la sent porté par un élan d’énergie, qui l’incite au positionnement pacifique dans un jeu de cœur à cœur et de corps à corps menant l’autre, chemin faisant, au respect de lui-même et des autres.

L’empreinte de la foi dans l’action politique.

Au-delà de la communauté des difficultés rencontrées par un nombre important des membres de cette population (difficultés de promotion sociale et professionnelle, des réalités culturelles à faire vivre, connaitre et reconnaitre, des vérités historiques à intégrer dans l’Histoire commune de la France, un mal-être à apaiser, des potentiels à valoriser) interrogeons-nous sur ce qui motive la détermination de nos compatriotes de l’hexagone -lesquels ne se présentent manifestement pas comme des politiciens de carrière- à aller au « charbon » ?

Si nous regardons le profil d’une écrasante majorité des membres actuels ou anciens de l’AMEDOM parmi lesquels : Georges Aurore, ancien adjoint au Maire de Créteil(94), Président de cette structure pendant un vingtaine d’années, ancien membre de la JAC (Jeunesse Agricole Catholique), Antoine Bordin, de Sevran(93), organisateur de pèlerinages, Dominique Carotine, adjoint au Maire, à Savigny le temple(77), Félix Monlouis, ancien adjoint au Maire d’Epinay-sur-Seine(93), ancien membre très actif de la mission antillaise, l’ancêtre de l’Aumônerie Antilles Guyane, notre regretté Jean-Pierre Passé-Coutrin, ancien élu à Sarcelles(95), ami de l’Aumônerie Nationale Antilles Guyane, …Octave Cestor, adjoint au maire de Nantes(44) de 2001 à 2014, nous retrouvons des chrétiens engagés et qui font de leur foi la source de leur ténacité. Certains ont été membres de mouvements catholiques aux Antilles, d’autres sans être forcément impactés à l’AMEDOM, tels Jacques Moueza, ancien Adjoint au Maire à Arcueil(94), organiste en église, Christiane Mathos à Montceau les mines-71-, Edgard Zébina à Hœnheim, (ville du Bas-Rhin -67) mènent ou ont mené de front leur implication politique, associative, professionnelle, tout en maintenant un service au sein de l’église. Nous relevons entre autre l’engagement de jeunes politiques tel Valentin Narbonnais,(6) élu à Colombes(92).

Rien d’étonnant à ce constat ! Nous savons que le fait religieux (et spirituel) est extrêmement prégnant aux Antilles-Guyane. La continuité territoriale est ici incontestable. C’est donc, une constante. Comme le souligne le Père Yvon Lemince, dans l’enquête pré-citée, « il semble que les A-G nous renvoient à une conception traditionnelle de la vie où le religieux (et le spirituel) est (sont ) un élément normal de l’existence. La foi en Dieu est de l’ordre du « naturel »,… cela semble aller de soi.

Encourager la dimension humaine dans l’action politique

Cette dimension plus humaine, que nos antillo-guyanais insufflent dans la gestion du bien commun mérite d’être soulignée et encouragée sans tomber dans l’angélisme.

Pourquoi donc ?

Parce que nous savons que le bien-être, Individuel et collectif n’est pas l’affaire d’un petit nombre de spécialistes, mais l’affaire de tous.

Aux côtés et en collaboration avec tous les professionnels et experts qui interviennent dans nos sociétés…, nous savons aussi que notre société, nos sociétés, en pleine dépression collective, ont besoin d’architectes ayant la conscience assez éveillée pour aider à construire la bienveillance individuelle et collective.

Aux côtés et en collaboration avec tous les professionnels et experts qui interviennent dans nos sociétés…nous avons besoin d’hommes, de femmes debout et qui se dressent pour aider à faire taire notre trop plein d’égo, d’égotisme qui maintient notre environnement dans un malaise civilisationnel inqualifiable.

Aux côtés et en collaboration avec tous les professionnels et experts qui interviennent dans nos sociétés…, nous avons besoin d’accompagnants suffisamment attentifs, aimants, altruistes mais non complaisants pour nous aider à nous départir de notre malaise intérieur, de notre laideur intérieure qui nous empêche de percevoir, de voir et magnifier le beau.

Aux côtés et en collaboration avec tous les professionnels et experts qui interviennent dans nos sociétés…, nous avons besoin de passeurs suffisamment avertis qui nous aident à faire le tri entre le futile, l’utile et l’essentiel pour pouvoir approcher la transcendance.

Aux côtés et en collaboration avec tous les professionnels et experts qui interviennent dans nos sociétés…, nous avons besoin de passeurs nous menant sur le chemin de l’AMOUR inconditionnel.

Ces valeurs, on ne peut plus chrétiennes, que portent nos compatriotes à quelque niveau qu’ils agissent, sont un ciment pour un « bien heureux ensemble ».

 

Pierre Pastel, Sociologue

 

1-CASOMI (Comité d’Action Sociale des Originaires des DOM de l’Isère, créé en 1998)

CM98 (Comité Marche du 23 Mai 1998, créé en 1999)

Collectif DOM (Collectif des Antillais, Guyanais, Réunionnais et Mahorais,créé en 2003)

CEGOM (Collectif des Etats Généraux des Outre-Mer, créé en 2009)

CREFOM (Conseil Représentatif des Français d’Outre-Mer, créé en 2014)

2-Pierre Pastel : Ils étaient aussi en campagne, Alizés, Mai-Juin 1989

3-Pierre Pastel : Etre citoyen en métropole, Alizés Avril-Mai 1995

4- Pierre Pastel : La France pour tous ! Oui mais pas sans nous. Alizés, Avril-Mai-Juin 2007.Dossier : Notre avenir en campagne.

5– Enquête Aumônerie Antilles-Guyane. Données d’enquête : Les Attentes et les Besoins des Antillo-Guyanais vivant dans l’hexagone.

Dépouillement et Analyse : Pierre Pastel Sociologue, Psychothérapeute. Avril 2009

6– voir le dossier « Moi, jeune, je m’engage » Alizés novembre –décembre 2014