Le scandale du chlordécone est « un crime qui ne peut rester impuni », insiste le maire de Pointe-à-Pitre

« En droit français, lorsqu’une infraction est occultée, la prescription ne court qu’à compter de la révélation », souligne Harry Durimel, maire écologiste de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe et l’un des avocats historiques dans ce dossier du chlordécone.

Le scandale du chlordécone est « un crime qui ne peut rester impuni », a déclaré Harry Durimel, maire écologiste de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe et l’un des avocats historiques dans ce dossier du chlordécone. Il réagit aux propos du procureur de Paris, qui a indiqué que « la grande majorité des faits dénoncés était déjà prescrite » dès le dépôt des plaintes pour empoisonnement en 2006.

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franceinfo : Est-ce que vous avez toujours espoir que la date retenue pour la prescription soit 2004 et non pas 1993, comme ce que semble présager le procureur de Paris ?

Harry Durimel : Il ne peut en être autrement, puisque on ne peut pas dire qu’il est trop tard avant même de savoir qu’on peut poursuivre. Pour nous, c’est une attaque de plus, quand le procureur de la République de Paris qui vient prendre une page du journal local pour exprimer cette position, il reste dans sa logique qui est celle, depuis le début, du déni et de l’opposition à l’action des associations. C’est surprenant que celui qui défend les intérêts de la société, l’intérêt général, se soit toujours comporté comme défenseur des pollueurs en nous opposant l’irrecevabilité de notre plainte, après avoir fait délocaliser l’affaire à Paris. Donc le procureur de la République dit aujourd’hui qu’il savait que c’était prescrit depuis 2006. Mais depuis 2006, il n’a jamais usé de ce moyen, usant de plusieurs subterfuges pour s’opposer à notre action, donc il reste dans sa logique, la logique des pollueurs.

Que penser du rôle de l’État et d’Emmanuel Macron, qui estimait il y a deux ans que le chlordécone n’était pas cancérigène ?

Alors, je retiens cette déclaration de Macron. Mais je retiens aussi que c’est le seul et premier président de la République qui, en 20 ans, s’est intéressé à cette problématique et affirmé qu’il y avait eu faute et que l’État devrait prendre toute sa part dans la réparation. Il l’a dit en Martinique quelques semaines avant de venir dire à Paris que ce n’était pas cancérigène, ce qui est pour moi une énorme bourde, parce qu’on ne peut plus contester les effets néfastes et cancérigènes du chlordécone.

Qu’attendez-vous de l’État aujourd’hui ?

On attend de l’État qu’il assume cette énorme erreur, cette faute grave qui a été commise par des ministres de tous bords, socialistes, de droite et de gauche. Et donc, aujourd’hui, il n’y a que l’État qui peut arbitrer et assumer sa responsabilité, c’est à lui de veiller à notre santé. Or, là, on a veillé à lutter contre les déséquilibres commerciaux, à couper le cou à la banane dollar, à rétablir la balance commerciale de la France et à aucun moment à notre santé. Donc, nous attendons de l’État qu’il y ait des mesures à la hauteur de ce désastre puisqu’on est empoisonné pour 700 ans, donc c’est tout un pays, toute une région, des régions de Guadeloupe et Martinique qui se retrouvent réduites de fertilité.

Donc, ce ne sont pas que des effets économiques, ils sont sanitaires, ils sont écologiques, ils sont aussi culturels puisqu’on modifie complètement nos modes de vie. C’est un crime qui ne peut rester impuni. Donc le président de la République, en tant que garant de l’indépendance de la justice, doit veiller à ce qu’il n’y ait aucune entrave, à ce que des pièces ne disparaissent pas et qu’on ancre les délais de la prescription dans le véritable point de départ. Car en droit français, lorsqu’une infraction n’est pas révélée, lorsque l’effraction est occultée, la prescription ne court qu’à compter de la révélation.

Des élus, des associations réclament une qualification en crime contre l’humanité, ce qui effacerait toute prescription. Est-ce que vous le demandez aussi ?

C’est un crime, il n’y a pas que les coups de couteau ou les coups de fusil qui tuent. Là, on nous tue à petit feu sur plusieurs générations, sur 700 ans. Le nouvel homme guadeloupéen est l’homme guadeloupéen chlordécone, puisqu’on attrape depuis le cordon ombilical notre dose de chlordécone. On ne peut pas venir ancrer dans le temps un crime qui dépasse la vie humaine.

Source : Francetvinfo.fr