Le droit à l’eau : un droit fondamental bafoué !

Lettre ouverte à Monsieur le Préfet de Martinique

Objet : Demande d’intervention de l’Etat auprès de la CTM afin que celle-ci rétablisse au plus vite le débit journalier de 35 000 mètres cubes de la DN800 en provenance de l’Usine de Vivé

Monsieur le préfet,

Ayant pour but de défendre les intérêts écologiques, économiques, sociaux et moraux de la Martinique autant qu’habilitée à s’emparer de toute question touchant à l’eau en vertu de ses statuts constitutifs, l’association PUMA est contrainte de vous demander, à raison de la carence déraisonnablement prolongée de la CTM :

1°) d’attirer une dernière fois l’attention de ses dirigeants sur la nécessité de rétablir sans délai le débit journalier de 35 000 mètres cubes de la canalisation DN 800 en provenance de l’usine de Vivé en effectuant la réparation qui convient de la portion défectueuse de la canalisation au droit de la propriété de monsieur Bernard Bally au lieu-dit Séguineau ;

2°) si cette démarche devait rester sans suite favorable, de mettre en demeure la collectivité de réaliser cette réparation en donnant un effet juridiquement contraignant à votre requête.

En effet, rien ne vous empêche, monsieur le Préfet, dans l’hypothèse où la Collectivité Territoriale de Martinique ne réagirait pas ou estimerait ne pas devoir assumer ses obligations de maître de l’ouvrage ainsi que, malheureusement pour les Martiniquais, elle persiste à le faire depuis près de 11 longues années, de déférer son refus au Tribunal Administratif en assortissant votre recours contentieux d’une demande de suspension ainsi qu’il vous est loisible de le faire.

Serions-nous les seuls à le considérer, la situation de sous approvisionnement chronique du centre et du sud de l’île en Eau potable ne peut plus durer alors que la perspective d’un retour de la crise sanitaire se profile et que des chaleurs caniculaires accompagnées de sécheresses de plus en plus sévères sont à craindre, pour les années à venir d’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Environ 100 000 personnes réparties sur 12 communes sont impactées par le défaut persistant d’entretien normal de la canalisation DN 800 en provenance de l’usine de Vivé, avec d’inévitables conséquences en termes d’hygiène, comme l’écrivait le Bureau de Recherches Généalogiques et Minières dans son rapport rédigé juste après l’incident de mai 2009.

Nous voudrions également rappeler les propos tenus par le Directeur de la SME dans un entretien à Martinique la première le 13 avril dernier :

« Nous n’arrêtons pas de le dire et le répéter, il est urgent de restaurer la capacité de l’usine de Vivé. La conduite endommagée est une conduite de 800 mm de diamètre qui aujourd’hui est remplacée par 3 tuyaux de petites sections. Si cette canalisation était en place nous n’aurions aucun manque d’eau en Martinique »

Au plan juridique, si les personnes publiques susceptibles d’avoir la qualité de maître de l’ouvrage décident des travaux neufs en opportunité, elles ont l’obligation de réaliser les prestations de réparation des ouvrages existants.

Nous ajoutons que l’article L. 210-1 du Code de l’Environnement dispose notamment que « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable… »

Sans alimentation continue en eau, un logement ne saurait passer pour décent, à tel point que le Conseil constitutionnel a jugé (décision QPC n°2015-470) conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit l’interdiction faite aux sociétés concessionnaires de pratiquer des coupures d’Eau en estimant que le législateur avait ainsi voulu :

1°) s’assurer qu’aucune personne en situation de précarité ne puisse être privée d’Eau ;

2°) garantir l’accès à l’Eau qui répond à un besoin essentiel de la personne ;

3°) poursuivre l’objectif à valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent.

Au regard de ces données juridiques, le droit à l’Eau est assurément un droit fondamental constitutionnellement garanti, voire une liberté publique dont les conditions d’exercice ne sauraient légalement varier, selon que l’on se trouve en tel ou tel point du territoire national.

En effet, « le principe de libre administration des Collectivités Territoriales (…) ne saurait conduire à ce que les conditions essentielles d’application d’une loi organisant l’exercice d’une liberté publique dépendent de décisions des Collectivités Territoriales et, ainsi, puissent ne pas être les mêmes sur l’ensemble du territoire » (Conseil constitutionnel, décision n°84-185 DC du 18 janvier 1985)

De manière concordante, le Conseil d’Etat a jugé qu’une collectivité locale n’était nullement habilitée à prendre des mesures affectant les conditions essentielles d’exercice d’une liberté fondamentale (Conseil d’Etat, Assemblée, 29 avril 1994, Haut-commissaire de la république en Nouvelle-Calédonie, req. n°119562)

Il nous semble donc, Monsieur le Préfet, qu’il serait de bonne administration de rappeler la CTM à ses devoirs une dernière fois et, le cas échéant, de tirer toute conséquence de droit de son inaction. N’êtes-vous pas, en effet, en charge du respect des lois aux termes de l’article 72, dernier alinéa de la Constitution ?

Sûr de votre écoute attentive, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Préfet, l’expression de nos républicaines et respectueuses salutations.

Florent Grabin, Président de l’association écologique Pour Une Martinique Autrement ( P.U.M.A.)