France Ô, Chronique d’une mort annoncé

— Par Max Pierre-Fanfan(*)

Dimanche 23 août 2020, France ô disparaissait du PAF (paysage audiovisuel français). La pétition en ligne «Sauvons France ô signée par plus de 100.000 personnes, le rapport sénatorial d’avril 2019 sur la représentativité et la visibilité des outre-mer dans l’audiovisuel public, la tribune publiée dans «Libération» du 27 juillet 2020 et signée par 125 personnalités n’ont pas suffit… Au fait, la bataille était perdue d’avance…Le groupe France-Télévisions semble toujours avoir du mal à faire paraître la couleur à l’écran… La faible audience de France ô dans l’Hexagone (0,8 % en 2016, 0,6% en 2017) ne constitue pas la seule et unique raison de sa disparition. En 2014(1) «F-T» lançait une campagne de publicité pour la promotion de ses chaînes…Des animateurs et des journalistes de France ô se voyaient gratifiés sur de larges affiches dans le métro parisien de slogans tendancieux et ambigus à souhait, du style: «je ne suis pas une sauvage», «je ne «deale» que de la musique», «je parle sans accent»…En contrepoint, dans cette même campagne de publicité France 2 encensait ses stars du petit écran, notamment, Marie Drucker, «femme 2 terrain», Michel Drucker, «club de stars», «info 2 références». Personnellement, j’avais adressé au Président de France-Télévisions de l’époque, Rémy Pflimlin ainsi qu’au CSA en la personne de Françoise Laborde et de Sylvie Pierre-Brossolette une lettre de protestation sur ce «deux poids deux mesures».

Sébastien Folin, un ancien animateur de France ô a déploré, le 23 août dans Télé 7 jours, le manque de détermination de la part de la direction; Babette de Rozière sur le plateau de «Morandini live», lundi 24 août, a dénoncé «les têtes dirigeantes qui ont plombé la chaîne», «c’étaient des bons à rien qui n’avaient que faire de notre culture»…Le 19 mars 2014 «F-T» se voyait attribuer le label «diversité». Il y a un an le groupe signait un pacte de visibilité visant à garantir durablement la présence des outre-mer au centre de l’offre de l’audiovisuel public…Souhaitons que ces deux mesures ne soient pas derechef des vœux pieux; à l’instar de la promesse du candidat à la présidentielle Emmanuel Macron qui promettait, le 5 avril 2017, « de maintenir l’activité de France ô et à qui il trouvait un programme et une activité pleine et entière»

(*)Max Pierre-Fanfan

Journaliste/ Ecrivain

Représentant du Cercle Césairien d’Etudes et de Recherches (CCER)dans l’Hexagone

(1) Se référer à l’article «La Couleur à l’écran» ci-dessous envoyé au CSA (Conseil Supérieur de l’Audiovisuel) ainsi qu’au Président de France-Télévisions Remy Pflimlin le 14 Octobre 2014

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LA COULEUR A L’ÉCRAN

La campagne de publicité conçue pour promouvoir l’image de la chaîne de télévision France ô (du groupe France- Télévisions) et placardée dans le métro parisien en octobre 2014 a fait allusion à toute une série de clichés et de préjugés portés par l’opinion…

Journalistes, animateurs, présentateurs de cette chaîne se retrouvaient à l’affiche flanqués de messages inscrits en toutes lettres: « Je ne suis pas une sauvage », « Jeparle sans accent », « Je ne fait pas tout flamber », « Jene suis soumise qu’à l’actualité », « Je ne deale que de la musique »…

Des antiphrases qui se voulaient l’expression du contraire de ce que pensela doxa…Le but, peut-être, agir sur le téléspectateur en l’invitant à reconnaître le message réel sous le message apparent…Mais pourquoi ce besoin de justification, de donner derechef des gages ou des preuves de compétences et de professionnalisme (même sous forme de boutade…)

Cette opération publicitaire ambitionnait-elle de changer le regard que certains Français portent sur leurs concitoyens issus de la diversité?…Il est vrai que les préjugés sont tenaces. Victime du fameux « plafond de verre », cette diversité est peu présente dans les secteurs clés de notre société et notamment dans les médias et à l’écran…Deux raisons sont souvent évoquées, la couleur de la peau et l’accent. Des éléments qui continuent à hanter l’inconscient collectif et qui ressortissent à l’époque coloniale. Les images du nègre sauvage ou au contraire, du nègre bon enfant, oule serviteur obséquieux et souriant, etle nègre à chéchia etson sourire « fernandelesque » sont encore présentes dans certains esprits.

Quant à l’accent, on sait qu’il faut parler sans accent(« Je parle sans accent »), surveiller son élocution, sinon on dira avec mépris à, par exemple, ce journaliste ultramarin qu’il ne sait pas parler le Français. Cela dit l’opinion serait-t-elle aussi exigeante avec sa consœur ou son confrère marseillais, corse, alsacien… ? Et puis peut-on vraiment se départir totalement de son accent? « L’accent du pays où l’onest né demeure dans l’esprit et dans le cœur comme dans le langage », précisait François de La Rochefoucauld.

Faisant fi de toute notion deculpabilité, sans s’embarrasser de considérations historiques ou psychiques, et en regard des affiches de France ô, France 2 pour sa campagne de promotion s’est appuyée sur ses émissions phares et ses présentateurs vedettes; notamment, Marie Drucker,et, Michel Drucker: « Femme 2 terrain », « Info 2 référence », « Meneur 2 revues », « Club 2 stars » « Arène 2 débats »…

Les Français issus de la diversité vise l’universel mais ils savent que dans la société et notammentà l’écran, d’aucuns continuent à maintenir intact leur essence et leur nature « nègre » ou exotique…Comme le noir a de tout temps été inférieur. Ils essaieront de protester contre l’infériorité qu’ils ressentent historique et de donner des preuves de leur « blancheur » aux autres et à soi-même..

Le problème est complexe. Nos compatriotes ultramarins, par exemple, sont en effet « blancs » par une partie de leur inconscient collectif. Les incompréhensions procèdent de ce quiproquo, « Je ne suis pas une sauvage », « Je ne fais pas tout flamber », « Je parle sans accent ».

Aimé Césaire, le chantre de la négritude, lui-même »retrouva sa lâcheté ». Il s’amusa du nègre comique et laid rencontré dans le tramway(Cahier d’un retour au pays natal). C’est qu’il n’y avait rien de commun entre lui, le poète, et ce pauvre bougre.

Néanmoins, A. Césairea accepté d’effectuer son voyage intérieur, de reconnaître ses monstres, « et le grand trou noir où je voulais menoyer l’autre lune, c’est là que je veux pêcher maintenant la langue maléfique de la nuit et son immobile verrition »(Cahier d’un retour au pays natal).

La négritude de Césaire fut certes un combat pour la dignité de l’homme noir, mais aussi un dépassement de soi, un épanouissement, et une conquête pour une nouvelleet une plus large fraternité…

Tout homme doittendre à l’universel inhérent à la conditionhumaine. Mais pourparvenirà cette saisie, il est urgent de se débarrasser de toute forme de culpabilité et d’une série de séquelles issues notamment de la période esclavagiste et coloniale.

Max Pierre-Fanfan

Journaliste/ Ecrivain

Représentant du Cercle Césairien d’Etudes et de Recherches (CCER) dans l’Hexagone