« La nuit juste avant les forêts », Koltès, m.e.s Matthieu Cruciani

— Par Dominique Daeschler —

Il faudra dix ans à Koltès, musicien émérite, égaré un temps dans une école de journalisme puis repéré par Robert Gignoux ( TNS ) pour faire entendre son écriture. En 1977, alors que se joue à Lyon sa pièce Sallinger commandée et mise en scène par Bruno Boeglin, il crée, pour Yves Ferry, acteur au TNS «  la nuit juste avant les forêts » au festival d’Avignon ( off). C’est un succès, le milieu théâtral s’ouvre à l’écriture de celui qui fera un long compagnonnage avec Chéreau.

Comme toujours chez Koltès, le lieu est interlope ( pont d’autoroute, parking, , quais…). Ici les verticales des piliers vont aider à tracer un parcours, un jeu de cache- cache qui introduit le trouble, les tensions, le goût du secret. Cruciani semble jeter dans ce décor l’acteur Jean Christophe Folly : à lui d’y introduire fiction et réel. L’homme anonyme s’y débat, et débat : son monologue est de fait un soliloque, un face à face où seul un interlocuteur parle. Jean Christophe Folly empoigne la poésie sombre de Koltès à bras le corps, dispersant les énergies , laissant rebondir sa parole sur le silence. La magie opère, le besoin de l’autre finit par le créer. Seul dans la nuit, dans un lieu glauque hanté de silhouettes indéfinies, il est l’étranger qui aborde un inconnu, vocifère , conjugue colère et peur, parlant en continu. Ici tout se deale : le désir et l’hostilité, l’envie de mort et l’érotisme car c’est ainsi que Koltès définit la relation à l’autre. L’acteur est sensible à la musicalité des répétitions, à la rythmique particulière de l’auteur qui alterne langue écrite et parlée , rythmique que son corps danse à sa façon d’écorché vif  : corps fluide, cœur à cran.

Si la mise en scène de Cruciani semble s’effacer devant le jeu exceptionnel de Folly, c’est qu’elle est précise et rigoureuse pour rendre les énergies contraires de l’écriture sans s’y perdre. Tout est entendu : l’oppression, l’inégalité sociale qui régit les rapports humains, l’exclusion, la quête de soi, le désir infernal. DE fait un deal conclu dans une féroce dignité.

D Daeschler

 

La nuit juste avant les forêts
de Bernard-Marie Koltès
mise en scène Matthieu Cruciani
assistante à la mise en scène Maëlle Dequiedt – scénographie Nicolas Marie – création musicale Carla Pallone – costumes Marie La Rocca – création lumières Kelig Le Bars

Avec Jean-Christophe Folly