Contribution du CNCP relative aux résultats des élections présidentielles en Martinique

—Contribution du C.N.C.P. 1er Mai 2022 —

Rien ne pourra arrêter la roue de l’histoire

Étouffée la contestation contre les mesures liberticides et scélérates qui nous ont été imposées sous couvert de crise sanitaire ! Escamotées les exigences de réparation par l’État français et les grands planteurs coupables du crime conscient d’empoisonnement de notre peuple, du sol et des eaux de notre pays ! Au placard la dénonciation des prix abusifs, du génocide par substitution, des violences policières et judiciaires, travers liés à la domination coloniale de la France qui sévit dans notre pays. Après tous ces derniers mois au cours desquels politiques intégrés et médias du système ont démagogiquement orienté les attentions sur les élections présidentielles, voila que ceux-ci s’échinent à placer le thème des élections législatives de juin au centre des réflexions et des débats.

Nous voudrions faire prendre conscience à tous qu’une vision biaisée du rôle des élections dans l’avancée de l’histoire atrophie l’opinion de beaucoup. Nombreux sont ceux et celles dont les analyses sont le fruit d’un conditionnement cultivé par les tenants de la pseudo-démocratie française. Cela concerne, hélas, des personnes de haut niveau intellectuel ou aspirant réellement à l’émancipation.

Pour appréhender valablement la réalité et porter de vrais solutions à nos problèmes, il est essentiel que nous nous appuyions sur des grilles d’analyse alternatives. Nous illustrerons ce point de vue à partir de commentaires qu’ont suscités les résultats des récentes élections présidentielles françaises en Martinique. Au lendemain du premier tour, ce qui a été mis en avant, c’est « le choix massif des électeurs Martiniquais pour Mélenchon! » Après le deuxième tour, une cohorte de commentateurs a martelé que « la Martinique a voté massivement pour l’extrême droite » déplorant «l’incohérence des Martiniquais qui avaient chassé Jean-Marie LEPEN en 1987 et en 1997» et, qui plus est, seraient « passés d’un extrême à l’autre en l’espace de quinze jours ! ». Tous se perdent en conjectures et, comme il fallait s’y attendre, ceux qui ont pour religion de dénigrer le Peuple Martiniquais s’en donnent à cœur joie : « Ils sont dégoûtants ces gens! Vous vous rendez compte, ils ont voté pour l’extrême droite ! Ils ne méritent pas qu’on se batte pour eux ! » Eh bien ! Tous ces propos, totalement déconnectés de la réalité politique martiniquaise, assis sur la manipulation des chiffres, sont en distorsion avec ce que disent vraiment les résultats.

Comme on pourra s’en rendre compte dans le tableau ci-dessous, en rapportant le score obtenu par les différents candidats au nombre des inscrits, on se débarrassera de la vision idéologisée dans laquelle on veut nous enfermer en agitant comme une muleta des pourcentages de suffrages exprimés.


Au premier tour, les douze candidats, ensemble, ne cumulaient que 40,4 % des inscrits et au deuxième tour, Macron et Lepen totalisaient 39,36 %. Cela indique que, dans son écrasante majorité, le Peuple Martiniquais a valablement résisté à la débauche de propagande et aux chantages mis en œuvre par les médias français. Il a réagi en fonction de son vécu, de sa vision et de ses intérêts propres.

Arrêtons-nous sur le taux extrêmement important de l’abstention.

Tous les commentateurs ont été contraints de reconnaître qu’il appelait à réflexion, sans pour autant en mettre à jour la véritable signification. Bien sur, on a ressorti les poncifs des « bons citoyens qui ont rempli leur devoir » et des « abstentionnistes qui, n’assumant pas leur responsabilité, sont les vrais responsables de toutes les dérives ». Cela fait partie du « récit » de la démocratie Bourgeoise. En vérité, si les peuples s’abstiennent, partout et de plus en plus, aux élections, ce n’est ni par « absence de civisme », ni simplement par « désamour » à l’égard d’une classe politique défaillante ; c’est essentiellement parce qu’ils se détournent, avec juste raison, de la démocratie dite représentative conçue par le système et qui a largement prouvé qu’elle n’ouvrait la voie ni à leur souveraineté, ni à leur émancipation.

Parlant maintenant de la soi-disant « progression spectaculaire de l’extrême-droite en Martinique», nous affirmons qu’il ne s’agit là que d’un leurre. Oui ! Il y a bien des électeurs qui, chez nous, partagent les idées racistes et xénophobes du Rassemblement National. Le comportement des descendants des colons esclavagistes et d’un grand nombre «d’expatriés » vivant dans notre pays ne laisse aucun doute à cet égard. D’ailleurs, nous serions curieux de savoir pourquoi, dès le lendemain des résultats en France, certains médias répercutent des statistiques précisant les pourcentages de catholiques, de musulmans, d’ouvriers, de jeunes (etc.) qui ont voté pour tel ou tel candidat, alors que chez nous on n’investigue pas sur le vote des gens nés dans « l’hexagone » ou membres de la caste dominante.

Mais, au-delà de cette base sociale, dont on sait les motivations, il faut reconnaître l’existence d’une frange de Martiniquais faisant partie des couches populaires, qui s’est laissé attirer par les sirènes de la xénophobie et qui a voté sur cette base là pour Marine LEPEN. Cela est déplorable certes; mais Il est clair pour tout analyste sérieux qu’il s’agit là des conséquences de la désinformation et des manœuvres de division venant des classes dominantes ; cependant, nous le maintenons fermement, ce n’est absolument pas le cas de la majorité de notre peuple. Ceux qui spéculent sur l’existence du vote « d’adhésion des Martiniquais aux idées de Marine Lepen» s’en rendront bien compte au lendemain du premier tour des élections législatives de Juin, en évaluant les résultats des candidats présentés par le Rassemblement National. Non ! Les votes qui se sont portés sur Marine LEPEN ne traduisent absolument pas une progression de l’extrême droite au sein du Peuple Martiniquais ! On peut comprendre les interrogations et les inquiétudes exprimées par ceux qui savent ce que sont le fascisme et le nazisme, et qui, en Europe, en ont subi les atrocités dans leur chair. Qu’ils se rassurent. Les couches populaires qui ont voté pour Mélenchon puis pour Marine LEPEN avaient pour préoccupation essentielle de chasser à tout prix « l’emmerdeur » avec sa dictature « sanitaire », son mépris à l’égard des victimes de l’empoisonnement aux pesticides, son saccage des acquis sociaux!

C’est exactement ce que les politologues appellent le « vote utile » ! Il faut également prendre en compte le fait que, comme ailleurs, dans notre pays l’opinion des population a été dévoyée par la propagande prétendant que les idéologies avaient disparu, par la dépolitisation des « citoyens » ainsi que par le sabotage des services publics dispensant culture et éducation. D’autre part, nous entendons dénoncer l’hypocrisie de tous ceux qui veulent faire croire que l’extrême-droite et le fascisme sont l’apanage exclusif du Rassemblement National ou de la bande de Zemmour. Comme l’a dit Bertolt Brecht: « Le fascisme n’est pas le contraire de la démocratie mais son évolution par temps de crise.» et de fait, ce cancer a déjà largement gangrené les partis représentant les classes dominantes françaises. De Macron à Dupont-Aignan, en passant par Pécresse et autres « Républicains», tous véhiculent des idées suprématistes et colonialistes, défendent des politiques liberticides et anti-sociales, mettent en œuvre des mesures anti-immigrés. Notre conviction d’anti-colonialistes, qui luttons pour l’indépendance nationale, c’est que « yo tout sé menm bèt, menm pwèl » ! L’autre forfaiture que nous voulons dénoncer à travers cette contribution est celle qui consiste à persuader l’opinion que les élections sont déterminantes pour l’évolution de la société ou d’un pays. Si l’on peut admettre que celles-ci permettent d’évaluer le rapport de forces entre partis politiques à un moment donné et que les orientations politiques des vainqueurs sont de nature à impacter plus ou moins les situations, il reste indéniable que ce sont principalement l’évolution des contradictions entre les classes dont les intérêts sont antagoniques et les mobilisations populaires qui font tourner la roue de l’histoire. Nous sommes précisément à un moment où la remise en cause du système dominant se généralise et ce n’est pas un hasard si, comme nous le disions plus haut, la pseudo-démocratie représentative est remise en cause. Pendant ces dernières décennies, on a vu nombre de dictateurs et de présidents mal élus renversés par des mobilisations populaires dans le monde. Des parlements régulièrement élus ont été investis -parfois même sous l’instigation des « démocraties » occidentales (cf. les fameuses « révolutions » dites de couleur) -et de nouveaux pouvoirs leur ont succédé. Les élections seront de moins en moins déterminantes dans ce contexte. Notre pays, comme le reste du monde, se trouve dans une phase d’extrême instabilité. Aux énormes difficultés liées à la domination coloniale que nous subissons, viennent s’ajouter les conséquences de la guerre en Ukraine, guerre qui n’est que l’amorce d’un conflit de plus grande envergure. L’heure n’est plus aux illusions électoralistes.

Continuons à écrire notre propre histoire.