“Kapital !”, le jeu des Pinçon-Charlot

Imaginé par Monique et Michel Pinçon-Charlot, un jeu à offrir à vos « potes de droite »…

On ne présente plus Monique et Michel Pinçon-Charlot, célèbres sociologues, spécialistes de la grande bourgeoisie et des élites. Les deux anciens directeurs de recherche au CNRS — ils ont pris leur retraite en 2007 — critiquent depuis des années le comportement des « ultra-riches » et leurs techniques pour garder le pouvoir à tout prix. Un engagement intellectuel devenu politique en 2017, lorsque Monique Pinçon Charlot est devenue candidate aux élections législatives pour le Parti communiste… Livres, BD, documentaires jeunesse, tous les moyens sont bons pour vulgariser leurs travaux ! Ils ont réalisé, en novembre 2019, un jeu didactique et drôle sur la “guerre des classes”. Un jeu qui questionne les rapports entre les classes sociales, et les stratégies « des dominants » pour garder leur position. Le stock, vite épuisé, a été reconstitué aujourd’hui. Un délicieux « cadeau empoisonné » pour vos « potes de droite »…

Quand tout est politique…

Mais le jeu « Kapital ! » est bien plus qu’un jeu de société, c’est tout simplement le premier jeu de sociologie critique. Il permet de comprendre, d’appréhender et même d’expérimenter les mécanismes sociologiques de la domination, avec un jeu de plateau aussi drôle que palpitant, mis en image par le dessinateur Etienne Lécroart… En famille ou entre amis, de 9 à 99 ans, le jeu est à mettre entre toutes les mains, pour voir le monde tel qu’il est, et avoir envie de le changer ! Alors à vous de jouer, pour tenter de gagner « la guerre des classes ».

Dans « Kapital ! », comme dans la vie, tout est politique – même si on ne s’en rend pas forcément compte. Le plateau lui-même est composé de 82 cases, « soit l’espérance de vie moyenne des Français », indique la notice explicative — qui précise toutefois qu’il y a un écart de treize ans de vie entre riches et pauvres ! Avant de commencer, les joueurs lancent le dé. Celui qui fait le plus gros chiffre est le “dominant” de la partie, les autres sont les “dominés”, les deux catégories ayant leurs cartes respectives. Le premier part avec un avantage dans son stock initial de « Kapitaux » — la monnaie du jeu, répartie en Kapital financier, Kapital culturel, Kapital social et Kapital symbolique. Le but est d’en accumuler le plus possible, et d’arriver à la dernière case.

« Mettre à bas les mécanismes de la domination sociale »

Mais c’est au cours de la partie que le jeu prend tout son sens, grâce aux « Cartes d’Actions » que l’on tire à chaque tour, et aux cases spéciales — « Grève générale, Révolution, Prison et Tous ensemble ». Ainsi, dans la langue de Monique et Michel Pinçon-Charlot, fortement engagés à gauche et qui ont conçu avec espièglerie ce nouveau jeu édité à « La Ville brûle », le but devient : « Tenter de mettre à bas les mécanismes de la domination sociale pour gagner la guerre des classes ! »

C’est drôle et plein d’enseignements. Tout d’abord, même si c’est un peu cruel pour le joueur “dominant”, le jeu crée des solidarités de classe. Ainsi, quand un dominé pioche une carte incitant à mobiliser sa classe contre la politique antisociale d’un gouvernement composé de “12 millionnaires” — information authentique au début du quinquennat ! —, cette “colère salutaire” rapporte 10 K symbolique, 10 K social et 10 K financier. C’est tout juste si les quatre dominés ne se « high five1 » pas sous les yeux dépités du dominant ! A l’inverse, on lui fera bien la grimace quand, face à la privatisation des crèches, il faudra lui verser 5 K financier.

Très rapidement, chaque joueur apprend à différencier ces concepts sociologiques pas forcément évidents. Les exemples foisonnent dans les cartes, et Monique et Michel ont pensé à tout expliquer à l’encre… rouge, forcément : « Le capital symbolique, c’est le prestige social qui découle d’un nom, d’un titre, d’une fonction, d’une belle adresse : il montre que les autres formes de richesse sont là, sans même avoir besoin de les mettre en avant », lit-on par exemple.

“Le joueur dominant se sent fort mal à l’aise”

Le jeu devient plus ludique lorsque les cartes « Actions » ne se contentent pas de provoquer des échanges monétaires, mais mettent au défi les joueurs. Par exemple, en leur demandant de chanter, de créer un chant révolutionnaire, d’inventer des slogans contre la privatisation de la SNCF ou pour faire comprendre aux ultra-riches l’urgence climatique en cours — des K culturels et sociaux sont à la clé. « Ils sont forts, car tout le monde va inventer des slogans pour les manifs ! », nous fait remarquer une « camarade »…

Bref, les effets des politiques publiques et des inégalités qu’elles créent se font bien sentir dans ce jeu : « J’ai déjà plus d’argent ! » se plaint une joueuse dépouillée en quelques coups de privatisations. Par cette réflexion, et après un coup d’œil aux billets qui s’accumulent devant elle, la joueuse dominante fait part d’un ressenti : « Le joueur dominant se sent fort mal à l’aise ! ». Mais heureusement, comme l’histoire est pleine de surprises — personne n’avait prévu les Gilets Jaunes ! —, la case spéciale « Révolution » renverse le jeu : « Tous les billets de Kapitaux des joueurs sont mis au centre, comptés et redistribués équitablement entre les joueurs ». Une belle expérience de collectivisation, prise en main avec enthousiasme par les dominés !

Ce premier jeu de sociologie critique est donc une réussite. Impeccable pour faire grincer des dents !

Pour lire une expérience de jeu, et les commentaires critiques de joueurs : https://www.20minutes.fr/economie/2651567-20191114-renverse-tout-teste-kapital-jeu-societe-ravive-lutte-classes

Sources : La Fnac, les Inrocks, Pixiegames, 20 Minutes


Le high five, en français « tope-là », est un geste de victoire, d’encouragement ou de félicitation. Il consiste à présenter sa main ouverte et levée, pour qu’un partenaire ou un concurrent vienne en frapper la paume, lui aussi de sa main ouverte. (Wikipedia)