IDIR, le baladin chantre de son pays, s’en est allé

« Ambassadeur éminent des cultures berbère et kabyle », selon l’UNESCO

Le chanteur Idir, l’un des principaux ambassadeurs de la chanson kabyle, est mort, ce samedi 2 mai à Paris, à l’âge de soixante-dix ans. Hospitalisé vendredi à Paris, il a succombé à une maladie pulmonaire et devrait être enterré en région parisienne, selon son entourage.
« Nous avons le regret de vous annoncer le décès de notre père [à tous], Idir, le samedi 2 mai à 21 h 30. Repose en paix, papa », est-il écrit dans un message publié sur la page Facebook officielle du chanteur, installé en France.
« J’ai appris avec une immense tristesse la nouvelle du décès d’Idir, une icône de l’art algérien », a salué dans un tweet le président algérien, Abdelmadjid Tebboune. « Avec sa disparition, l’Algérie perd un de ses monuments. »

 

De l’Algérie à la France

Si Idir connaît une carrière internationale et vient s’installer à Paris, c’est sa chanson, « A Vava Inouva, Papa  Inouva », berceuse en langue berbère qui traduite en 15 langues, diffusée dans 77 pays et faisant le tour du monde, assied sa célébrité.
Fils de berger, né le 25 octobre 1949 à Aït Lahcène, un village de Kabylie, Idir — de son vrai nom Hamid Cheriet — fait figure de héros pour la communauté kabyle, dont il n’a eu de cesse de défendre l’identité et la culture.
Alors qu’il se destine à être géologue, un passage en 1973 sur « Radio Alger » change le cours de sa vie : il remplace au pied levé la chanteuse Nouara, et la chanson « Vava Inouva » fait le tour du monde à son insu, pendant qu’il effectue son service militaire. « Je suis arrivé au moment où il fallait, avec les chansons qu’il fallait », confie en 2013 à l’Agence France-Presse Idir, imprégné dès son enfance par les chants qui rythmaient tous les moments de la vie quotidienne.
Quand il quitte l’Algérie pour venir s’installer à Paris, en 1975, c’est sur la suggestion de la maison de disques Pathé Marconi. Il a terminé son service militaire, ses études, alors pourquoi pas quitter ce pays « avec un seul parti, un seul journal, où l’on nous envoyait des profs pour nous enseigner les fondements du marxisme et faire de nous de parfaits petits révolutionnaires », raconte-t-il. « Je suis venu enregistrer un 33-tours avec « A Vava Inouva », qui a bien fonctionné, et j’ai commencé à envisager de rester ici puisque la chanson m’avait choisi, mais toujours avec une valise prête à partir dans ma tête ». Car son pays, il ne l’a jamais oublié, attentif à toutes les tempêtes qui le traversaient…

L’Algérie « chevillée au corps »

En janvier 2018, Idir, qui militait pour la reconnaissance de l’identité culturelle de la Kabylie, était après une absence de 38 ans revenu chanter à Alger, pour le Nouvel-An berbère, « Yennayer ».

Dans une interview au Journal du dimanche, en avril 2019, il évoquait les manifestations populaires en Algérie, et le départ d’Abdelaziz Bouteflika :
« J’ai tout aimé de ces manifestations : l’intelligence de cette jeunesse, son humour, sa détermination à rester pacifique (…) J’avoue avoir vécu ces instants de grâce depuis le 22 février comme des bouffées d’oxygène. Atteint d’une fibrose pulmonaire, je sais de quoi je parle. De toute façon, nous sommes condamnés à réussir. Continuons donc à réfléchir en termes de nation algérienne vers le progrès. Si nous restons unis, rien ni personne ne pourra nous défaire » 

Une carrière en dents de scie

Idir, chantre de son pays, mais dont la popularité dépassait largement sa communauté, faisait où qu’il passe salle comble. De lui, le sociologue Pierre Bourdieu disait : « Ce n’est pas un chanteur comme les autres. C’est un membre de chaque famille. »
Sa discographie comporte sept albums-studio seulement, un chiffre qui ne donne pas idée de l’importance réelle de son œuvre. Une œuvre qui « contribue au renouvellement de la chanson berbère, et apporte à la culture berbère une audience internationale (Wikipedia) ». Il disparaît de la scène pendant dix ans, de 1981 à 1991, avant de voir sa carrière relancée.

À l’automne 1999, profitant de l’élan donné par ses compatriotes, Cheb Mami et Khaled, il signe son retour avec l’album « Identités », où il propose un mélange de la musique algéroise « Chââbi » et des rythmes empruntés aux genres occidentaux. Affirmant son désir de réaliser le mélange des cultures, il chante avec des musiciens venus de différents horizons, Manu Chao, Dan Ar Braz, Maxime Le Forestier, Gnawa Diffusion, Zebda, Gilles Servat, Geoffrey Oryema ; il est aussi accompagné par l’Orchestre National de Barbès.

En 2007 paraît l’album « La France des couleurs », en pleine campagne pour l’élection présidentielle française, alors marquée par des débats sur l’immigration et l’identité.

En 2013 c’est un nouvel opus, « Adora Inu, Ma montagne », qui sort en même temps qu’un grand concert à l’Olympia. Une ouvre intimiste, la plus personnelle, et comme un retour aux sources.

En 2017, il présente son dernier album, « Ici et ailleurs », composé en majorité de duos.

Et les hommages au chanteur se multiplient, rapportés dans « La voix du Nord » :

Zinedine Zidane : « Triste nouvelle. Nous venons d’apprendre la disparition d’un Homme que nous aimons profondément, un Homme courageux et un exemple. Tu as marqué mon enfance en famille. Je n’oublierai jamais notre rencontre. Repose en paix ! »
L’écrivain franco-algérien Kamel Daoud : « Il a su faire de nos racines de si belles récoltes, apaisées et généreuses »
François Hollande : « Idir a envoûté des générations entières au rythme de ses mélodies douces, généreuses et émouvantes »
Anne Hidalgo : « … un engagement humaniste »
Ferhat Mehenni, chanteur : « … un astre kabyle éclairant l’immensité de l’univers ! »

(Une compilation faite à partir de toutes les publications parlant ce jour du chanteur IDIR. Par Janine Bailly)
Fort-de-France, le 3 mai 2020