Je veux un pape ringard !

Par Solange Bied-Charreton, écrivain

 

Malgré l’extravagance de son accoutrement, il a bien fallu se rendre à l’évidence : le pape est un homme comme les autres. Mais il faut avouer que la décision qu’a prise Benoît XVI de nous quitter le 28 février a mis tout le monde K.-O.

Les uns ont versé dans le lyrisme de circonstance, faisant de lui un saint, un martyr de la cause. Un incompris victorieux, émouvant et sensible. Des milliers de mercis sont venus s’agréger sur les réseaux sociaux comme sur la tombe d’Elvis. Les autres se sont réjouis qu’il ne se sente plus tellement à la hauteur, car le monde va si vite et il ne comprend rien.

Il n’est plus adapté. Tel un téléviseur sans écran plasma qui nous ferait l’affront de vouloir rester encore parmi nous, il nous faut maintenant le descendre sur le trottoir et appeler les encombrants pour qu’ils l’emmènent à la décharge.

Dans la joie ou dans la tristesse, tous l’ont bel et bien enterré. Et pourtant Joseph Ratzinger respire encore ! Et il se pourrait même qu’il continue à croire en Dieu après la date de son départ.

Ou pire, qu’il pense encore très longtemps tout ce qu’il a écrit. Je trouve qu’il sort un peu tôt du drame mondial, il aurait tout de même pu attendre la mort.

Qu’allons-nous donc devenir sans Benoît XVI, ce repère idéal pour penser autrement, ce monument de ringardise ? Ce pape était tout ce qu’il nous restait, ou presque, d’intolérable.

AVORTEMENT ET D’EUTHANASIE

Il était encore pire que le précédent (il est vrai cette fois qu’ils avaient mis la barre assez haut : autant Jean Paul II avait l’air sympa, autant Benoît XVI n’a pas vraiment été cool avec nous).

Non seulement il n’est pas revenu sur les positions de l’Eglise catholique en matière d’avortement et d’euthanasie, mais en plus il a voulu engager le dialogue avec des intégristes.

Trentenaire urbaine, j’habite Paris depuis ma naissance. J’ai fait des études supérieures, voyagé aux Etats-Unis, appris à jouer de la guitare. Pris de la drogue, connu des hommes, visité des musées d’art moderne. J’ai su me confronter à des oeuvres dérangeantes, d’inspiration tribale, de facture révolutionnaire.

J’ai également écouté Rage Against the Machine sur mon iPhone, ces trublions du rap-metal qui dénoncent l’injustice et collent des moines bouddhistes en train de s’immoler sur les pochettes de leurs disques CD, en signe de solidarité avec les opprimés.

Je rêve d’un monde plus libre, où l’on pourrait faire ce que l’on voudrait, dans le respect des normes de sécurité et de respect mutuel.

J’aimerais donc profiter de ce moment de battement pour dire « merde » au pape, et Dieu sait que nous sommes nombreux à le vouloir. Ou bien que le nouveau pape soit différent des autres.

UN PAPE À NOTRE IMAGE

Nous voudrions d’un pape qui soit à notre image. Nous voudrions d’un pape à la portée de tous. Un pape si possible moins ancré dans le passé. Un pape assez ouvert pour discuter avec nous, par messagerie instantanée. Un pape pour régler tous nos problèmes de couple. Un pape trendy, qui laisserait un peu la théologie de côté. Un pape qui transforme les églises en espaces de prière et les confessionnaux en espaces détente.

Un pape qui enseigne le respect en classe, qui surveille les devoirs en salle de permanence, mais qui sait aussi se rendre accessible. Un pape à la croix pectorale de rappeur américain. Un pape qui rabat sa soutane au-dessus du genou quand il va à la plage. Un pape qui se la coule douce. Un pape de tolérance, un pape de résistance. Un pape que tu peux appeler quand tu te fais emmerder ou si t’as pas le moral. Un pape jeune et fort. Un pape grand et beau.

Une image positive, c’est mieux pour faire passer le message. Un pape pas toujours habillé pareil. Un pape dans chaque Kinder et dans chaque Happy Meal (et puis, par conséquent, un beau jour, un pape qui prend la place de Ronald McDonald : un pape qui brise enfin les tabous).

Un pape qui se prend pas la tête. Ou, mieux, un pape vintage, un pape dans son jus. Un pape customisé, en vitrine. Un pape Amélie Poulain, un pape souriant sur une affiche dans ma cuisine, avec un chapeau rouge à pompons et des gants en velours.

Un pape qui réinvente, un pape qui redécouvre, un pape qui revisite un peu le modèle papal. Un pape en papier peint, ambiance vide-grenier, qu’on achète d’occasion. Un pape qui fait classe à l’apéro, avec ses mots vieillis et ses signes de croix. Un pape décoratif. Le pape est le meilleur ami de l’homme.

Mais il faut bien avouer qu’un tel pape brouillerait nos repères, déjà si malmenés. Née en 1982, je n’ai pas eu le loisir d’assister à de très grands changements.

LA MONNAIE DE MA PIÈCE

Je n’ai pas vu la société évoluer, je n’ai pas non plus contribué à ce qu’elle évolue. J’aurais bien volontiers manifesté contre la loi instituant le contrat première embauche (CPE) en 2006, mais à ce moment-là je révisais un concours. On m’a laissée très libre.

En réalité, on ne m’a rien laissé que des doutes, on ne m’a rien offert que des choix infinis, mais on m’aura tout de même appris à trier mes ordures. C’est la monnaie de ma pièce, le revers peut-être bien.

« On m’a donné un modèle libéral, démocratique, on m’a donné un certain dégoût, disons désintérêt de la religion. »

Arnaud Fleurent-Didier, de huit ans mon aîné, est lui aussi venu un peu trop tard. Il l’a très bien traduite dans sa chanson France-Culture, cette absence de transcendance qui nous colle à la peau, cet évanouissement des fondamentaux, cette perte du sens. Cet impératif du fun qui est notre seul devoir. Ce droit au dialogue permanent qui ne nous contente pas.

Il nous faut des romans pour décrire cet après qui déteste l’avant. Il faudrait en nourrir chacune de nos fictions, voir comment des personnages, des trentenaires d’aujourd’hui, les bébés bienheureux de la génération Mitterrand, recréent leurs contraintes et s’enfoncent avec elles dans leurs contradictions.

Il apparaît crucial de montrer ce monde-là, de droits et d’amusement, si terriblement libre.

C’est la victoire que je vois, la joie à laquelle j’assiste, le résultat du combat de mes prédécesseurs. Le pape est resté debout, et on ne sait pourquoi, pour braver le sens de l’Histoire, pour nous prouver que certaines traditions n’ont pas encore été avalées par le présent sans fin.

Donnez-nous donc un pape qui ne soit pas d’accord ! Je veux un pape de fight, je veux un pape pour se clasher avec. Un pape qui dit « non merci » quand tu lui proposes un joint, qui refuse de participer à des free parties, crache sur nos jeans skinny et nos afters deep house. Qui rechigne à bouger son corps quand il est invité aux sets des meilleurs DJ de la planète.

UNE GROSSE BAGOUSE HORS DE PRIX

Un pape insupportable, irrécupérable, trop ringard, qui fait honte. Un pape que tu fais mine de pas connaître quand tu le croises dans la rue, parce que c’est quelqu’un qui a bien connu tes grands-parents et qui ne manque jamais de te le rappeler.

Un pape provincial. Un pape aux cheveux courts, rasés en brosse, et qui ne porte jamais de tee-shirt. Qui joue au bilboquet, qui sait danser la valse et qui fume des cigares.

Un pape-autorité, pour pouvoir la combattre. Un pape du Moyen Age, voire un pape archaïque. Un pape que je puisse facilement traiter de fasciste quand il dépasse les bornes.

Un pape avec un blason ridicule, plein de symboles bizarres, et une grosse bagouse hors de prix alors qu’il défend les pauvres, un pape toutes options, muni de fâcheux dérapages dans le domaine des moeurs, un pape d’erreurs de communication révélant sa vraie nature de pape.

Un repoussoir de rêves. Un empêcheur de changer le monde. Et vieux, s’il vous plaît, le plus vieux possible. Un pape qui tremble des mains, qui comprend rien aux jeunes, au monde moderne qui évolue. Et qui parle en latin. Et qui dit « Mademoiselle ».

JE VEUX POUVOIR CASSER DU PAPE

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Solange Bied-Charreton, écrivain

Solange Bied-Charreton, née à Paris en 1982. Elle a tenu un blog de critique littéraire et de billets d’humeur pendant cinq ans. « Enjoy », son premier roman, publié en janvier 2012 chez Stock, met en scène un jeune homme de 24 ans devenu prisonnier d’un réseau social inspiré de Facebook. Son prochain livre, en préparation, prolonge l’observation d’une société contemporaine prise en tenailles entre le loisir à tout prix et la recherche de ses fondamentaux historiques.