Une mannequin blanche peinte en noire, un scandale qui en dit long sur la mode

 

LE PLUS. Les photos du magazine de mode « Numéro » du mois de mars font parler d’elles. Pour une série baptisée « African Queen », le mensuel a préféré  maquiller un mannequin blanc plutôt que de choisir un modèle noir. Comment expliquer cette démarche ? Pour notre chroniqueuse, le monde de la mode est tombé bien bas.

Édité par Louise Auvitu  Auteur parrainé par Aude Baron

African queen dans Pour le magazine « Numéro » du mois de mars, Ondria Hardin a vu sa couleur de peau maquiller (« Numéro », Sebastian Kim)

C’est une polémique qui a fait le tour de la toile, Sebastian Kim a photographié pour le magazine français « Numéro » une mannequin blanche, maquillée en noire et vêtue de tous les clichés de la représentation africaine : bijoux ethniques, imprimés façon wax, coiffures savantes façon princesse peule à la Katoucha. 

La polémique a rapidement enflé, ici, ou encore ici, et puis ici aussi, ah, et là également, bref,un peu partout : comment aujourd’hui, peut-on, et alors même que la représentation des femmes noires dans les milieux de la mode est toujours minimaliste, comment peut-on prendre une mannequin blanche pour la grimer ainsi en fantasmagorie africaine ? Une pétition a même été lancée.

 Pourquoi prendre une mannequin noire quand on peut peindre une blanche a ironisé le blog Foudre.

Une défense maladroite, qui ne répare pas

Face à cette polémique, le photographe s’est défendu, le magazine également. Les deux se sont quelque peu renvoyé la balle. Le magazine défend la démarche artistique de son photographe, démarche cohérente avec ses travaux précédents qui insistaient sur le mélange des cultures, le métissage, « à l’opposé de toute idée de discrimination fondée sur la couleur de peau. » Mais toutefois, le magazine « Numéro » de présenter ses excuses et ses contre-exemples en expliquant que leur édition russe actuelle avait Naomi Campbell en couverture et que leur prochaine édition de mars aurait Fernando Cabral, un autre modèle noir.

De son côté, le photographe affirme que le titre même du reportage, « African Queen » a été choisi par le magazine, lui-même n’ayant pas eu volonté de présenter le portrait d’une femme noire ce qui changerait la perception qu’on en a.
 
« Notre idée et notre concept pour ce shooting mode étaient basés sur des femmes des années 1960 comme Talitha Getty, Verushka et Marissa Berenson, en   ‘inspirant du Moyen-Orient et du Maroc pour la mode. Nous ne voulions pas faire le portrait d’une femme africaine en peignant sa peau en noire. Nous voulions une peau bronzée et dorée mise en valeur comme un élément esthétique. »

Donc il s’agirait plus d’une « maladresse » de leur part qu’autre chose.

 La représentation de la femme africaine, plus fantasme que réalité

Sauf que cette série de photos, si elle se voulait une représentation du métissage avec « une peau bronzée et dorée », s’est admirablement roulée dans la caricature de la beauté africaine.

Une beauté certes noire, encore que métissée, mais c’est bien là toute sa « négritude ». L’africaine fantasmée, aux traits fins et occidentaux, aux cheveux plaqués ou mieux encore, lissés, à la longue silhouette en double zéro conforme aux standards de la mode.

 « Le problème est que ces gens projettent leur propre vision de la beauté noire. Celle qui entre dans leurs critères. Donner le visage idéal à leur idée de la beauté noire, une beauté aux traits plus caucasiens. Pour eux, la femme noire au naturel n’est pas belle », regrette Maryse Ewanjé-Epée, chroniqueuse de « Plus d’Afrique » sur Canal Horizons.

 Une beauté que ne vient pas contredire la présence effective des mannequins noires dans ce milieu trop fermé. Les rares à y avoir fait leur place n’ont de noir que la peau, pour le reste elles sont tout à fait conformes aux standards européens.

Il suffit d’ailleurs de lister les mannequins noires ayant marqué le milieu des défilés pour le réaliser. Jourdan Dunn, Arlenis Sosa, Chanel Iman, essilee Lopez, Selita Ebanks et les autres n’ont de noire que la couleur de peau.

 
Les femmes noires, peu représentées, mal représentées

Les mannequins noires ayant marqué la mode ressemblent à s’y méprendre à cette jeune demoiselle blanche grimée en africaine et ayant posé pour « Numéro ». Des mannequins aux traits blancs et à la couleur indéfinissable.

 

Cette beauté là n’existe pas plus que n’existent les top-modèles blancs qui s’étalent en couché glacé dans les magazines de mode, mais elle fait tout autant de dégâts voire davantage.

 

À cette irréalité de ces mannequins hors normes s’ajoute en effet la sous-représentation des femmes noires dans le milieu de la mode (82% des modèles défilant dernièrement à New York sont blanches, 6% noires), mais aussi dans bien d’autres secteurs tels que le cinéma, la télévision, la presse, la pub, etc. De moins en moins de noires dans les défilés, à Rio ou ailleurs, c’est pareil.

 

De fait, les excuses du magazine « Numéro » comme les explications de leur photographe ne viendront pas réparer les dégâts que peut occasionner une telle série de photographies qui ne fait qu’ajouter sa pierre à un mur déjà existant. Celui de la non-existence dans les médias des beautés noires qui le sont vraiment. Trop de Beyoncé, pas assez de Alek Wek.

Y compris en Afrique

Ces modèles de beauté, on les retrouve malheureusement en Afrique même. Dans la publicité notamment où les femmes noires sont souvent plus « afro-américaines » que afro tout court. À terme, cela devient une norme à laquelle se plier à tout prix pour des millions de femmes noires, malgré les réels efforts de quelques annonceurs pour s’affranchir de ces diktats. 

  

 

Cette norme qui poussent aujourd’hui des femmes noires à vouloir s’éclaircir la peau à tout prix, le blanc en ligne de mire, à se défriser les cheveux ou à porter des extensions, le lisse en idéal. Qui les pousse aussi à copier d’autres normes esthétiques au point de gommer ce qui fait leur identité.

 Des conséquences sociales, sanitaires, culturelles

Cela a des conséquences dramatiques sur leur propre estime, leur représentation intérieure, la perte d’une culture réellement africaine, mais aussi sur leur santé puisque nombre de ces « traitements » impliquent des risques sanitaires graves, qui contiennent des substances toxiques tels que les corticoïdes ou pire encore de l’hydroquinone.

 La femme africaine est belle telle qu’elle est, au naturel, encore faudrait-il le montrer ailleurs que dans des caricatures d’une Afrique de carte postale.

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