Je m’appelle Marc, j’ai 27 ans, j’ai appris ma séropositivité il y a deux mois

 

Ce flic «à l’allure de rugbyman» est depuis consigné dans un bureau. Il témoigne, à l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le sida, qui se tient le 1er décembre.

Je m’appelle Marc(1), j’ai 27 ans et j’assume mon homosexualité depuis maintenant dix ans. Je ne sais pas si c’est mon allure de rugbyman hétérosexuel ou si c’est ma discrétion, mais je n’ai jamais eu à souffrir de problèmes d’homophobie. Ni dans ma famille, ni dans mon entourage amical, ni au travail. Depuis six ans, je travaille pour l’Etat, je suis fonctionnaire de police. On pourrait croire que c’est un milieu difficile pour un homo, mais je n’ai jamais rencontré de discriminations, comme quoi la police peut aussi être exemplaire ! Jusqu’au jour où j’ai appris ma séroconversion au VIH.

C’était il y a deux mois, lors de mon passage au Kiosque infos sida et toxicomanie, établissement qui permet de faire des dépistages rapides (30 min) et anonymes. C’est là-bas que je me suis rendu compte que ce n’est pas facile d’apprendre sa séropositivité -j’ai dû être contaminé. J’étais dans la salle d’attente, je remplissais mon questionnaire anonyme concernant mes pratiques sexuelles et mes derniers dépistages. Un silence régnait. On a alors entendu un cri et des pleurs. «Non, pourquoi moi !» disait un homme au médecin qui venait de lui annoncer la positivité de son test. Idiotement, pour amener un peu d’humour à ce désarroi et pour ne pas laisser couler mes larmes à l’écoute de cette détresse, dans ma tête je me disais : «Je suis sauvé, statistiquement j’ai moins de chance d’être positif, il ne peut y avoir de dépistages positifs tous les jours ! Alors plusieurs fois par jour…» Je l’ai même envoyé à mon ami par sms. Oui, j’avais besoin de détendre l’atmosphère. Quelques minutes plus tard, c’était mon tour et j’ai eu le même résultat. Aucune réaction de ma part… Me disant, c’est la vie, tu as pris des risques alors assume-les, mon grand. Sois fort, bas-toi. Maintenant on n’en meurt plus… Mais pour mieux comprendre, j’ai été voir un, puis deux, puis trois médecins différents. Les rendez-vous médicaux, les analyses, m’ont imposé deux semaines d’arrêt maladie. C’est là que tout est devenu plus compliqué. Il était important pour moi de ne pas me laisser aller, retourner travailler.

Pour la reprise, visite médicale obligatoire , je vais voir le médecin de l’administration pour qu’il me donne l’autorisation de reprendre mon service.

Médecin : «Pourquoi avez-vous été arrêté ?»

Marc : «J’ai appris ma séropositivité au VIH.»

Médecin : «Très bien, je dois faire un signalement. Vous êtes interdit de voie publique, on vous retire votre arme, on se revoit dans un mois avec vos analyses, sinon ça va vous le supportez bien ?»

Marc : «Heu… oui , merci, au revoir !»

Moi qui croyais que ce n’était plus la mort de vivre avec le VIH, j’étais bien crédule. Jusque-là, je me battais pour me dire «ça va bien se passer, tu aura une vie comme tout le monde ! Vas-y Marc !» Et maintenant, va expliquer à tes collègues de boulot pourquoi tu dois rester au bureau. Dois-je me renier, dois-je renier cette maladie et inventer le plus gros mensonge du monde pour leur faire croire que je ne suis pas malade ? L’administration ne me laisse pas mettre mon nez dehors car je suis susceptible d’être contaminant, alors suis-je potentiellement contaminant pour mes collègues lorsque je suis au bureau ? Pourquoi ne m’isole-t-on donc pas dans une pièce à part ? Combien de collègues doivent vivre avec le VIH sans le savoir ? Ne sont-ils pas potentiellement plus dangereux, que moi qui prends désormais un traitement ? Pourquoi ne pas aller jusqu’à proposer un dépistage annuel obligatoire pour vérifier que tous les fonctionnaires sont «clean» ?

Oui, je pensais que ce serait facile de vivre avec le VIH, que les progrès médicaux me permettraient d’avoir une vie normale. Je me suis bien trompé… L’impact social est tellement grand. Même une administration, des médecins, me considèrent comme un danger public ! Venant de personnes qui ignorent ce qu’est le VIH, sur les moyens de protection ou les trithérapies d’urgence, je veux bien concevoir leurs craintes et leur ignorance. Mais je ne peux décemment pas accepter le rejet d’un médecin ! Dois-je me considérer comme un virus ambulant ? Comme un assassin potentiel ? Dois-je me laisser mourir avant de contaminer d’autres personnes ? Oui, ce sont les questions qui me viennent à l’esprit depuis cet entretien avec ce médecin de la police.

Le 1er décembre [Journée mondiale de lutte contre le sida, ndlr], ça fera tout juste deux mois que j’aurais appris que ma vie allait changer, pour d’autres ça fait vingt-quatre ans que, le 1er décembre, ils se battent ensemble contre le sida.  Mais comment changer les mentalités, une fois pour toute ? Informer les gens sur les moyens de prévention ou de lutte contre le sida, c’est bien beau, mais à un certain moment il faut aussi leur expliquer que le VIH ne s’attrape pas en éternuant, en buvant dans le même verre ou en travaillant dans le même bureau qu’un séropo.

(1) Le prénom a été changé.
Libé+ Tribune 30 novembre 2012 à 11:01 (Mis à jour: 1 décembre 2012 à 08:46)