Il y a 80 ans, l’entrée en Résistance de la Martinique. Nous avons encore du chemin à faire !

— Par Marie-Hélène Léotin —

1943 – 2023 : 80 ans de la Médaille de la Résistance

En Martinique, c’est le 29 juin 2023 qu’il fallait déposer une gerbe devant le monument aux morts de Fort-de-France

La Martinique, les Antilles ont porté leur contribution au grand combat du XXe siècle contre la barbarie et le fascisme, lors de la Seconde Guerre mondiale. On se rappelle la résolution votée par le Conseil général de Martinique, le 24 juin 1940, deux jours après la signature de l’armistice par le gouvernement français du maréchal Pétain qui capitulait devant les Allemands :

« Les Maires et Conseillers Généraux de la Martinique, réunis à Fort-de-France, proclament au nom de la population de l’île son indéfectible attachement à la France, sa volonté de consentir les derniers sacrifices pour parvenir à la victoire finale, par la continuation de la lutte aux côtés des alliés avec l’empire français d’Outre-mer, font un appel pressant à tous les citoyens pour assurer la continuité de la vie économique et administrative du pays dans l’ordre, par le travail, par l’esprit de solidarité et de sacrifice ».

On se rappelle la Lettre du jeune Résistant Tony Bloncourt (1921-1942), fusillé par les Allemands le 9 mars 1942. Tony Bloncourt est le fils d’enseignants guadeloupéens installés en Haïti. En 1938, il arrive à Paris pour poursuivre ses études. Dès 1940, il prend part aux premières actions de propagande organisées au Quartier Latin et entre dans un groupe de résistance active ; il participe aux missions armées menées par la Jeunesse Communiste du XIe arrondissement. Il est arrêté le 6 janvier 1942, emprisonné à la Santé, mis au secret avant d’être livré aux autorités allemandes. Jugé pour « activité de francs-tireurs », il est fusillé, avec d’autres jeunes compagnons, au Mont Valérien. Il écrit cette lettre à ses parents quelques heures avant qu’il ne soit fusillé :

« Maman, papa chéris,

Vous saurez la terrible nouvelle déjà, quand vous recevrez ma lettre. Je meurs avec courage. Je ne tremble pas devant la mort. Ce que j’ai fait, je ne le regrette pas si cela a pu servir mon pays et la liberté !… Toute ma volonté a été tendue pour assurer un monde meilleur… J’ai la certitude que le monde de demain sera meilleur, plus juste, que les humbles et les petits auront le droit de vivre plus dignement, plus humainement…

Je pleure ma jeunesse, je ne pleure pas mes actes… Tous, vivez en paix et pensez bien à moi. Je vous embrasse tous bien fort comme je vous aime… Pensez à moi. Adieu ! »

C’est cette lettre que je lisais à mes élèves, et non celle de Guy Môquet, autre jeune Résistant français fusillé par les Allemands, lettre imposée par le Président Sarkozy en 2007. Il existe des centaines de lettres de ce genre. Puisons dans notre fonds antillais et écrivons l’histoire du dedans.

Je suis une patriote martiniquaise. Je ne vais pas déposer de gerbe le 18 juin. Personne en Martinique n’a entendu l’Appel du 18 juin, pas plus en France d’ailleurs. La BBC a dû enregistrer à nouveau le fameux discours que nous connaissons. L’instant est important le 18 juin 1940 à Londres, mais l’instant fondamental de la Résistance française à l’extérieur est le moment où le général de Gaulle reçoit un territoire et des troupes en la personne du gouverneur Félix Éboué qui rejoint les rangs de la France Libre. Ce sont les colonies qui ont apporté à de Gaulle une armée et un territoire. De Gaulle peut se présenter devant les Anglais avec une France qui se bat, qui n’a pas baissé les bras comme au moment de l’armistice de juin 1940. Ce n’est pas un hasard si Félix Éboué est au Panthéon. Le gouverneur Éboué disait, dans un discours à la jeunesse guadeloupéenne en 1937 :

« A cette jeunesse que l’on sent si inquiète, si incertaine devant les misères de ces temps qui sont les misères de tous les temps… Jouez le jeu ! Jouer le jeu c’est être désintéressé. Jouer le jeu, c’est réaliser ce sentiment de l’indépendance dont je vous parlais il y a un instant. Jouer le jeu, c’est piétiner les préjugés, tous les préjugés, et apprendre à baser l’échelle des valeurs uniquement sur les critères de l’esprit… Jouer le jeu, c’est savoir prendre ses responsabilités et assumer les initiatives quand les circonstances veulent que l’on soit seul à les endosser… »

C’est le 29 juin 1943, il y a 80 ans, que nos hommes politiques font acte de Résistance face à l’Amiral Robert et au gouvernement de Vichy. Ce jour-là, la Martinique rallie officiellement les rangs de la France Libre à la suite d’une insurrection au Camp de Balata et d’une manifestation patriotique devant la caserne Galliéni (actuel Parc culturel Aimé Césaire) à Fort-de-France. Nous devons honorer nos Martiniquais et Martiniquaises qui se sont mis debout, au péril de leurs vies, pour défendre, certes la « Mère-Patrie », mais surtout les idées de liberté, de démocratie, d’égalité entre les hommes.

Extraits de mon intervention lors de la Séance Plénière de la CTM le 29 juin 2023 (le dossier portait sur les 110 ans d’Aimé Césaire ; j’ai élargi à la connaissance de notre histoire):

« Nous condamnons les personnes qui dégradent les monuments aux morts en disant qu’elles ne connaissent pas l’histoire de la Martinique. Mais nous non plus, nous ne connaissons pas l’histoire de la Martinique, car aujourd’hui, 29 juin 2023, nous aurions dû faire une minute de silence en hommage à ceux qui ont organisé une manifestation à Fort-de-France, il y a exactement 80 ans, car certains des acteurs étaient des conseillers généraux. Après l’insurrection du commandant Tourtet au camp de Balata, les Sévère, Rimbaud, Véry, Desportes, Symphor, Duféal, Gratiant, Dr Cognet, Réjon, ont organisé une manifestation devant la caserne Galliéni, bravant les troupes de l’amiral Robert. Ce jour-là, la Martinique entre en Résistance. Yo té ka fè, « au sens propre et au sens figuré », lamiral Robè pran lan mè sèvi savann ! Ces hommes et ces femmes qui ont agi ainsi il y a 80 ans, méritent une minute de silence. C’est vrai qu’il y a une conférence ce soir au Musée du Père Pinchon. C’est en rendant hommage à ces gens-là que nous consoliderons notre conscience historique et notre conscience nationale. »

La Martinique a une histoire. Puisons dans l’exemple de nos jeunes, du gouverneur guyanais Éboué, de nos hommes politiques, démocrates, républicains, communistes, socialistes, pour marquer les temps forts de notre histoire riche d’actes de bravoure et de résistance.