Il faut pouvoir nommer ce qui est détestable

— par Aimé Charles-Nicolas —

Des voix se sont élevées en Martinique pour que soit débaptisée la rue Blénac à Fortde-France. Gouverneur Général de la Martinique, il a fourni des informations à Colbert pour la rédaction de la première version du code Noir.

Depuis que la polémique est née aux Etats-Unis à propos de la statue du général Lee, plusieurs personnalités, en France, ont demandé que le nom de Colbert, auteur du Code Noir, soit retiré de l’espace public. En particulier Louis-Georges Tin du CRAN l’a qualifié d’ »acteur de la légalisation de l’esclavage » et »coupable de crime contre l’humanité ».

Dans sa lettre ouverte au maire de Fort-de-France, M. Monlouis-Bonnaire a récemment cité de moi des propos qui plaideraient pour le changement de nom de la rue Blénac. Je suis gêné. S’agissant de « mots détestables », je veux préciser ma pensée. Je ne crois pas qu’il faille supprimer les mots détestables. Il y a certes des mots à contenu détestable mais nous avons besoin de désigner les contenus détestables. Le mot en lui-même ne saurait être détestable. Vouloir supprimer des « mots détestables » du vocabulaire serait irréaliste. Au contraire il faut pouvoir nommer ce qui est détestable. Si Blénac est un mot à contenu détestable il faut que les historiens nous disent pourquoi. M. Monlouis-Bonnaire rappelle qu’Aimé Césaire qui avait été interrogé sur la question Blénac considérait que « comme architecte de la ville son nom devait continuer d’exister ».Cette réponse me semble lumineuse. Aimé Césaire nous indique la direction, celle de la complexité : il faut tout examiner. Nous devons disposer des faits historiques aussi complets que possible afin de ne pas décrédibiliser notre travail pour une mémoire juste.

Débaptiser des rues ? Déboulonner les statues ? Ma position est simple : Il est sain que le débat ait lieu. Poursuivons-le, au cas par cas. S’agissant de la statue du général Lee, il incarne la politique esclavagiste des Etats confédérés du sud. Il est, aujourd’hui, le symbole de la suprématie raciste et les suprémacistes blancs en ont fait leur héros ! Blénac est loin de cet enjeu. Et puis il ne s’agit que d’une rue. Installons des panneaux explicatifs contextualisant la décision de la nommer. Ne pas oublier que les gens au pouvoir ont pensé ainsi à un certain moment. Savoir que l’histoire a été écrite par les vainqueurs. Colbert ? Certains lycées portent son nom. S’agissant d’un établissement scolaire l’impact est plus ennuyeux que pour des rues portant son nom. D’une façon générale il faut rester prudent : débaptiser, c’est effacer la mémoire.

Les panneaux explicatifs s’inscrivent dans ce vaste mouvement de réappropriation de l’histoire de Foyal voulue par le maire M. Didier Laguerre et magistralement mise en oeuvre par nos historiens. Car notre objectif c’est justement de regarder en face notre passé pour aller de l’avant.

Aimé Césaire nous indique la direction, celle de la complexité : il faut tout examiner. Nous devons disposer des faits historiques aussi complets que possible afin de ne pas décrédibiliser notre travail pour une mémoire juste.
Aimé Charles-Nicolas