Face à la maladie, « il faut composer avec les croyances du patient »

— Propos recueillis par Marion Lecas —

Ghada Hatem-Gantzer est gynécologue à l’hôpital de Saint-Denis et médecin-chef de la Maison des Femmes. Elle intervient dans les formations des équipes mobiles franciliennes et leur apprend à se débarrasser de leurs biais culturels pour mieux « faire alliance thérapeutique » avec les patients.

La Croix : Comment les bénévoles des équipes mobiles, mobilisées contre l’épidémie de Covid-19, doivent-ils composer avec les différences culturelles des patients ?

Ghada Hatem-Gantzer : Il n’est évidemment pas possible de connaître toutes les cultures et leurs subtilités. Mais il faut, lorsqu’on se rend chez quelqu’un, se débarrasser de ses préjugés et être prêt à tout entendre. Le plus important est de s’adapter. Quelles que soient les croyances du patient, il faut composer avec, ne pas considérer que ce qu’il dit est stupide, que la seule vérité repose dans la solution hydroalcoolique et le masque, mais partir de ses habitudes.

Ghada Hatem-Gantzer, celle qui répare les femmes

Quelqu’un qui ne jure que par la médecine traditionnelle par exemple, et qui soigne un cancer par des tisanes, ne doit pas y renoncer, l’effet placebo étant important, mais doit l’allier à une chimiothérapie. Le but n’est pas de diviser, mais de réunir, afin que les patients comprennent qu’ils ne vont pas renier leurs cultures en acceptant d’autres thérapeutiques.

Pour que le patient adhère aux propositions de soin, il ne doit pas se sentir jugé, ni méprisé. Les bénévoles doivent adopter une posture d’humilité et d’ouverture, afin que s’opère ce que l’on appelle « une alliance thérapeutique ».

Quelles sont les principales différences culturelles, face à la maladie, que vous avez pu constater, lors de vos visites à domicile en Seine-Saint-Denis ?

G.H-G. : Certaines cultures, d’abord, sont particulièrement fatalistes. Dans des pays arabophones, quelle qu’en soit la religion, le maître mot est parfois « mektoub », autrement dit « c’était écrit », « quoique tu fasses, cela n’y changera rien ». C’est une philosophie qui amène souvent les gens à être hostiles aux propositions de soin. D’autres, comme mes patients d’Afrique subsaharienne chez qui les croyances coutumières sont très fortes, demeurent convaincus que la maladie n’arrive pas par hasard, qu’il s’agit d’une punition infligée à cause d’une faute passée, ou de la jalousie d’un autre.

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Je rencontre des problèmes concernant les actes préventifs également : chez des patients, chercher un mal qui n’existe pas encore n’a pas grand sens. D’autant que beaucoup craignent qu’on les irradie, ce qui pose des difficultés pour les mammographies par exemple. Nous devons impérativement comprendre que tout le monde n’a pas le même référentiel que nous. Un autre exemple : alors qu’en Occident, on traque les kilos, dans d’autres pays on gave les jeunes filles, car une personne qui maigrit est aussitôt associée au sida.

En quoi ces visites à domicile sont-elles bénéfiques ?

G.H-G : Elles permettent une « médecine sociale » qui appréhende au mieux les contextes de vie et diminue significativement le taux de mortalité, ainsi que le recours aux établissements de santé. Et on le sait, c’est un gain précieux en ces temps où les délais d’attente sont catastrophiques. Le terrain a également tendance à conforter les jeunes ou futurs médecins dans leur vocation.

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C’est d’autant plus important que lorsque vous êtes étudiant en médecine, vous venez généralement d’un milieu culturel plutôt aisé, vous évoluez toujours dans les mêmes cercles, avec l’impression que c’est ça, la vie. Alors parfois, le choc est très rude lorsque vous arrivez dans des hôpitaux comme celui de Saint-Denis !

Il est donc extrêmement utile que les jeunes soient confrontés très tôt à des cultures et des individus différents d’eux. Les facultés de médecine devraient d’ailleurs mettre en place des cours consacrés à mieux comprendre le patient, à partir de son environnement culturel et social.

Propos recueillis par Marion Lecas

 

Source : LaCroix.com