Et dans le trou de mon cœur, le monde entier

— Par Michèle Bigot —
De Stanislas Cotton
M.E.S. Bruno Bonjean
Festival d’Avignon Off, 11 Gilgamesh Belleville 6=>28/07 2017
Le dispositif scénique annonce la couleur : trois échafaudages imbriqués, ils forment passerelle, plateau, support d’acrobaties. Quand on entre, sept jeunes comédiens (trois garçons, quatre filles) tournent déjà autour du plateau. Le sol est jonché de morceaux d’étoffe, des débris, des morceaux d’écorce, allez savoir ! quelques fripes sont accrochées aux barres du praticable. Les acteurs se préparent, ils s’échauffent, s’étirent. La musique monte en puissance, l’échauffement s’organise en chorégraphie. Une logique chorale se met en place. Des corps jeunes, nerveux et souples. Impatients d’en découdre.
Surgit alors la parole : c’est timide, au début, c’est un dialogue qui s’instaure en front de scène entre deux filles, Dorothy et Minou. Elles sont devant une décharge : Dorothy rêve de balancer le « pater »  et la « « mater dans la fosse à ordures. Délire d’ado. Et puis elle a envie d’un burger. Son plan, c’est d’entraîner Minou au BurgerPalace. Mais voilà, Minou elle n’en veut plus des burgers. Elle a mal au ventre. Elle s’est fait violer par un copain qui puait le burger, alors elle, le burger…
Le ton est donné : c’est la balade de trois couples de gamins qui se cherchent, se provoquent, rêvent et tirent à boulet rouge sur une société qui leur réserve la guerre, la précarité, l’ennui et/ou la violence. Après les filles, c’est au tour des garçons : autre échange fragmentaire, heurté, où se croisent les obsessions de mecs, la baise, la fumette, la rivalité, la concurrence, et les échanges musclés. Assaut de testostérone, malaise des uns, provocation des autres, rien que de l’ordinaire, une tranche de vie brutale et tout à la fois innocente. Il y a ce qu’on affiche, et puis tout ce qu’on ne dit pas, mais que chacun devine, dans les postures, le maintien, le geste, les mimiques, les fringues. Tout cela compose un théâtre très physique, rythmé, jubilatoire, parfois drôle, souvent amère.
C’est la vie des jeunes, bien loin des fantasmes de la publicité. En somme no future ! Et chacun suit son obsession, en cherchant une porte de sortie. L’air de rien, ils rêvent quand même d’amour et de tendresse, mais on ne va pas non plus l’afficher ! ça manquerait un peu de virilité !
Et les filles, elles se mettent au diapason. Il y en a des plus chanceuses, bien roulées, toujours désirées, et puis il y a la « loose » : celles qui ont droit au viol ou aux accouchements clandestins, aux mères détraquées. Il faut bien qu’elles surnagent dans cet océan de boue ! Alors on joue à harceler une autre nana sur les réseaux ; de préférence une chinetoque ! Et quand la victime se jette par la fenêtre, franchement, on n’y comprend rien !!
Le dialogue déroule ses méandres, ses caprices. Il va en bondissant de fragment en fragment, syncope des paroles, pour une vie hachée, ou encore bribes de monologue halluciné. L’impression que le texte s’écrit en direct devant nous. Et les corps suivent le rythme bondissant : on saute, on court, on roule, on grimpe. Mouvement perpétuel : les gars comme des chiens qui s’ébrouent, les filles comme des poupées bondissantes. On est la marionnette de sa propre vie. On surjoue sa jeunesse.
Mais le manège enfiévré va bloquer brutalement. Une vision comme une déflagration. Apparaît une autre figure de femme, beaucoup plus inquiétante. Aussi jeune, mais totalement dévastée par l’enfer d’où elle revient. La guerre siffle la fin de la partie, dans sa réalité la plus brutale. C’est le clou du spectacle. L’horreur est devant eux. Cette fois c’est plus de BurgerPalace qu’on parle !
Musique électro dévastatrice, vision infernale. La terre s’ouvre sous leurs pieds. Le texte haletant trouve ici son acmé. C’est un monde sans pitié, c’est le monde d’aujourd’hui pour les jeunes d’aujourd’hui. Pas de quoi pavoiser. Les rêves, les fantasmes, les rires et les larmes viennent se briser sur l’obscénité de la guerre, face à la figure hagarde du vétéran : c’est Lila Louise Guili. Elle a un nom angélique, mais c’est une terre brûlée. Fin de partie !
Michèle Bigot
Madinin’Art

 

Et dans le trou de mon cœur le monde entier de Stanislas Cotton
Mise en scène Bruno Bonjean
Avec Gautier Boxebeld, Emma Gamet, Grégoire Goujon, Lisa Hours, Nicolas Luboz, Laura Segré, Béatrice Venet
Compagnie Euphoric Mouvance

Photo Anfré Hébrard

11 • Gilgamesh Belleville – 6 > 28 juillet 2017
www.11avignon.com – Réservations : 04 90 89 82 63
10h25 (1h35) – à partir de 12 ans – relâches 11, 18, 25