« Quartier de femmes » : une pièce de théâtre sous haute surveillance !

17 & 18 juillet 2017  19 h Centre Culturel Aliker à FdF

— Par Aïnos —

Où étiez-vous ce mardi 4 juillet 2017 ? Vous ne vous en souvenez plus ?
Eh bien, je ne risque pas d’oublier, parce que moi j’ai passé une soirée mémorable. Pour la première fois de ma vie, j’ai foulé le sol de la petite salle de spectacle du Centre culturel Gérard Nouvet de Coridon, un quartier de Fort-de-France. Petite mais tellement chaleureuse.
Aux aurores, j’ai reçu le message d’une amie, appelons-la Denise. Mais en fait elle interprétera le rôle de Mauricette dans la pièce.
Elle m’a invitée à l’avant-première d’une pièce de théâtre, écrite et mise en scène par José Alpha. Pour ceux qui ne connaissent pas ce monsieur, sachez qu’il est né à Fort-de-France, qu’il est comédien, dramaturge, metteur en scène, directeur d’acteurs et formateur.

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19 H 30. Le public invité à l’avant-première s’est installé sur les quelques chaises mises à sa disposition et attend, le cœur haletant. Ils ont entendu dire que la pièce avait un titre assez original mais c’est tout ! Quartier de femmes ?!
José Alpha est à l’étage, pour avoir une meilleure vue d’ensemble sur les acteurs. En fait, il s’agit de trois actrices. Que raconte cette pièce ? Il s’agit de trois femmes, liées par un même destin : elles se retrouvent toutes les trois dans le dépôt du tribunal. Et elles vont raconter au public leurs petites misères. Qui s’amplifieront au fur et à mesure qu’elles exprimeront leur détresse de femmes. Dans une atmosphère lourde parfois mais tellement réelle. Avec talent, les trois comédiennes vont nous apprendre ce qui les a conduites dans cet huis-clos. Personnellement je ne connais que Denise et j’ai hâte de découvrir ses comparses. Non, je ne connais pas vraiment Denise car je ne l’ai jamais vue sur une scène. Avec des mots choisis, empreints de sensibilité, une légère pointe d’humour, déclenchant des rires discrets parfois, elles témoignent. Avec gravité car l’heure n’est pas au rire. Et nous apprenons que Zieuver a une fille mais que celle-ci est la prunelle de ses yeux. Alors elle ne supportera pas qu’un homme, un monstre, ose s’en prendre à ce qu’elle a de plus cher. Et même si elle doit y laisser la vie, peu importe. De toutes les façons, les hommes sont tous des monstres. Zieuver s’exprime avec rage, en français parfois, en créole souvent car sa langue maternelle traduit mieux cette haine, qu’elle a envers celui qui voulait détruire la vie du fruit de ses entrailles, et donc sa propre vie. Zieuver crie parce qu’elle ne peut garder sa souffrance plus longtemps. Et le public, attentif, crie en même temps qu’elle, parce qu’il est sensible à sa douleur de mère.
Mauricette, alias Denise, est une simple d’esprit mais très vite on se laisse emporter par la fragilité de cette grande femme, mince, tellement attendrissante malgré son air bête parfois. Quelle femme ne pourrait s’identifier à elle, quelle femme n’a jamais aimé au point de mettre tout de côté, pourvu que son homme la désire jusqu’à la fin des temps ? Mauricette joue avec tant de maestria, qu’on en oublie même qu’elle est simplement entrée dans son personnage. Quelle naiveté mais aussi quelle grandeur d’âme ! On en arrive même à ne pas lui en vouloir si elle s’est retrouvée derrière ces barreaux qui ne sont pas seulement imaginaires. Elle a agi par amour. Comme beaucoup d’autres avant elles. Alors même si elle se contorsionne habilement sur la scène pour exprimer son malaise, voire sa douleur, même si elle donne l’impression qu’elle pourrait succomber à n’importe quelle force maléfique symbolisée par celui qu’elle adulait, on ressent sa force, et on vit sa propre dignité. Comme elle sait le faire finalement. Elle a été trahie donc elle avait ses raisons. Ses mouvements dégingandés trompent sur son équilibre .Elle restera debout, jusqu’à sa chute finale présupposée.
Francetta, une jeune espagnole originaire de Saint-Domingue, ondule sur la scène, et si de temps en temps, elle revient à la dure réalité de ses comparses d’infortune, on ne peut que louer son courage quand elle décrit la scène abominable qui l’a enchaînée dans cet enfer.

Elle chante parfois, et même si le ton est juste, elle nous rappelle aisément que la vie n’est pas qu’une succession de chimères. Il faut affronter son destin alors elle nous entraine, nous tendant presque la main.
José Alpha se dépasse une fois encore. Le décor, inexistant à l’œil nu, est là pourtant. Derrière la cruauté des termes, sous les traits de la justice implacable dont les trois actrices sont les victimes. Une société n’accepte pas de tels travers. On ne tue pas gratuitement. Mais si de solides raisons les ont poussé à commettre l’irréparable, ces trois femmes ne sont-elles pas finalement que les jouets de leurs amours destructeurs mais tellement envahissants ?
J’ai adoré cette pièce. Non pas parce qu’elle a été jouée par trois femmes aussi différentes les unes que les autres. Mais parce que Mauricette a touché ma sensibilité, au point d’en oublier qu’elle n’était plus Denise mais un personnage digne d’un grand jeu théâtral.
J’ai aimé Zieuver parce que je me suis identifiée plus d’une fois à cette mère, capable du meilleur comme du pire pour protéger sa progéniture.
J’ai admiré Francetta qui, au-delà du monde laid dans lequel elle évoluait à l’extérieur de ces barreaux, a su faire partager sa joie de vivre avant qu’elle ne batte une de ses semblables à mort. Francetta chante, et tout son corps chante avec elle. Le rythme presqu’endiablé a transformé ses maux en mots, identiques à des notes de musicalité qui semblent exister pour nous entrainer dans son univers. Fût-il carcéral.
Allez voir cette pièce de théâtre jouée par et pour des femmes. Allez voir cette pièce provoquée par des hommes tellement cruels.
Mais le théâtre n’est-il pas fait pour cela : oublier que l’on peut se dépasser, même si cela ne dure qu’une heure ? Une heure de pur plaisir.
AINOS

Adaptation, mise en scène et conception José ALPHA • Comédiens Cristèle CALIXTE, Denise DUCART, Stéphanie ROME.