Coup de vieux sur les Antilles

Par Daniel Bastien

Les populations de Martinique et de Guadeloupe étaient les plus jeunes de France. En 2040, elles seront parmi les plus vieilles. Emigration, baisse de la fécondité, retour des retraités participent à ce basculement rapide, qui impose de nouvelles gouvernances.

Le vieillissement des populations antillaises

Il y a de quoi être tétanisé par le profil spectaculaire des graphiques d’évolution de la population de la Martinique. Il bouscule toutes nos convictions.  « Le phénomène est très brutal, car extrêmement rapide », reconnaît Claude-Valentin Marie, directeur scientifique de la récente et vaste étude « Migration, famille, vieillissement » qui vient d’être publiée par l’Ined et l’Insee, la première du genre en France, et portant sur quatre départements d’outre-mer français. En trois pyramides des âges, dont la transformation conduit à leur quasi-inversement, le vieillissement « massif » de la population martiniquaise depuis les années 1960 saute aux yeux, totalement comparable à celui de l’île soeur guadeloupéenne.  « Aux Antilles, la transition démographique s’est opérée en à peine cinquante ans là où, en Europe, il a fallu plus d’un siècle et demi», explique le chercheur, ce qui laisse deviner  « l’ampleur des bouleversements accélérés dont ces sociétés sont aujourd’hui le théâtre ».

Les îles font face à une redoutable équation qu’on peut lire sur des pyramides qui, à ce niveau de déséquilibre des tranches d’âge, confinent à l’archétype et à l’épure. On y constate, dans les échancrures, l’envol régulier et en grand nombre des étudiants et jeunes actifs diplômés entre 20 et 35-40 ans vers la Métropole, les Etats-Unis, le Canada, ou même la Chine. Les Antilles sont des terres d’émigration depuis l’organisation par l’Etat de la migration des « Domiens » vers une métropole avide d’« OS de la fonction publique » (hôpitaux, PTT, police…) au moment même où la fin de l’économie de plantation menaçait les deux îles d’explosion sociale. Et leurs problèmes d’emploi n’ont pas calmé ce penchant. Le resserrement de la base de la pyramide reflète de son côté la chute de la natalité due à la baisse de la fécondité à des niveaux « métropolitains », effet de politiques anti-natalistes des années Debré et du planning familial.  « Il n’y a pratiquement pas eu de transition entre une génération qui faisait jusqu’à 10 ou 15 enfants, et celle qui n’en fait qu’un seul ou pas du tout. On paye aujourd’hui les graines semées il y a trente ou quarante ans », explique la sociologue Juliette Smeralda, de l’université des Antilles-Guyane. On y voit enfin le renflement du sommet de la pyramide en forme de champignon, marque de l’accélération d’un vieillissement fruit de l’allongement de la vie et du retour des retraités de métropole. Derrière ces pyramides, on peut donc à la fois voir se dessiner une histoire sociale des Antilles modelée par des politiques très volontaristes, mais surtout apparaître toutes les questions qui se posent pour l’avenir. Car le cas antillais est tout sauf anecdotique : à la pointe de ces dynamiques démographiques,  « la situation des Antilles préfigure les enjeux et les difficultés auxquelles devront faire face certaines régions de métropole si rien n’est engagé », estime Claude-Valentin Marie. Elles en sont le miroir grossissant.

Risques pour la cohésion sociale

Si l’image d’une natalité généreuse et galopante colle encore à ces îles tropicales où plus de la moitié de la population avait moins de 20 ans au début des années 1960, cette réalité a déjà vécu. La population décroît depuis 2006 et  « tous les ingrédients sont réunis pour faire de la Martinique un pays de vieux, dans lequel il est prévu que 40 % de la population aura plus de 60 ans en 2040 », explique Georges Para, ancien chef du service régional de l’Insee à Fort-de-France et aujourd’hui directeur général de l’Institut martiniquais de statistique et d’évaluation des politiques publiques (Imsepp). Les jeunes de moins de 20 ans seront moins nombreux que les vieux dès 2020… Martinique et Guadeloupe, qui étaient les régions les plus jeunes de France, vont ainsi tenir – avec la Corse qui, elle, en a l’habitude – le peloton de tête des régions les plus vieilles de France… devant le Limousin.

Statistiquement, cela signifie à l’horizon 2040 la contraction d’un quart du nombre des actifs par rapport à 2011, une saignée dans les rangs des élèves et étudiants, le recul de 15 à 20 % du revenu global, et dès les années 2030 un rapport affolant de trois personnes dépendantes pour une ayant un emploi. Concrètement, ce sont de profondes transformations des structures de consommation, du marché du travail et des modes de vie, de nouvelles précarités et inégalités et, au total, des risques pour la cohésion sociale. Cela veut surtout dire dès aujourd’hui l’émergence d’un formidable problème de dépendance des personnes âgées.  « Il y a de quoi être inquiet », témoignent nombre de responsables économiques.

Les Echos.fr| 25/01 | 07:00

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