Charte sur la politique des langues dans la Caraïbe créolophone

Compte-rendu et traduction

Rodolf Etienne

Coordinateur Caraïbe de l’Organisation Internationale des Peuples Créoles

Membre de Tous Créoles – Martinique

 

 

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Professeur Hubert Devonish de l’Université Mona (Jamaïque)

Après deux journées de rencontres, la cinquantaine de participants à la conférence délibérait sur les dispositions définitives des articles du document, et produisait la Charte qui dorénavant balisera le cadre régional avec pour mission d’aider à résoudre les problématiques liées aux langues régionales de la Caraïbe créolophone. Le professeur Hubert Devonish, Coordinateur de l’Unité Jamaïcaine des Langues (UJL) et Président de la Conférence Internationale sur le Droit et la Politique des Langues, estime, pour sa part, que l’étape essentielle reste l’approbation, la validation et l’adoption de la Charte par les gouvernements, le secteur privé et les associations de la région Caraïbe.

Plusieurs thèmes étaient débattus durant ces journées : dans le cadre scolaire : le Créole et les Langues Internationales comme langues de l’écrit, médiums de formation et comme sujets dans les programmes d’études ; la formation des enseignants dans le double emploi du Créole et des Langues Internationales à l’école ; tests et évaluations des capacités langagières des élèves ayant le Créole comme langue maternelle ; hors du cadre scolaire : attitude publique et parentale vis-à-vis du Créole et des Langues Internationales à l’école ; droit des langues dans la législation (le Système Légal, l’Administration Publique ; politique sur les Langues Indigènes Menacées (responsabilités des Etats dans la conservation et l’accessibilité publique des Langues Indigènes Menacées dans l’usage et l’information concernant leur histoire, leur structure et leur contexte culturel ; la nécessité (par les Etats) de protéger ces Langues Indigènes Menacées)).

Au rang des invités, on comptait les Chefs d’Etats et Gouverneurs Généraux de Belize et Sainte-Lucie ; les ministres de la Culture, de l’Education et de la Justice ou leurs représentants respectifs des pays suivants : Jamaïque, Haïti, Guadeloupe, Belize. En dehors de la Caraïbe, Cap-Vert, U.S.A et France figuraient parmi les invités académiques et du milieu scolaire. On aura apprécié aussi la participation de groupes locaux ou organisations : la Société Biblique des West-Indies, l’Association Jamaïcaine des Sourds, l’Association Jamaïcaine des Enseignants.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Charte sur la politique et le droit des langues de la Caraïbe créolophone

(Extraits)

 

Préambule

Les Etats caribéens créolophones, partenaires de la Charte de la politique et du droit des langues de la Caraïbe créolophone, réunis à Kingston, en Jamaïque les 13 et 14 janvier 2011,

 

Considérant que les partenaires cités sont tous signataires des textes internationaux fixant les droits relatifs à l’usage des langues dans le système éducatif et dans l’administration publique tels que :

La Charte des Nations Unies ;

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948;

L’Engagement International sur les Droits Civils et Politiques de 1966 ;

Et la Convention Américaine sur les Droits de l’Homme de 1969 ;

Au regard de la Charte des Nations Unies, qui, dans les grandes lignes de ses principes, encourage le respect des droits de l’Homme et la liberté fondamentale pour tous sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion (Article 1(3)) ;

Au regard de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (Article 2) et de L’Engagement International sur les Droits Civils et Politiques (Article 2) qui déclarent que « chacun jouit de tous les droits et libertés décrites respectivement dans la Déclaration et dans l’Engagement, sans distinction d’aucune sorte, tel que la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou autres, l’origine nationale ou sociale, la propriété, la naissance ou tout autre statut » ;

Considérant que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (article 7) et que l’Engagement International sur les droits Civils et Politiques (Article 26) prescrivent le droit à l’égale protection de la loi et la protection contre toute discrimination ;

(…)

Considérant que l’Engagement International sur les Droits Civils et Politiques (Article 14) et la Convention Américaine des Droits de l’Homme (Article 8) garantissent le droit pour une personne accusée d’être assistée, sans frais, par un interprète s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue de la Cour ;

Considérant que l’Engagement International sur les Droits Civils et Politiques prévoit que dans les Etats ou existent des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent voir leur droit dénier, en communauté avec les autres membres de leur groupe, d’apprécier leur culture, d’enseigner et de pratiquer leur propre religion, ou d’utiliser leur propre langue ;

Au regard des principes édictés dans l’article de 2003 relatif à la Position de l’UNESCO sur l’Education, qui a pris en compte la multiplicité des outils standards d’apprentissage dans l’éducation des langues ;

Reconnaissant que certains pays créolophones de la Caraïbe sont bi/multilingues, et qu’en plus de(s) langue(s) créole(s) respective(s) parlée(s) dans ces pays, où il existe une langue européenne dominante, existent d’autres langues non indigènes au pays et, dans certains cas, des langues de populations indigènes ;

Reconnaissant qu’une majorité de personnes dans les pays créolophones de la Caraïbe parlent une langue créole en tant que première langue et que beaucoup de langues créoles de la Caraïbe, bien que largement parlées dans leurs territoires respectifs, ne sont pas aussi largement acceptées comme langue de communication dans l’administration publique et l’éducation dans leurs territoires respectifs ;

Reconnaissant que les langues indigènes des pays créolophones de la Caraïbe sont menacées ;

Estimant que des droits spécifiques aux langues sont nécessaires dans les pays créolophones de la Caraïbe afin d’assurer la reconnaissance et pourvoir au plein effet des droits édictés dans les différents documents dont sont signataires les parties citées, afin de développer la communication entre les institutions publiques et gouvernementales, afin d’améliorer l’éducation et de protéger la connaissance culturelle et les traditions ;

Considérant qu’un document international sur le droit des langues dans la forme de la Déclaration Universelle des Droits des Langues de 1966 a été élaboré, qui définit des principes et des droits concernant les langues et leur utilisation dans des sphères variées telles que l’administration publique, l’éducation, les médias, la sphère socio-économique et la culture ;

Considérant que la Déclaration Universelle des Droits des Langues prend en compte divers textes définissant les droits relatifs aux langues incluant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et l’Engagement International sur les Droits Civils et Politiques ;

Tenant compte des mesures prises par la Déclaration Universelle sur le Droit des Langues et estimant leur pertinence et leur applicabilité aux pays créolophones de la Caraïbe ;

Sont d’accord sur ce qui suit :

1ère Partie : Concepts et principes généraux

Article 1

1. La présente Charte considère comme une communauté de langues toute société humaine établie historiquement dans un espace territorial particulier, que cet espace soit reconnu ou non, qui a développé une langue commune comme moyen naturel de communication et de cohésion culturelle parmi ses membres. Le terme langues territoriales (régionales) fait référence aux langues historiquement établies dans un territoire particulier autant que la langue européenne traditionnellement utilisée dans le territoire comme langue officielle.

(…)

Article 2

1. La présente Charte considère que, où que cohabitent différentes communautés de langues, les droits formulés dans cette Charte doivent être exercés sur une base de respect mutuel et de telle sorte que la démocratie soit garantie de la meilleure façon qui soit.

(…)

Article 3

1. La présente Charte considère les termes suivants comme des droits personnels inaliénables qui doivent s’exercer dans toutes les situations:

– Le droit d’être reconnu en tant que membre d’une communauté de langue ;

– Le droit d’utiliser sa propre langue aussi bien dans le domaine privé que dans le domaine public;

– Le droit pour chacun d’utiliser son propre nom ;

– Le droit d’échanger et de s’associer avec d’autres membres d’une communauté de langue ;

– Le droit de maintenir et de développer pour chacun sa propre culture ;

2. La présente Charte considère que les droits collectifs des groupes de langue doivent inclure les termes suivants, en addition aux droits attribués aux membres des groupes de langue dans le précédent paragraphe, et en accord avec les conditions énoncées dans l’article 2.2 :

– Le droit pour leur propre langue et culture d’être enseigné ;

– Le droit d’accès aux services culturels ;

– Le droit à une équitable présence de leur langue et culture dans les médias ;

– Le droit à l’attention dans leur propre langue par les corps de gouvernements et dans les relations socioéconomiques.

 

Article 4

(…)

2. La présente Charte considère, d’autre part, que l’assimilation, terme qui sous-entend une certain forme d’acculturation dans la société d’accueil, de telle sorte que les caractéristiques de la culture originale soient remplacés par des référents, formes et valeurs de conduite de la société d’accueil, ne doivent en aucun cas être forcée ou induite et peut seulement être le résultat d’un choix personnel et libre.

(…)

Article 10

1. Tout un chacun a le droit d’exécuter, dans sa propre langue, toutes les activités du cadre public, à condition que ce soit une langue du territoire où il/elle réside.

2. Tout un chacun a le droit d’utiliser sa langue dans le cadre personnel et familial.

(…)

2ème Partie : Administration publique, corps officiels et cadre socioéconomique

Article 12

1. Toutes les communautés de langues sont autorisées à faire usage officielle de leurs langues territoriales (régionales) dans leur territoire.

(…)

Article 13

Tous les membres d’une communauté de langue ont le droit de communiquer et d’être assisté par les autorités publiques dans leur propre langue.

 (…)

Article 15

Toutes les communautés de langues utilisant les langues régionales ont droit, pour ce qui concerne les textes de lois et toutes autres provisions légales qui les concernent, à des publications dans leurs langues.

Article 17

1. Tout un chacun a le droit, dans les courts de justice situées dans un territoire, d’utiliser les langues historiquement parlées dans ce territoire, autant oralement que dans l’écrit. Les courts de justice doivent utiliser la langue régionale du territoire dans leur actions internes et, si tenant compte du système légal en place dans le pays, la procédure doit être poursuivit dans un autre territoire, l’utilisation de la langue originelle doit être maintenue.

(…)

Article 21

1. Dans le territoire de sa communauté de langue, tout un chacun a le droit d’utiliser sa propre langue avec une pleine validité légale dans les transactions économiques de tous types, tels que la vente et l’achat de biens et services, opérations bancaires, d’assurance, contrats de travail et autres.

(…)

Article 24

1. Tout un chacun a le droit d’utiliser la langue propre au territoire dans ces relations avec les sociétés, les établissements commerciaux, les corps privés et d’être servi ou de recevoir une réponse dans la même langue.

(…)

3ème Partie (a) Education

Dans les écoles

Article 26

1. L’Education doit aider à entretenir la capacité d’expression linguistique et culturelle des communautés de langues du territoire d’où qu’elles proviennent.

2. L’Education doit aider à maintenir et développer les langues parlées par les communautés de langues du territoire d’où elles proviennent.

(…).

4. L’éducation doit toujours être au service de la diversité linguistique et culturelle et de l’harmonisation des relations entre les différentes communautés de langue à travers le monde.

(…)

Article 27

Toutes les communautés de langues sont autorisées à avoir à leur disposition tous moyens humains et matériels nécessaires afin d’assurer la présence de leur langue dans la mesure qu’elles le souhaitent à tous les niveaux de l’éducation dans leur territoire : enseignants suffisamment formés, méthodes d’enseignement appropriés, ouvrages, moyens financiers, infrastructures et équipements, technologies traditionnelles et innovantes.

(…)

3ème Partie (a) Education

En dehors de l’école

Article 32

Toutes les communautés de langues ont le droit de décider de l’étendue de leur langue dans les médias de leur territoire, autant local que traditionnel, ceux avec une plus large portée, ou ceux de technologies plus avancées, au regard des méthodes de propagation et de transmission employées.

(…)

Article 34

Toutes les communautés de langues ont le droit de recevoir, à travers les médias, une complète connaissance de leur héritage culturel (histoire, géographie, littérature et autres manifestations de leur propre culture), aussi bien que la plus grande quantité possible d’informations à propos de toute autre culture que leurs membres désireraient connaître.

(…)

Article 37

Dans le champ des technologies de l’information, toutes les communautés de langage sont autorisées à avoir à leur disposition des équipements adaptés à leur système linguistique et des outils et produits dans leur langue, de sorte qu’elles bénéficient de tous les avantages du potentiel offert par de telles technologies pour l’expression, l’éducation, la communication, la publication, la traduction, le traitement de l’information et la propagation de la culture en général.

(…)

4ème Partie – Culture

Article 39

1. Toutes les communautés de langues ont le droit d’utiliser, de maintenir et d’entretenir leur langue dans toutes les formes d’expression culturelle.

(…)

Article 44

Toutes les communautés de langues ont droit à la préservation de leur héritage linguistique et culturel, incluant les expressions matérielles, tels que les collections de documents, les travaux d’art et d’architecture, les bâtiments historiques et les épigraphes dans leur propre langue.

(…)

Article 48

Tout un chacun a le droit à l’utilisation de son propre nom dans sa propre langue dans tous les cadres, autant que le droit, si nécessaire, à la plus parfaite transcription phonétique possible de son nom dans tout autre système d’écriture.

Article 49

1. Les Etats signataires ont le devoir de protéger et de préserver les langues indigènes menacés.

(…)

 (Jamaïque – 13, 14 janvier 2011)

Rodolf Etienne

journaliste culturel de presse écrite (Martinique), Rodolf Étienne a publié en 2005, « Les Indes – Lézenn », traduction créole du poème « Les Indes » d’Edouard Glissant, aux Éditions Le Serpent à Plumes; en 2008, « Misyé Toussaint », traduction créole de la pièce de théâtre « Monsieur Toussaint » du même auteur, aux Presses Nationales d’Haïti ; « Yé krik ! Yé krak ! Bouladjel : Contes et légendes autour de la mort et des rites funéraires aux Antilles antan lontan », ouvrage collectif aux Editions Desnel. Il a également publié en 2010 « Trajédi Rwa Kristof », traduction créole de « La Tragédie du Roi Christophe » d’Aimé Césaire aux Editions Caraïb’Editions et en mai 2012 « Dékré labolisyon lesklavaj », traduction créole des « Décrets d’abolition de l’esclavage » aux Editions Macré-Lorillo.

Rodolf Etienne participe activement, au niveau régional, national et international, au développement de la culture, de la langue et de l’identité créoles. Il a consacré de nombreux articles à la notion de pan-créolité ou créolité internationale