Catégorie : Écrits

L’inconnu de Mer frappée : chapitre XI

— Par Robert Lodimus —

Chapitre XI

L’ENGAGEMENT

« Qui n’est pas capable d’être pauvre n’est pas capable d’être libre… »

(Victor Hugo)

À cause de la canicule, j’ai eu l’impression que la route qui conduisait à Mer Frappée était devenue plus longue. C’est vrai qu’il fallait marcher beaucoup, traverser toute une partie de la ville pour s’engager finalement sur les sentiers poussiéreux ou boueux qui reliaient l’endroit à Carénage comme un cordon ombilical. Lorsque le soleil montait haut dans le ciel, lorsqu’aucun souffle ne sortait de la poitrine de la nature pour se transformer en une brise douce et caressante qui rafraîchit et libère le paysage de son état torpide, les piétons suaient de toute leur eau. La douche de sueur que j’étais en train de prendre en marchant hâtivement collait la chemise légère de couleur gris pâle sur mon corps stressé comme un bout de métal emprisonné par une force magnétique. De temps à autre, je sortais le mouchoir de tissu que j’enfonçais dans la poche arrière gauche de mon pantalon et je me tamponnais le visage. J’ai continué à longer le littoral, sans m’offrir quelques minutes de repos sous les rares arbres qui bordaient le trajet.

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« Ki Lès Ki Antò? », « Gran Manjè, Gwo Ponyèt, Kriminèl, Magouyè…

 — Par Jean-Bernard Bayard —

Ki Lès Ki Antò?
« Yo » se mo ke Ayisyen itilize tout tan pou yo blame kèlke swa moun lan kap vòlè, sasinen, fè magouy, manti ou latriye. Depi mwen timoun, ma pe chèche konnen kilès « Yo » ye. Jodi-a mwen deside fè yon ti gade sou bagay sa-a. Ayisyen pa pale kon tout moun, « Blan » ak « Nèg » pa gen anyen pou wè ak koulè po moun lan. « Blan » se etranje, « Nèg » se moun lakay. Gade salopwi « Blan » sa-a ak figi « nwè »li ki konprann li ka roule-m! Fè atansyon ak « Nèg » sa-a, se tèt chaje li ye. Men kelke swa « Blan » ou « Nèg » ayisyen va di-w, se « Yo » ki la kòz peyi-a nan eta sa-a! Depi yon bagay bon, Ya di-w se « Mwen » ouswa se « Nou », men si yon bagay pa bon, Ya di-w se « Yo ». « Blan » Franse, « Blan » Meriken, « Blan » Alman kèlke swa, se « Yo » kape toufe-n.

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L’inconnu de Mer frappée : chapitre X

— Par Robert Lodimus —

Chapitre X

L’ENDOCTRINEMENT

Le jeune homme que j’ai croisé tout à fait par hasard à Mer Frappée m’a complètement bouleversé avec les paroles tourmentantes qu’il a enfoncées dans ma tête comme les clous qui ont transpercé les mains du « Fils de l’Homme ». L’inconnu m’a permis de comprendre qu’il existe deux forces attractives qui retiennent ce pays dans les liens sauvages de la soumission aveugle, qui maintiennent encore ses habitants dans un état moutonnier : la religion et le carnaval. La prière et le tambour ont provoqué la glaciation des penchants, la congélation des velléités révolutionnaires des Haïtiens. Quelqu’un m’a déjà dit qu’Haïti serait assez confortable dans le rôle de « la cigale » de Jean de La Fontaine. J’ai rétorqué non, pour une raison majeure: la paresse, l’oisiveté, ce n’est pas la maladie virale dont souffre ce peuple. Au contraire… Que dirait-on du paysan, même avec son statut fragile de métayage, qui sarcle, arrose, ensemence, de l’aube du matin à l’Angélus du soir, sans en tirer une part importante de son travail ? La pauvre montagnarde qui transporte sur sa tête des paniers de légumes et de fruits et qui parcourt des dizaines de kilomètres à pied pour arriver au marché du village afin d’amasser tout juste quelques sous qui lui permettent d’acheter du savon de lessive, de l’huile, du pain, du sucre, du sel… ?

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« L’exil forcé des Béhanzin en Martinique Récit de Prince Ouanilo »

Aux Editions L’Harmattan.

Texte de présentation

 Le roi du Dahomey, Ahidjéré Béhanzin, exilé par les autorités françaises avec une partie des siens en la colonie de Martinique, demande à son fils, le Prince Ouanilo, qui vient d’échapper à la terrible éruption du volcan de la Montagne Pelée, d’écrire l’histoire de la famille en cette terre étrangère. « L’important c’est la marque… la trace… »

 Le jeune adolescent de 17 ans, formé à l’école française et à l’environnement créole, à la recherche de lui-même, aidé de son entourage et fort de la grande amitié nouée avec un jeune martiniquais, rédige en observateur avisé, un document ethnographique et historique, fruit de ses douze ans de présence dans son « île-calebasse », dans lequel la farouche volonté du Roi de revenir au pays natal est omniprésente.

Biographie

Daniel Maurice Berté, ex-professeur d’histoire et personnel de direction en collège, est l’auteur de La Catastrophe de la Montagne Pelée et la Presse, Le Saint-Esprit de la Martinique, Les lieux de mémoire de l’esclavage en Martinique, Ecrire au Saint-Esprit, Konba Matinitjé.

Conférencier, intervenant en milieu scolaire, chroniqueur de l’émission en langue créole « Yonndé ti-mo kréyol » sur Super Radio, il publie ses poèmes dans le journal France-Antilles, sur Madinin’Art et les réseaux sociaux.

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L’inconnu de Mer frappée : chapitre : IX

— Par Robert Lodimus —

Chapitre IX

L’ACCIDENT

« S’il ne te faut, ma sœur chérie,
Qu’un baiser d’une lèvre amie
Et qu’une larme de mes yeux,
Je te les donnerai sans peine ;
De nos amours qu’il te souvienne,
Si tu remontes dans les cieux.
Je ne chante ni l’espérance,
Ni la gloire, ni le bonheur,
Hélas ! pas même la souffrance.
La bouche garde le silence
Pour écouter parler le cœur. »

(Alfred de Musset, La nuit de mai)

Ce vendredi matin, Gonaïves s’est réveillée avec la fièvre de la danse. Depuis 1 mois environ, des affiches publicitaires placardées aux endroits les plus passants annonçaient l’arrivée d’un orchestre de la capitale, le Jazz des Jeunes, un excellent groupe musical fondé en 1942 par trois adolescents du pays. Il s’agit des frères Ferdinand et René Dor, et Pierre Richer. Initialement nommé « Trio des Jeunes », le groupe est devenu par la suite la célèbre industrie de production de chansons populaires que l’on a connue durant les grands jours de gloire de la culture nationale. Le moment de l’alacrité avait enfin franchi le seuil auroral.

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Le cercle apoétique – L’achronique continu(e)

– Saison 2, épisode 1 –

Par Loran Kristian  —

Comment vous dire ?

Il existe différents types de champs de matière mouvante, diverses sortes de plans dessinant de belles lignes de force, je ne vous apprends rien. Certains sont faits pour les cartésiens habitués aux espaces plats et euclidiens, d’autres pour les projectifs préférant les points de fuite à l’infini, ceux qui aiment les surfaces courbes et les grands cercles à tendances elliptiques, d’autres encore pour les amateurs de vies conformes, complexes ou plus discrètes.

Mais de l’endroit où je regarde bouger le monde, recueil de corps et d’esprits, le plan semble gâché à l’équateur. Plus grand-chose à tenir ferme et bon sans perdre la tête ou l’équilibre. Pourtant, dit-on, il nous faut rendre hommage à la destinée manifeste comme à ceux qui nous ont précédés. Garder la force de regarder demain en mangeant notre paquet de courage. Entre cyclopes et cyclones, en dépit de ce qui nous poisse comme jamais, il nous faudrait prendre la vie à bras le corps, de front, comme des gladiateurs affrontent le diable dans tous les détails.

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L’inconnu de Mer frappée : chapitre VIII (suite)

— Par Robert Lodimus —

Chapitre VIII

LE DÉCÈS

Un après-midi du mois de mai où le soleil flamboyait sur la ville qui s’amalgamait dans les rires d’une pléiade de gamins frivoles qui revenaient de l’école, une dizaine de militaires dépêchés expressément de la capitale sont arrivés à bride abattue à la caserne Toussaint-Louverture et ont procédé à l’arrestation spectaculaire du capitaine Coriace. Menottes aux poignets, l’officier, sans offrir de résistance, avait suivi les « troupiers » commandés par l’adjudant-major, Ménélas Flavius, jusqu’aux véhicules de l’armée qui attendaient aux abords du trottoir, en face de l’hôtel Moïse, pour reprendre la route en sens inverse. Lorsque le cortège a tourné devant le lycée Fabre Geffrard pour traverser les entrailles bidonvillisées de Descahos, la petite foule qui assistait au déroulement de la scène inopinée, tout à fait imprévisible, a applaudi chaudement. L’État major des Forces armées d’Haïti aurait retrouvé le nom du capitaine coriace sur une liste d’officiers supérieurs et subalternes qui allaient participer à un complot pour assassiner le président François Duvalier. Un soi-disant complice, le lieutenant Léonce Aurélien, sous la menace des tortures à Fort-Dimanche, avait vendu la mèche au commandant de la garnison criminelle.

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L’inconnu de Mer frappée : chapitre VIII

— Par Robert Lodimus —

Chapitre VIII

LE DÉCÈS

Je me suis cramponné solidement aux jambes de mon père qui me caressait les cheveux pour me rassurer. Son instinct paternel lui avait permis de ressentir la stupeur, l’effarement, l’étonnement qui cravachait mon esprit scandalisé. L’atmosphère de la salle glaçante, qui servait de lieu infernal de jugement et de condamnation, était noyée par les jets de l’arrogance, les trombes de l’injustice, les vagues de la honte qui caractérisaient cette époque où la vie des individus était devenue aussi fragile qu’une toile d’araignée. On y percevait, par la même occasion, la montée progressive des flots de révolte qui se formaient dans la gorge des « zeks », et qui, quelques décennies plus tard, allaient réussir à drainer les colluvions d’une dictature féroce, dressée comme une crête-de-coq sur cette portion de terres héroïques des Antilles. Denis Amar aura dit plus tard : « Le pouvoir est aveugle, la misère est muette. » Cependant, j’aurai ajouté moi-même : « Lorsque la misère aura appris à parler, personne ne pourra jamais plus la faire taire; personne ne pourra jamais plus lui imposer le silence; personne ne pourra jamais plus la contenir.»

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« L’inconnu de Mer frappée » : Chapitre VII

— Par Robert Lodimus —

Chapitre VII

L’INJUSTICE

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Les deux militaires nous ont conduits, mon père et moi, dans une pièce sous- éclairée où l’on observait à l’arrière une table de bureau tellement blafarde, que le bois avec lequel elle était fabriquée semblait remonter à l’Âge de pierre. Sur le mur du fond, les regards hébétés, interloqués biglaient un crucifix qui représentait un Christ inoffensif, à moitié dévêtu, avec la tête souffrante légèrement penchée – comme toujours – vers l’Hyperborée. La salle était presque vide, à part une vieille armoire en acajou qui s’ajoutait au décor, et sur laquelle traînaient quelques cartables empilés de manière désordonnée. On avait facilement deviné qu’il s’agissait des dossiers de prisonniers politiques ou de droit commun incarcérés, libérés, décédés, assassinés ou exécutés… Le sergent Odilon, le mari de Mirana, accompagné de quatre « troufions », avait procédé lui-même à l’arrestation de Jésula Destiné. Le bizarroïde – révélation plutôt étonnante – venait du royaume lumineux d’Henri Christophe. Les yeux du sous-officier avaient la teinte rougeâtre du soleil couchant; son nez large et plat restait vissé sur un faciès lunaire; ses lèvres découvraient des gencives violettes qui soutenaient des dents brunies par la fumée des « cigarettes Splendid».

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« L’inconnu de Mer frappée » : Chapitre VI

— Par Robert Lodimus —

Chapitre VI

LE RAPPEL À L’ORDRE

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« Je n’ose plus regarder
Ce spectacle déchirant
Des bras fatigués
Qui tendent
Vers un ciel de plus en plus avare
Des yeux qui n’ont plus de larmes
Pour évacuer
Les souffrances de la misère
Des corps qui n’ont plus de jambes
Pour échapper
Aux flammes des calamités
Des poignets qui n’ont plus de mains
Pour s’agripper
Aux branches de l’espoir »

(Robert Lodimus, extrait de Vers L’aube de la Libération, poésie)

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Durant un long moment, mes pensées vagabondaient dans un couloir de souvenirs cauchemardesques. Et comment pouvait-il en être autrement au pays de l’hypertrophie de la phobie collective et de la mort violente ? Je me rappelle ce matin pluvieux où Clément, un membre proche de la famille, annonçait à mes parents qu’il avait décidé de s’expatrier à New York. Depuis la disparition de son frère aîné Ricot, enlevé de son foyer en pleine nuit à Port-au-Prince, celui-ci craignait pour la sécurité de son épouse, pour celle de ses enfants et pour la sienne. Émilio lui demandait s’il avait bien pris le temps de réfléchir.

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« L’inconnu de  Mer frappée » : Chapitre V

— Par Robert Lodimus —

Chapitre V

L’ARRESTATION

Mon père paraissait étonné de me voir. Il m’a pris dans ses bras et m’a serré très fort contre lui. Le sergent Oscar, qui habitait presqu’en face de nous, contemplait de loin la scène émouvante de retrouvailles. Il nous a salués timidement de la main. Son visage découvrait de l’embarras. Oscar ne portait jamais d’armes à feu. Lorsqu’il n’était pas à la caserne, il discutait des parties de dames avec les adultes de la place ou jouait aux billes en compagnie des gamins qui l’appelaient respectueusement « oncle Oscar ».

Racontez-moi pour les examens, fiston !

Je crois que tout s’est bien passé. Je n’ai éprouvé aucune difficulté.

Votre mère, votre frère et votre sœur, ils vont bien ?

Oui, tout le monde va bien…

Cela fait plaisir de le savoir. L’important pour moi, c’est que vous n’êtes pas menacés…

Quand est-ce que vous allez revenir à la maison ?

Bientôt ! Enfin,… bientôt !

Pourquoi vous gardent-ils ici ?

Je ne sais pas !

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L’inconnu de Mer Frappée : Chapitre V

— Par Robert Lodimus —

Chapitre V

L’ARRESTATION

« Sous un gouvernement qui emprisonne injustement, la place de l’homme juste est aussi en prison. »

(Henry David Thoreau) 

Mon père savait ce qu’il disait, quand il m’a conseillé de faire attention à ce que j’écrivais dans mes cahiers de poèmes. Il avait lui-même fait l’expérience douloureuse et humiliante de l’emprisonnement politique. N’était-ce la présence d’Hestia, la déesse de la sécurité et du bien-être de la famille, il aurait même pu y laisser sa vie, comme d’autres victimes plus malchanceuses. Certains détentionnaires – parmi lesquels des professeurs de sciences sociales, des avocats membres du Barreau des Gonaïves, des médecins de famille, des élèves de lycée, des ouvriers, des porte-faix, des commerçants… – étaient transférés dans les goulags de la capitale, particulièrement vers les prisons de Fort Dimanche et des casernes Dessalines. La ville ne les avait plus revus. Les parents souffraient et pleuraient en silence, par crainte d’être dénoncés. Ces compatriotes avaient été interrogés par des puissants chefs macoutes – comme Luc Désir, Mme Marx Adolphe, Lisius Jacques, Zacharie Delva – et des militaires barbares – tels que Jean Tassy, Abel Jérôme, Max Valmé, Franck Romain… – qui, au mépris de la loi, les avaient jugés, condamnés, emprisonnés et conduits au poteau d’exécution.

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« Les Rues parallèles », de Gérald Tenenbaum

— Par Michèle Bigot —

Il en va pour un recueil de nouvelles comme pour un recueil de poèmes : c’est l’architecture de l’ensemble qui constitue le sens. Telle pièce prise séparément revêtira une signification et une portée très différente de la même pièce composée dans un ensemble, où sa place dans le recueil, son voisinage, ses effets d’écho avec des morceaux complémentaires ou opposés jetteront sur elle un éclairage nouveau. C’est peut-être encore plus vrai pour un recueil de nouvelles, compte tenu du fait que la brièveté, l’ellipse et la déceptivité sont constitutifs du genre. Que dire alors d’un recueil de nouvelles qui se place sinon en ultime position dans l’œuvre du moins à la suite de nombreux romans et essais ? Il en reçoit lui-même un éclairage spécifique.

Il en va ainsi du dernier ouvrage de Gérald Tenenbaum, dans lequel les lecteurs avertis reconnaîtront les échos des livres précédents, une série d’harmoniques. Sans toutefois que les nouveaux lecteurs y trouvent gêne ou embarras. Ils seront aussi bien gagnés par la magie mélancolique de l’ouvrage, dans lequel ils reconnaîtront la descendance d’un Meyrink, d’un Kafka, ou d’un Borges.

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« Le déclin n’est pas la fin »; mais la fin commence par le déclin…

— Par Robert Lodimus —

Surtout à l’attention de notre compatriote Ronald Beaudin, ex-ministre de l’Économie et des Finances du président Préval

« La Sagesse, c’est plutôt le courage de faire ce que les autres ne font pas, de dire ce que les autres ne disent pas. »

(Robert Lodimus)

Les appauvris se sentent aujourd’hui orphelins de discours rationnels, de messages combattifs, sur la nécessité d’organiser une lutte sociale et  libératrice en faveur de la classe ouvrière. Des réflexions profondes, bien élaborées, truffées d’ardeurs de militance à la Étienne Lantier, à la Souvarine, les personnages atypiques d’Émile Zola.

Les plus âgés restent nostalgiques des temps forts, où le salariat conscientisé, comme celui de Montsou, se battait fermement contre le patronat radin et endurci pour exiger le respect de ses « droits de vivre », plutôt que de se contenter d’exister, pour paraphraser Jacques Ellul. Faire ainsi reconnaître l’importance et l’indispensabilité de ses contributions physique, intellectuelle et professionnelle, pour que le monde avance et s’installe finalement dans l’hémicycle de la justice, du développement et du progrès sur une base de l’universalité.

Blaise Pascal affirme que « la Justice sans la Force est impuissante.

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L’inconnu de Mer Frappée :Chapitre IV

— Par Robert Lodimus —
Chapitre IV

L’INQUIÉTUDE

Les derniers rayons du soleil commençaient à s’enfoncer dans la mer. Dans peu de temps, l’obscurité opaque allait draper toute la ville. Mer Frappée se serait transformée en un immense trou de sombreur pour accueillir les loups garous de « La Tannerie » qui venaient festoyer toutes les nuits sur le sable grisâtre du littoral endormi. Le vaste quartier côtier, où se bousculait la gueusaille, portait bien son nom. Les cuirs mis au tannage sentaient les rats crevés. Pendant le jour, on pouvait observer çà et là des tapis de cuir de vache ou de chèvre cloués au sol avec des piquets qui séchaient au soleil. Pour traverser la zone, il fallait couper sa respiration en fermant la bouche et en écrasant son nez avec le pouce et l’index. Pourtant, les riverains qui y vivent de manière permanente ne semblent pas se rendre compte de la puanteur persistante qui se mélange à l’air qu’ils respirent tous les jours. On aurait dit que toutes les mouches de la ville s’étaient donné rendez-vous dans cet amas de masures infectes.

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« Les Djons d’Aïti Tonma », de Félix Morisseau-Leroy

Retour sur un roman de Félix Morisseau-Leroy

Par Jean-Robert Léonidas

Les Djons d’Aïti Tonma » (L’Harmattan, 1996) est la dernière parution de Félix Morisseau-Leroy. C’est un roman à trois volets, un triptyque. La vedette c’est Jacmel, ou plutôt les Jacméliens. Pas tous, mais les vrais, les fiers, les braves, ceux qu’on appelle les « djons ».

Ti-Fils est un djon. A mon sens il est aussi un djinn, l’âme de la ville ou encore un horodateur ambulant puisque, quand il faisait les courses pour un grand négociant de la ville, il se plaisait à crier à qui veut l’entendre le nom du jour de la semaine. Tout d’abord, l’auteur présente Jacmel avec ses types, avec ses contradictions puisées à la source apocryphe où le mythe et l’histoire se confondent. Il y avait les riches, les gens de la « société » au sein desquels on comptait les loups-garous qui n’hésitaient pas à aller prendre la communion à l’église pour donner le change. Il existait aussi une manière de peuple qui s’évertuait à devenir gens de la société. Mais il y avait le « troisième clan »,  » alliance légitime du prolétariat et de l’intellectualité d’avant-garde » qui voulait repenser la cité, refaire sa mentalité.

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L’inconnu de  Mer frappée : Chapitre III

Par Robert Lodimus —

Chapitre III

LA RENCONTRE

Les habitants du quartier ont vécu une troisième nuit d’épouvante. Deux fois par année, Madame Dévilien, une prêtresse vodou, dévouée corps et âme au gouvernement de François Duvalier, organisait des rituels incantatoires dans la cour de son « hounfò », ombragée par le houppier du mapou géant, dont les branches basses se reposaient sur le toit d’une vieille bâtisse en bois. Des curieux se postaient à l’entrée de la grande barrière en tôle pour suivre des yeux le déroulement de la cérémonie animiste. Les initiés, comme les clowns de cirque tsigane, portaient des accoutrements multicolores, qui leur donnaient un air complètement loufoque. Ils utilisaient des peintures corporelles et faciales qui référaient aux symboles de la spiritualité et des traditions ancestrales. Les hommes portaient des chapeaux de paille et des foulards bleus, rouges, noirs, verts autour du cou suant. La « canaille » – pas au sens noble du langage révolutionnaire d’Alexis Bouvier et de Joseph Darcier – chantait, buvait, se soûlait, se déhanchait. La plupart de ces énergumènes étaient des serviteurs zélés, des adhérents exaltés, des prosélytes inébranlables de l’idéologie duvaliérienne.

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Noblesse paysanne

A propos du livre Il était une fois la vie au Morne Baldara de Roset Mongin

— Par Georges-Henrie Léotin —

Dans notre Martinique d’aujourd’hui, on n’imagine pas un tout jeune enfant émerveillé par la lumière d’une ampoule électrique (ce que nous appelions bek), et qui s’amuserait à jouer avec l’interrupteur comme s’il était magicien. Les bambins de nos campagnes, dans l’immédiat après-guerre, ouvraient aussi de grands yeux face aux fontaines des bourgs, face à cette autre magie d’une eau venue au coin des rues, à disposition, au bout d’un robinet métallique. L’enfant que fut Rozet Mongin, habitué de la source, avait déjà toutefois remarqué que l’eau des fontaines publiques n’était pas toujours fraiche comme celle venue directement des entrailles de la terre, « l’eau limpide de Trouboulo, notre source au Morne Baldara ». On mesure le chemin parcouru quand on voit que les fontaines publiques dans les bourgs, qui fascinaient l’enfant, ne sont plus guère aujourd’hui (quand elles existent encore) que des objets de curiosité et des vestiges du passé !

L’ouvrage de Rozet Mongin n’est pas un roman mais un récit de vie, l’évocation de son enfance, de ses parents, de sa famille, de la vie de la campagne du Morne Baldara (dit aussi Morne Babet, ou encore La Raisinier – l’auteur imagine comme origine possible du nom : La (femme) Résignée, mais souvent les noms de lieux dans nos campagnes sont précédés de « La » : La Naud, La Mathilde, La Palmène, La Marchand, La Dumaine, etc.

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L’inconnu de Mer frappée : Chapitre II

— Par Robert Lodimus —
Chapitre II

LE DÉGOÛT ET LA RÉVOLTE

C’était un après-midi d’automne. Les éclairs zébraient dans un ciel gris, chargé de nuages fuyants. Penché sur ma petite table de travail, je remplissais ligne par ligne, avec des mots étranges arrachés à mon cerveau en friche, les pages blanches dans lesquelles j’additionnais quotidiennement mes douleurs inapparentes. Je passais toutes mes journées et mes nuits à courir derrière le char d’Apollon pour le supplier de ramener le soleil sur les ténèbres de nos déboires et de nos humiliations. Haïti ressemble étonnamment à un champ de ruines. La gueusaille des bidonvilles et des campagnes défeuille comme les arbres à l’arrivée de la saison hivernale. Cette Tour de Babel semble être vouée au destin de Capharnaüm, la ville de l’apôtre Pierre, maudite par Jésus. A la vitesse où se déplace le train de sa décadence, un jour, peut-être, si rien n’est fait, on n’en entendra jamais plus parler. Ce pays disparaîtra avec ses héros, ses habitants, son histoire qui pétille comme le champagne dans un verre de cristal. Il s’effondrera avec son épopée qui goûte du vin bien fermenté et bien conservé dans la cave d’un œnologue de métier.

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L’inconnu de Mer frappée : Avant-propos, Préambule, Chapitre I

Par Robert Lodimus

AVANT PROPOS

Ce livre, mélange de fiction et de réalité, déplaira probablement à certaines gens. Il n’a pas été écrit non plus dans le but de plaire… Ou de flatter… L’époque qu’il décrit est satanique. Jamais on n’aurait pensé qu’il eût été possible pour la terreur de s’élever à une pareille hauteur. Beaucoup d’individus se reconnaîtront – qu’ils soient du bon ou du mauvais côté – au travers de ce récit émouvant où se déploient ligne après ligne, page après page, les tentacules d’un mal hideux qui a rongé, déstabilisé, démoli la république d’Haïti durant 29 ans, au cours de la deuxième moitié du siècle dernier. Le bilan est épouvantable. Il donne froid dans le dos. Glace le sang. Des centaines de milliers d’exilés. Des milliers de morts et de disparus. De quoi transformer une ville entière en cimetière ! Pourtant, l’on ne parle pas d’une région du monde écrasée sous les bombes de la guerre.

Dans un contexte social turpide décrit par « L’inconnu de Mer Frappée », le jeune José Marti Paulémon croise un érudit.

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La Mort pour la Vie ou Mourir pour Vivre : Chapitre XVII

— Par Robert Lodimus —

Chapitre XVII

LA RÉSURRECTION

« Je mourrai face au soleil… »

(José Marti)

Beaucoup de philosophes tentèrent d’imposer leur propre définition du concept de « temps » dans ses dimensions complexes et controversées. Platon et Aristote l’abordèrent en tant qu’« image mobile de l’éternité ». Martin Heidegger dans « Être et temps » le considérait comme un aspect lié au fondement de la condition de l’individu tout le long de son parcours existentiel. Selon Saint Augustin, le temps se définissait par le présent. Car le passé évoquait la mémoire, et l’avenir renvoyait à une situation d’éventualité. En ce qui touchait le futur, nous aurions pu lui trouver un registre sémantique plus ouvert : expectative, prévision, perception, espérance…

En définitive, ce fut entre la « naissance » et la « mort » que le temps exista. Et il pouvait être considéré comme la somme des instants – bons ou mauvais – qui se situaient dans l’intervalle mobile, versatile, mais aussi inamovible des pôles de l’existence : le début et la fin, donc l’Alpha et l’Oméga.

Le temps s’arrêta à la frontière de la « mort » et s’ouvrit sur le néant.

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Hara-kiri

En Hommage à Edmond Laforest, à Pierre Sully et au député Raymond Cabèche

— Par Robert Lodimus —

(Edmond Laforest, 1876-1915)

Je mange des ronces
Et des écailles de colère
Depuis le retour des maquisards
Qui ont noyé Laforest [1] Dans le seau de l’indignation
Un nœud croulant de consonnes
Et de voyelles
Resserré inexorablement
Sur la gorge fragile
Des Cendres et flammes
Woodrow Wilson [2] Le nom de cet animal féroce
Qui a mordu mon peuple
Pendant la nuit
Où l’Europe bouleversée
Frappée par la foudre
De l’hégémonie
Agonisait sur les ruines
De la destruction démentielle
Cette fois encore

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La Mort pour la Vie ou Mourir pour Vivre : Chapitre XVI

Chapitre XVI

LA MISSION

« L’injustice est pareille à l’eau qu’on chauffe dans une marmite. Quand elle bout trop longtemps, elle déborde : c’est cela, la révolte.»

(Alexandre Najjar)

L’anéantissement de La Roche – quoique l’historiographie universelle, contrairement à l’immersion d’Héracléion sous les eaux d’Aboukir, au déclin de Babylone avant sa disparition définitive, à la prise de Constantinople par Mehmet II en 1453 pour mettre un terme à l’empire Byzantin, à l’anéantissement de la cité antique de Pétra par un tremblement de terre meurtrier, n’en eût fait point mention – cela n’avait pas réussi pour autant à opiler les voies des espoirs de liberté et des rêves de justice d’une tranche de vie captive de la planète. La conscience universelle que la chaumine de la misère et de la peur avait hiberné, allait donc se réveiller un jour. Elle serait parvenue à s’échapper de la balme de Platon, afin de rejoindre ce « monde intelligible » d’où jaillirent les lumières de la connaissance et de la vérité. Les apôtres d’Apophis, ceux-là qui « servilisaient » leurs semblables, les torturaient dans les bagnes de l’indignité, qui érigeaient les goulags pour les Alexandre Soljenitsyne,.

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La Mort pour la Vie ou Mourir pour Vivre : Chapitre XV

— Par Robert Lodimus —

Chapitre XV Le Choc

« La beauté de la mort, c’est la présence. Présence inexprimable des âmes aimées, souriant à nos yeux en larmes. L’être pleuré est disparu, non parti. Nous n’apercevons plus son doux visage; nous nous sentons sous ses ailes. Les morts sont les invisibles, mais ils ne sont pas les absents. »

(Victor Hugo, Discours sur la tombe d’Émilie de Putron, 19 janvier 1865)

L’histoire de l’univers n’avait-elle pas toujours foisonné des tragédies phénoménales, des calamités irracontables, des drames indescriptibles, des cataclysmes inimaginables…? Dans l’antiquité, les peuples germaniques, asiatiques et slaves, communément appelés les guerriers barbares ou les barbares sanguinaires qui envahirent au IIIe siècle l’empire Romain, brûlaient des villages, éventraient des populations parfois paisibles et inoffensives. Il ne faudrait pas oublier non plus les Vikings qui – durant trois centenaires environ – tuaient, pillaient, incendiaient et détruisaient tout sur leur passage. Mais la plus terrible catastrophe, de laquelle la mémorabilité humaine avait atteint sa lettre de noblesse, demeurait sans conteste l’effroyable incendie de Rome par l’empereur Caius, plus connu sous le nom de Néron le tyran, dont la cruauté pouvait se mesurer à l’étendue de l’océan.

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Jovenel Moïse, « fléau de Dieu » 

« Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit?
Ces doux êtres passifs que la fièvre maigrit?
Ces filles de huit ans qu’on voit cheminer seules?
Ils s’en vont travailler quinze heures sous des meules :
Ils vont, de l’aube au soir, faire éternellement
Dans la même prison, le même mouvement. »

(Victor Hugo, Mélancholia)

— Par Robert Lodimus —

Le crépuscule tombait déjà sur le paysage voilé et enneigé. Un immense tapis blanc recouvrait les rues crevassées, dégoudronnées à certains endroits. Au Canada, le mois de février n’est-il pas réputé pour son humeur impassiblement rigoureuse? À cette période de l’hiver, la température oscille souvent entre moins 40o et moins 50o Celsius. De quoi faire geler le sang d’un chameau en quelques secondes. Quand il vente et grêle, les gens peuvent ressentir jusqu’à moins 600 sur la peau fragile et sensible. La plupart des personnalités fortunées et des retraités privilégiés qui habitent dans les régions nordiques s’envolent à destination du Sud dès la fin de novembre. Notamment en Floride où ils disposent d’une confortable résidence secondaire.

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