— Par Robert Lodimus —
Chapitre II
LE DÉGOÛT ET LA RÉVOLTE
C’était un après-midi d’automne. Les éclairs zébraient dans un ciel gris, chargé de nuages fuyants. Penché sur ma petite table de travail, je remplissais ligne par ligne, avec des mots étranges arrachés à mon cerveau en friche, les pages blanches dans lesquelles j’additionnais quotidiennement mes douleurs inapparentes. Je passais toutes mes journées et mes nuits à courir derrière le char d’Apollon pour le supplier de ramener le soleil sur les ténèbres de nos déboires et de nos humiliations. Haïti ressemble étonnamment à un champ de ruines. La gueusaille des bidonvilles et des campagnes défeuille comme les arbres à l’arrivée de la saison hivernale. Cette Tour de Babel semble être vouée au destin de Capharnaüm, la ville de l’apôtre Pierre, maudite par Jésus. A la vitesse où se déplace le train de sa décadence, un jour, peut-être, si rien n’est fait, on n’en entendra jamais plus parler. Ce pays disparaîtra avec ses héros, ses habitants, son histoire qui pétille comme le champagne dans un verre de cristal. Il s’effondrera avec son épopée qui goûte du vin bien fermenté et bien conservé dans la cave d’un œnologue de métier.