Cap Excellence en Théâtre, tenir bon sur la route choisie

— Par Roland Sabra —

cap_excellence_2016Pour sa cinquième édition le Festival Cap Excellence en Théâtre a fait la démonstration qu’il était sur la bonne voie. Il s’installe dans la communauté d’agglomération en investissant de nouveaux lieux, du Bik des Abymes au Centre culturel de Sonis en passant par le Memorial Act avec un détour par le Centre Culturel Gérard Lockel à Baie-Mahault. La programmation a fait preuve cette année de qualité, de diversité et de densité. Il y eut de belles découvertes, on pense en autres aux slameurs «  Les réfugiés poétiques », aux comédiens haïtiens de la Compagnie Nous théâtre qui ont offert deux bijoux au public, L’acte inconnu de Novarina et Dezafi de Frankétienne, aux habitués des salles antillaises venus d’outre-atlantique et toujours en Marche vers le meilleur, sans oublier de belles intensités au cours des lectures faites au Memorial Act. Parmi celles-ci on retiendra principalement « Mon ami Pyéro » de l’haïtien Faubert Bolivar et mis en espace par Harry Baltus. C’est un huis clos avec quatre personnages. Jonas et Pyéro, deux copains d’enfance se retrouvent après des années d’éloignement. Les retrouvailles sont particulières dans la mesure où Pyéro est de devenu l’exécuteur des basses œuvres d’un chef mafieux, « Le Chef » qui lui a donné l’ordre d’assassiner un professeur qui n’est autre que Jonas, revenu de l’étranger après de longues études couronnées de succès. « Le Chef » un individu sans foi ni loi est par ailleurs le père presque modèle d’une adolescente Ketura avec laquelle il joue, raconte des histoires et lui manifeste une affection non feinte.

Le texte de Faubert Bolivar se déploie autour d’une série de contradictions bien construites. Le couple Pyéro/Jonas est porteur de l’opposition classique entre l’intellectuel, formé à l’étranger qui rentre au pays et bardé de savoirs dont est dépourvu le quidam resté au pays et qui a quitté trop tôt l’école. L’antagonisme est souligné par la dualité de l’éloquence de Jonas et le bégaiement de Pyéro. A l’aisance verbale de l’élite s’oppose la difficulté, si ce n’est l’impossibilité de dire et de faire entendre autrement que dans une hésitation, un tremblement la voix du peuple. La contradiction qui traverse « Le Chef » se résume en une question. Peut-on être à la fois un salaud, une ordure et un bon père de famille ? Ketura, quant à elle est confrontée à un conflit entre valeurs morales et amour filial quand elle découvre la réalité des activités de son père.

Si la lecture du texte a bien souligné le débat Pyéro/Jonas, même s’il pouvait être davantage exacerbé, le bégaiement de Pyéro, lui, aurait pu être modulé en fonction des événements évoqués par le locuteur. Peut-être que l’évocation du passé, de l’enfance somme toute heureuse des deux gamins pourrait donner lieu théâtralement parlant à une atténuation, en suggérant par là un autre opposition celle d’une enfance partagée et insouciante avec un présent conflictuel. Le débat éthique qui traverse Ketura semble le moins étayé. Il eut été plus banal certes mais plus plausible s’il avait été celui d’une Juliette Capulet face à son Roméo Montaigu.

Le talent de Faubert Bolivar s’épanouit dans l’art de la chute qui apparaît soudain comme une lumière au bout d’un tunnel. On se gardera de la révéler tant elle apparaît comme magistralement théâtrale, ce qui invite bien sûr à une mise en scène c’est à dire à un prolongement, une accentuation, un approfondissement du travail esquissé par Harry Baltus. Ce dernier en matière d’esquisse a donné avec Mo papa té soda  un bel aperçu d’un work in progress prometteur. Autour d’une thématique peu abordée celle de l’engagement des Antillais et Guyanais dans les rangs de l’armée française lors de la première guerre mondiale, il aborde des aspects dérangeants d’une réalité aujourd’hui oubliée, celle d’un patriotisme francophile, certes problématique mais néanmoins vrai. L’ébauche montrée au Bik des Abymes jouait entre créole et français du cabaret, de la danse, de la guitare, du tambour, de la chanson avec la belle idée d’un commentaire distancié et critique de l’épisode de la narration faite sur scène par l’auteur du texte Suzy Ronel.

Audace, originalité, ancrage dans les réalités multiples et contradictoires des Antilles et de la Guyane, auront été les points forts de ce Festival Cap Excellence Théâtre 2016 qui ne demande qu’à se consolider et à grandir pour peu que les édilités qui le soutiennent en aient la volonté. Pour le bonheur de toutes et de tous.

Pointe-à-Pitre le 0705/2016

R.S.