Antigone de Sophocle, m.e.s. Satoshi Miyagi

— Par Michèle Bigot —

Festival d’Avignon 2017, cour d’honneur du palais des Papes

Miyagi et sa troupe de Shizuoka nous avait déjà éblouis en revisitant le Mahabharata pour la carrière de Boulbon. Il revient aujourd’hui pour notre grand bonheur avec une adaptation libre de Sophocle et de sa tragédie la plus connue Antigone. Ses principes de mise en scène n’ont pas changé : deux acteurs pour un rôle, une gestuelle proche du butō et du clown. Son Antigone n’a rien à envier à celle de Sophocle ou plus près de nous à celle de Cocteau, Anouilh ou Henry Bauchau.

Le parti pris de mise en scène, qui dépouille le texte et rehausse le caractère, les jeux d’ombres et de lumière projetés sur les murs du palais lui confèrent une majesté hiératique.

Lors de sa première mise en scène d’Antigone en 2004, Miyagi mettait l’accent sur la proposition faite à Créon par Antigone : faire de l’amour le principe majeur de la conduite des cités. Le thrène d’Antigone était au cœur de la pièce, l’adieu au soleil dans un élan lyrique auquel la Phèdre de Racine fait écho : « Soleil, je te viens voir pour la dernière fois. » 

Mais aujourd’hui, Miyagi prétend conférer à son interprétation une dimension plus politique. C’est la façon dont le bouddhisme japonais répond au tragique grec mais aussi à l’autorité chrétienne représentée par le Pape. La pensée de Sophocle trouve un écho dans les principes du bouddhisme japonais, à savoir sa volonté d’aimer tous les êtres humains sans les diviser.

C’est ce grand souffle humaniste qui emporte les spectateurs, servi qu’il est par une mise en scène d’une beauté stupéfiante. La scénographie, pour simple qu’elle soit, est empreinte de grandeur. Le sol est transformé en Achéron, lac sombre dans lequel les lumières, torches, flambeaux font jouer leur reflet. Le spectateur est projeté sur la rive de l’au-delà.

Le principe de mise en scène est celui du wayang kulit, théâtre d’ombres indochinois : les spectateurs sont placés du côté des flambeaux qu’ils voient avant d’apercevoir les ombres portées sur le mur du palais. En outre, le jeu des acteurs est plus grand que celui de l’expression des visages. La portée du texte n’est pas psychologique, mais tragique et politique. Ce qui importe ici c’est le corps des acteurs, la lenteur de leur déplacement, leur posture figée, leur costume hiératique, tout ce qui porte la marque de la grandeur tragique. Les acteurs qui jouent par ombre ne parlent pas eux-mêmes, leurs répliques sont récitées par le chœur. Ceux qui jouent un personnage récitent eux-mêmes ou parfois leurs répliques sont dites par plusieurs acteurs. Dans cette transposition asiatique, l’interprétation retrouve quelque chose de la tragédie grecque avec sa suite de dialogues et de parties chorales (les stasima) les alternances de dialogue entre acteurs et chœur (le kommos).

Miyagi ambitionne de mettre en scène la voix collective, comme manière d’envisager le rapport au monde avant que s’impose la culture de l’ego. Une formidable formation de percussions accompagne et rythme les évolutions. Le collectif s’impose sous la forme d’évolutions chorales, aussi lentes que majestueuses.

Une force poétique habite l’ensemble. Certaines visions relèvent de la magie : il en va ainsi de la scène inaugurale qui figure un rituel japonais : de petites bougies flottent sur une rivière, représentant l’âme des morts. Une sérénité envahit l’espace scénique, comme pour apaiser les esprits. Le battement des percussions rythme le silence, le tragique laisse place à la poésie .

Michèle Bigot

Madinin’Art