À redécouvrir, l’ouvrage « Sexe, race et colonies » 

La domination des corps du XVe siècle à nos jours

Édition : Paris, La Découverte. Parution : septembre 2018

Relire la mise au point publiée au moment de la parution, dans Madinin’art, « Autour de sexe et colonies »

Préfaciers et co-directeurs : Pascal Blanchard, Jacques Martial, Achille Mbembe, Leïla Slimani, Nicolas Bancel,  Gilles Boëtsch, Christelle Taraud, Dominic Thomas. Le site du groupe de travail Achac présente un portrait de chacun de ces contributeurs.

Que dit l’éditeur ?  » Ce livre s’attache à une histoire complexe et taboue…  C’est le récit d’une fascination et d’une violence multiforme… Une histoire dont les traces sont toujours visibles de nos jours, dans les enjeux post-coloniaux, les questions migratoires ou le métissage des identités. C’est aussi la révélation de l’incroyable production d’images qui ont fabriqué le regard exotique et les fantasmes de l’Occident. Projet inédit tant par son ambition éditoriale, que par sa volonté de rassembler les meilleurs spécialistes internationaux, l’objectif de Sexe, race & colonies est de dresser un panorama complet de ce passé oublié et ignoré, en suivant pas à pas ce long récit de la domination des corps ».

Présentation(s) dans la presse : Sexe, race et colonies étudie les rapports de pouvoir et de domination à l’encontre des personnes racisées. Ces rapports s’articulent autour de la construction du corps de « l’Autre » et des fantasmes que cela engendre. En pas moins de 544 pages, une centaine d’auteurs analysent les rapports entre colonisation / impérialisme, sexualité, et « race ».Traversant six siècles d’histoire — de 1420 à nos jours — au creuset de tous les empires coloniaux, depuis les Conquistadors, en passant par les systèmes esclavagistes, jusqu’à la période postcoloniale, jusqu’à aujourd’hui, ce livre explore le rôle central du sexe dans les rapports de pouvoir…

Si cet « Autre » racisé est étudié à partir de deux centres principaux, la France et les États-Unis, les Empires européens, britannique, portugais, etc. mais aussi ottoman ou japonais sont évoqués, constituant ainsi une analyse complète sur l’ensemble des continents. Cette histoire de la domination des corps racisés se construit à partir de sources iconographiques (et d’objets) : peintures, gravures, affiches, photographies, films et spectacles. Plus de mille  illustrations complexes car troublantes, bouleversantes, choquantes, et parfois violentes, constituent le cœur de Sexe, race & colonies pour interroger explicitement, grâce aux contributions des différents auteurs, la manière dont les pays colonisateurs ont (ré)inventé l’« Autre »pour mieux le dominer, prendre possession de son corps, et de son territoire.

Ainsi abondamment illustré, l’ouvrage convoque les images comme preuves avec pour parti pris de montrer ce corpus violent et obligatoirement dérangeant de corps caricaturés, objectivés, humiliés, violés. Cette étude ambitieuse est nécessaire à la fois pour éclairer une partie de l’histoire refoulée, taboue, ignorée ou travestie, et pour comprendre l’héritage qui en découle et le déconstruire. Jacques Martial le souligne clairement dans sa préface : « […] c’est bien cette histoire-là qu’il me faut, qu’il nous faut regarder en face, pour douloureuse ou dérangeante qu’elle soit. C’est bien elle qu’il nous faut connaître pour mieux comprendre comment certains modèles sociaux et sociétaux se sont construits, nous ont construits et nous animent encore. C’est au prix de cet effort que l’on pourra peut-être les déconstruire et ainsi se libérer des chaînes mentales qui, aujourd’hui encore, entravent notre liberté ».

En effet, les mêmes codes de domination constatés tout au long de l’ouvrage apparaissent à nouveau sur les photographies issues du scandale de la prison Abou Ghraib en 2004-2005. Ainsi le rapport à « l’autre » au XXIe siècle reste ancré dans un système de pouvoir et de domination hérité de six cents ans de colonisation, d’impérialisme, et la déconstruction de ces rapports est loin d’être achevée !

« Sexualité, domination et colonisation » : trois termes qui se croisent et s’enchevêtrent tout au long de six siècles de pratiques, d’histoire et de représentations à l’échelle mondiale. L’ambition de l’ouvrage a été d’appréhender dans sa totalité chronologique, géographique et impériale, l’enjeu de la sexualité et du désir, à la fois dans la formation des rapports sociaux de sexe et dans la constitution des représentations de ces rapports, en contexte colonial et postcolonial, pour proposer un catalogue de dimension internationale, touchant toutes les époques. L’étude est divisée en quatre parties  — « Fascinations 1420-1830 », « Dominations 1830-1920 », « Décolonisations 1920-1970 », « Métissages depuis 1970 ». Une division  dont il faut avant tout retenir la chronologie plutôt que la terminologie, cette dernière pouvant être sujette à débat, en particulier en ce qui concerne les deux premières parties : les XVe et XVIe siècles ne sont pas dénués de domination et inversement, la fascination n’est pas absente au XIXe siècle. De fait, l’ensemble des contributions démontre que la dynamique attraction/aversion est une constante qui aboutit à une violence sur les corps racisés, et ce dans l’ensemble des quatre périodes.

Est-il besoin de rappeler que, entre 1810 et 1940, les puissances coloniales européennes, mais aussi l’Amérique et le Japon présentent, au public occidental, des femmes, hommes et enfants venus d’ailleurs — Afrique, Océanie, Asie mais aussi des Amériques — comme étant des « sauvages ». Ces peuples étaient littéralement exhibés lors d’expositions, de foires ou dans des zoos, des cirques, des cabarets et des expositions universelles.

(Extraits de Critique d’Art-OpenEdition, et de Achac : Le groupe de recherche Achac travaille sur plusieurs champs liés à la question coloniale et post-coloniale, notamment sur la problématique ici présentée).    

Un entretien avec François Durpaire, universitaire et historien spécialisé dans les questions d’éducation, de bien-être et de diversité culturelle aux États-Unis et en France. Militant pour une République davantage multiculturelle.