Quand, sur la Côte d’Azur, des glaces d’été font polémique

Le célèbre glacier « Le Poussin Bleu », établissement inauguré en 1947 sur le front de mer du Veillat à Saint-Raphaël, est la cible d’une polémique en raison de coupes de glace dont les noms, selon certains, véhiculeraient des préjugés racistes. Ainsi, « L’Africaine » et « Le Chinois » ont suscité sur les réseaux sociaux l’indignation d’internautes, qui ont appelé au boycott, photos à l’appui. Pour mettre fin aux protestations, les gérants de l’établissement — ironie du sort, sis Boulevard de La Libération — se sont empressés de supprimer les produits mis en cause de leur carte.

Une carte qui depuis plus de soixante-dix ans regorge de couleurs et de parfums. Et les fameuses glaces se sont dégustées au fil des générations, sans aucune modération : le “Clown”, le “Volcan”, la “Tulipe” etc. Parmi toutes ces appellations, un consommateur avait déjà relevé, l’été dernier, le nom d’une coupe originellement baptisée “L’Africaine”. Il s’agissait d’une glace au chocolat garnie de crème chantilly, « agrémentée » d’une tête en meringue chocolatée portant un filet de pâte d’amande rouge en guise de bouche, il est vrai pulpeuse… pour ne pas dire gourmande … mais qui hélas évoquait le bonhomme caricatural du « Y’a bon, Banania » de notre enfance… Voilà un certain temps déjà que le petit gâteau nommé « Tête de nègre », un simple demi-globe enrobé de chocolat, sans aucun autre signe qui eût pu le faire soupçonner d’intention raciste, et qui était le délice de mes jeudis buissonniers, a dû changer de nom, devenant « meringue au chocolat » avant de pratiquement disparaître des productions pâtissières… Quant au dessert nommé « Le Chinois », un sorbet au citron — si, si, vous avez bien lu ! —, il était surmonté d’un visage, dessiné sur une meringue jaune, qui se voulait asiatique mais qui avait tout du cliché : sourcils froncés, bouche boudeuse, il avait l’air malade, comme si quelque mauvais et redoutable virus l’eût piqué…

Un consommateur a même saisi le député MoDem de la circonscription, Philippe Michel-Kleisbauer. Par l’entremise de ce député, l’affaire est alors remontée jusqu’au Préfet Frédéric Pottier, Délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT. (DILCRAH)

La direction de l’établissement  « Le poussin Bleu » a communiqué sur son site Facebook : « Notre carte des glaces était inchangée depuis 1947, néanmoins en cette année 2020 nous devons nous résoudre à retirer / modifier deux de nos coupes de glaces parmi celles qui avaient le plus de succès, suite à une vindicte populaire violente envers nous sur les réseaux sociaux. Pourtant depuis que cette coupe de glace existe, personne ne nous avait mis au pilori et insulté comme cela vient d’être fait en moins de quarante-huit heures sur les réseaux sociaux, par des profils  — vides de tout renseignement, c’est plus facile pour se cacher… —, qui nous connaissent très peu !  (…)
Ma famille est issue de l’immigration, ma grand-mère est arrivée jeune avec ses parents pour quitter la misère du Sud de l’Italie, mon grand-père a fui le fascisme de Mussolini. Ils ont travaillé dur, dans le bâtiment pour lui, dans les ménages pour elles.  À l’époque, les Italiens étaient traités de toute sorte de noms péjoratifs, “bons qu’à jouer de la mandoline, ritals, macaronis” —  d’ailleurs soit dit en passant personne n’a jamais voulu interdire les pâtes du même nom  ! (…)
Naïvement nous avons gardé ces coupes telles quelles, sans penser à mal. Elles datent sûrement de l’époque coloniale mais l’histoire passée a fait la France d’aujourd’hui.
Sans colonies, sans ses migrants la France ne se serait pas enrichie des différentes cultures… Ces coupes ont fait le bonheur de beaucoup de générations de familles d’origines différentes… si elles ont dérangé quelques personnes récemment nous en sommes désolés… peut être avons-nous été trop naïfs, en n’y voyant aucun mal … Après ce déferlement de violence et d’insultes nous avons décidé de les retirer de la carte,  bien qu’aucune personne d’origine asiatique ne se soit plainte (…),  aux conflits nous préférons la paix, dans le respect de chacun ».

Ce à quoi le député répondait, selon le journal Nice Matin : « Je comprends très bien que les patrons du Poussin Bleu n’ont pas voulu blesser quiconque. Mais à notre époque, ce genre de chose n’a plus sa place ». Il souhaite désormais « ouvrir un dialogue et même organiser un débat à ce sujet », pour que « chaque partie puisse librement s’exprimer et démontrer sa bonne foi ».

De son côté, le maire Frédéric Masquelier tentait de nuancer : « Moi-même, lorsque j’avais dix ans, je me délectais de cette fameuse glace au chocolat. Alors, oui, aujourd’hui, ce n’est plus dans l‘air du temps. Mais de là à en faire toute une histoire, appeler au boycott… non ! »

Il fallait en effet être bien naïf pour croire qu’en 2020, alors que partout fleurissent dans le monde des mouvements légitimes pour la reconnaissance des identités diverses, pour le respect et la dignité de tous, à l’heure où l’on déboulonne les statues de figures esclavagistes et colonialistes, où l’on débaptise et rebaptise nombre de rues dans nos villes, les malheureuses coupes glacées incriminées pourraient faire autre chose que fondre — et pas sous nos langues — fondre et se fondre dans le paysage et, sous la vigilance des militants décoloniaux, disparaître à jamais des vitrines comme de nos assiettes à dessert !