Le discours historique de Christiane Taubira, la victoire des Lumières

Christiane Taubira, Garde des Sceaux

Le discours de Christiane Taubira en faveur du mariage homosexuel est-il entré dans l’histoire ? Le plaidoyer de la Garde des Sceaux, ce 29 janvier à l’Assemblée nationale, semble indéniablement avoir marqué les esprits. À commencer par celui de la philosophe Laura-Maï Gaveriaux.

Les avancées juridiques et politiques marquantes de notre histoire démocratique ont souvent donné lieu à de grands discours devant l’Assemblée nationale, lesquels constituent autant de jalons discursifs dans l’évolution du rapport de notre société au droit, et ce depuis la Première République. Pour les plus modernes, nous en gardons des archives photographiques ou télévisuelles, aujourd’hui consignées dans la mémoire collective.

Dans les pas de Simone Veil et de Robert Badinter

Pour ma génération, c’est l’image de Simone Veil, en 1974, défendant le projet de loi visant à la dépénalisation de l’avortement. Derrière cette photographie d’histoire, recouverte aujourd’hui du voile de la sérénité que permet de la distance du temps, se trouve en fait une succession de débats houleux et parfois même violents.

Pensez que la discussion du texte s’ouvrit le 26 novembre 1974, et que la loi fut votée dans la nuit du 29 novembre. Trois longs jours pendant lesquels se tint un bras de fer impitoyable entre toute une coalition d’opposants que la peur d’une évolution sociale animait, face à une seule femme que la conviction politique et morale déterminait à réussir. À l’arrivée, l’histoire retient une victoire politique et juridique, ainsi qu’un grand discours, tant par sa force oratoire que par la clarté et la rigueur argumentative de sa démonstration.

Le 17 septembre 1981, c’est le Garde des Sceaux Robert Badinter qui montait au perchoir pour défendre l’abolition de la peine de mort. Un autre combat rude, une victoire à l’arrachée où c’est encore une fois le politique qui prit un temps d’avance sur les mentalités afin de les faire évoluer.

Il en reste l’image du grand avocat et du grand ministre que Badinter devint à l’occasion de cette joute, immortalisant l’orateur accroché à son pupitre comme s’il en allait de sa propre vie. Cette photographie exerce toujours la même émotion sur ceux qui la regardent, en constatant le chemin parcouru depuis le jour où les partisans de cette loi se voyaient accuser de protéger les assassins et d’encourager les viols d’enfants.

Christiane Taubira, symbole d’une France de toutes les diversités

Le 29 janvier 2013, c’est la Garde des Sceaux Christiane Taubira qui est montée à la tribune pour tenir, devant la France et l’Assemblée nationale, un discours déjà historique par la symbolique dont il est chargé. Mme Taubira a toujours été reconnue et admirée dans la vie politique pour son talent oratoire, même par ses adversaires.

C’est à n’en pas douter l’une des raisons pour lesquelles François Hollande et Jean-Marc Ayrault la nommèrent à ce poste, sûrement déjà conscients de la lourde tâche qui serait celle du ministre qui porterait cette promesse de campagne. Elle tint son rôle pendant cette demi-heure de haute maîtrise rhétorique, alliant l’intelligence argumentative, l’érudition historique et le charisme oratoire.

 

Extrait du discours de Christiane Taubira le 29 janvier, à l’Assemblée nationale (BFMTV)

 

Mais peut-être y avait-il aussi une certaine émotion qui pouvait s’emparer de ceux qui, comme moi, sont les tenants d’une pensée philosophique libérale de gauche, féministe et post-moderne, une pensée de la diversité, à se dire que nous écoutions la première femme noire ayant accédé à un ministère régalien dans le cours de l’histoire française… qui plus est, député des territoires d’Outre-Mer avant sa nomination au gouvernement, et chargée de défendre la loi qui permettra une avancée des droits pour les homosexuels.

Que de symboles portait-elle mardi sur ses épaules, cette femme dont se dégageait la sérénité de la conviction, la force de la détermination, la ténacité de l’intelligence politique ! Ainsi que le décrivit très justement Bruno Roger-Petit dans son article du 30 janvier, le contraste ne pouvait qu’être saisissant, entre celle qui devint alors l’image incarnée d’une France multiculturelle, progressiste, enthousiaste, et face à elle Henri Guaino, triste et frileux représentant d’une France blanche, élitiste, héritière de la grande culture oratoire et politique, mais définitivement ancrée dans le passé.

Le sourire de Christiane Taubira, la crispation indignée de Henri Guaino : ce sont sûrement ces images que retiendra l’histoire lorsqu’elle archivera les temps forts de la discussion parlementaire sur la loi ouvrant l’institution du mariage aux homosexuels.

Les idéaux des Lumières repris et réactualisés

Mais c’est donc bien plus qu’une avancée pour les droits des homosexuels que constitua cette indéniable victoire argumentative et rhétorique de Mme Taubira. C’est aussi une avancée pour un certain féminisme : celui du fond, de l’intelligence, autrement plus essentiel que les agitations stériles de certains collectifs féministes (plus occupés à traquer les idioties sexistes dans les publicités télévisuelles, sous l’égide des sœurs de Haas par exemple).

C’est une avancée pour les territoires d’Outre-Mer, dont on reconnaît enfin le talent de ses hommes et femmes politiques… Plus encore : c’est l’inscription consciente de la France d’Outre-Mer dans la culture politique et la mémoire collective, symbolisée par la citation du poète guyannais Léon Gontran-Damas en conclusion de la démonstration brillante de la ministre.

Bref, Christiane Taubira est probablement entrée dans l’histoire française comme une figure de l’égalité et du progrès, et j’avoue espérer avoir un jour des enfants à qui je montrerai l’image de cette femme à la tribune, aux côtés de celles de Simone Veil et de Robert Badinter.

Ils la regarderont peut-être en ayant conscience de cette lignée, de cette filiation intellectuelle qui est celle de Christiane Taubira ; mais aussi la mienne et celle de tous ceux qui ont pris position pour cette avancée législative… Cette filiation qui nous rattache à ce que Kant aurait sûrement appelé la « perfectibilité essentielle du genre humain comme moteur de l’histoire universelle »

Édité par Rozenn Le Carboulec

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