« Lazare et sa bien-aimée » dans une mise en scène José Alpha

— Roland Sabra —

 

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Ressuscité  pour les besoins de la cause!

    Marthe et Marie attendent le retour de Lazare. La veille, le Christ est mort sur la croix. La mère de Lazare, ses sœurs Marthe «et Marie pleurent, non pas la mort du Maitre, de celui qui a ressuscité leur fils et frère, non elles pleurent l’absence de Lazare qui passe désormais ses journées dans les collines et qui ne rentre que fort tard à la nuit tombée. Dés les premiers mots de la pièce de Khalil Gibran «  Lazare et sa bien-aimée » tout est dit de l’égoïsme forcené qui nous fait verser des larmes sur la disparition d’un des nôtres et de l’indifférence murée face aux malheurs des « autres ».

Si Lazare préfère la solitude des mornes à la présence des siens, c’est qu’il a rencontré dans la mort l’illumination, l’accomplissement sous la forme d’un amour infini, immortel et céleste, sa houriya, sa muse,« son cœur jumeau ». On retrouve là le thème du double lié à la mort, vécue non comme une perte mais comme une retrouvaille, comme une plénitude. Lazare a été ressuscité mais on ne lui a pas demandé son avis ! Le Christ n’est venu devant son tombeau que trois jours après sa mort. Il avait accueilli la nouvelle de son décès avec une relative indifférence, lui qui à Béthanie séjournait si souvent dans la maison de ce tout premier disciple. A son entourage Il dit le pourquoi de ce miracle qu’Il va accomplir : «  Pour vous » , « afin que vous croyiez ». Lazare est comme instrumentalisé. Quand sa mère évoque son chagrin pour justifier sa demande au Maitre de le ressusciter, Lazare répond : « Mère ! Votre chagrin? Quelle pitié ! C’est de l’égoïsme que de s’apitoyer sur son propre chagrin ». Et quand elle le supplie d’accepter la vie que « Notre Maître t’a donné » Lazare répond : «  Non Il ne m’a pas donné la vie. C’est MA vie qu’il vous a donnée. Quelle cruauté dans vos cœurs » Et de faire ce reproche au Christ : «  Le divin ne devrait pas changer le printemps en hiver. »  Ce qui l’amènera à estimer que  la célèbre phrase » Père pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc Ch. 23) prononcée sur la croix concerne  aussi et peut-être avant tout le Christ lui-même. On peut lire ici une conception de la foi respectueuse du libre arbitre du croyant.

Khalil Gilbran dans ce texte fait référence à un passage de l’évangile, selon Marc, qui évoque l’attitude du Christ à l’égard de sa mère, de ses frères et de ses sœurs qui cherchent à le rencontrer. Jésus refuse et, désignant ceux venus l’écouter, déclare « Voici ma mère et mes frères ». Lorsqu’une femme lui crie «  Heureux le ventre qui t’a porté et les seins que tu as sucés. » Il rétorque  immédiatement : «  Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole du Père et qui s’y conforment. » C’est toute la force de ce discours religieux que d’insister sur le rôle séparateur de la parole du père, sa fonction émancipatrice, sur la nécessité de quitter les jupes de la mère, de rompre avec elle si besoin est, pour s’émanciper, pour devenir un homme. Les limites de ce discours se tiennent dans la glorification du Fils et de sa Mère, Vierge, qui plus est et pour l’éternité ! Ce qui est évacué par la porte fait retour par la fenêtre !

On ne peut que saluer la bonne idée de mettre en scène ce beau texte, surtout ici en Martinique. C’était la troisième fois que Jean-José Alpha se remettait l’ouvrage sur le métier. Il a tenté une transposition du propos dans le pays d’Haïti. Avant toute reconstruction matérielle, le corps ressuscité de Lazare, il faut sauver l’âme du pays, son Houriya, semble dire le metteur en scène. C’est ainsi que Baron Samedi, José Egouy dans le rôle, fait office de chœur antique, il est est celui qui « contextualise », qui rappelle le fil directeur du propos, qui fait les commentaires au public. Lorencia Moreau, chanteuse haïtienne intègre la chorale, curieusement placée dans les coulisses, alors qu’elle pouvait être intégrée, associée à celui de Baron Samedi. Marie et Marthe sont interprétées respectivement par Marie-Line Ampigny, que l’on n’avait pas vue sur scène depuis quelques temps, et par Lisa David, journaliste bien connue et que l’on découvre avec plaisir, dans un autre registre. Christian Charles quitte par moment son tambour et incarne un chef de camp. Ruddy Sylaire est égal à lui-même, à ses sautillements, à ses balancements du corps dans la démarche, à son habitude à monter sur tout objet situé sur la scène, à sa générosité. Il parle fort, de sa voix tonitruante, pour être entendu, ce qui dans les conditions du spectacle est justifié, mais on peut penser que dans une petite salle, il serait plus habile de le convoquer sur le registre de l’intériorité, du débat intime. En un mot il est  fidèle à son talent. Médecin haïtien de formation, il s’est sans doute senti investi de façon particulière dans ce travail.

La scénographie se limite à reproduire l’illusion d’un camp de tentes au sein duquel le propos va se tenir. La bande sonore, pas toujours audible, en plein air, offrait un beau contraste musical avec la pauvreté suggérée du décor.

Il faudrait pouvoir revoir ce travail.

Roland Sabra.le 06-04-2012 Fort-de-France

La lettre d’une spectatrice

 

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    Bonjour M. ALPHA,
Je vous remercie de m’avoir invitée à voir votre interprétation de la pièce Lazare et sa bien aimée de Khalil Gibran ; c’est vrai que je ne savais pas réellement si je pouvais arriver à Fort de France parce que les transports depuis jeudi saint à midi, sont rares du coté de Gondeau où j’habite. Mais je voudrais vous dire que j’ai été heureuse d’assister à cette représentation que vous avez installée devant l’Atrium, c’est la première fois je crois, parce qu’on ne donne jamais de représentation de théâtre en plein air comme çà en Martinique. Mes copines d’un
certain âge et moi qui avons suivi vos conseils d’apporter nos tabourets pliants, nous avons trouvé votre idée géniale de recréer l’univers d’un camp de sinistrés comme on l’a découvert à la télé depuis le tremblement de terre de janvier 2010 en Haïti, pour raconter l’histoire de Lazare. Et puis les lumières de chantiers, comme vous dites, les voix des chanteuses et la musique que vous avez choisi pour nous donner les émotions portées par les bons acteurs, nous ont ravis. La première scène quand la Mère, Marie et Marthe creusent pour retrouver le corps de Lazare, est formidable, parce que j’ai eu peur de ce qu’elles pouvaient découvrir, alors que je savais que j’étais entrain de regarder un spectacle de théâtre. Et pourtant j’ai ressenti l’angoisse de découvrir quelqu’un enseveli sous la terre. Le comédien qui joue le rôle de Lazare est costaud, je l’avais imaginé un eu plus petit, mais quel talent ! La pièce est réussie parce qu’elle est vraie et qu’elle transporte le spectateur dans le conflit qui existe entre Lazare et sa famille. Sa mère et ses soeurs ont appelé Jésus de Nazareth pour le ressusciter alors qu’il avait choisi de mourir face aux perversions du monde actuel. Je me suis posée de
nombreuses questions en regardant votre pièce que vous avez dédiée à votre maman ; c’est bien de l’avoir fait quand on sait ce que les mamans créoles représentent pour nous aux Antilles. Nous nous sommes toutes posées la même question : pourquoi a- t elle voulu faire ressusciter son fils ? Est ce que c’était par amour pour lui ou bien pour ne plus souffrir de la disparition tragique de son fils unique ? Et puis, c’est bien ce que demande toute maman à la perte de sa fille ou de son fils. Mon amie a pleuré quand la mère lui a demandé de remercier Jésus de l’avoir ramené à la vie terrestre. Et puis Marthe, la soeur de Lazare qui reproche à son frère d’être si dur avec sa mère, et Marie qui voudrait comprendre tout le mystère de l’au-delà où se trouvait Lazare après la mort. Les deux actrices sont très bonnes, Mme Ampigny qui joue le rôle de Marie est émouvante et vraie, elle a une belle voix et elle joue bien. J’ai cru me revoir face à ma grande soeur quand je me fâchais contre ma mère. Mme Lisa David que nous connaissons comme journaliste nous a étonnées parce qu’elle souffrait autant que Marie mais avec la dignité de ces personnes qui ne veulent pas montrer leur souffrance par orgueil et qui pleurent en silence dans leur solitude. Je ne connaissais pas la comédienne qui joue le rôle de la maman, mais elle est bien et puis c’est une grande négresse comme sont les haïtiennes qui se déplacent comme des bêtes blessées qui nous touchent. Vous avez bien raconté cette histoire avec l’énigmatique Baron samedi qui m’a appris, après le spectacle, qu’il est le gardien des cimetières dans la légende des divinités du vaudou. J’ai eu l’impression qu’il était invisible pour les autres, et le comédien José Egouy qui a créé ce rôle m’a confirmé que c’était bien l’effet que vous recherchez. La distribution de l’eau, les nouvelles d’en dehors du camp, les conditions de vie des gens, m’ont captivée. C’est une belle pièce bien réelle avec son texte, sa musique, ses chants, ses rythmes et les émotions que vous nous avez données. Je la recommande à tout le monde. Si vous pouviez la jouer au Saint esprit où j’ai beaucoup de parents. Je vais vous faire de la publicité. Merci et bon courage.
Rachelle MONNELLY
Retraitée