« Il faut enseigner les langues régionales le plus tôt possible à l’école »

Par Michel Feltin-Palas,

–Une manifestation est organisée par le mouvement occitaniste ce samedi à Montpellier. L’occasion de se pencher sur le sort des langues régionales avec l’une des meilleures spécialistes du sujet, la linguiste Henriette Walter.

Le français s’est-il imposé comme langue nationale au détriment des langues régionales en raison de ses vertus linguistiques?

Pas du tout. Au départ, il s’agissait simplement d’un idiome parmi d’autres, à ceci près qu’il s’était développé dans une région qui allait devenir le berceau du royaume de France. C’est donc une langue qui a « réussi » en s’imposant sur les territoires voisins.

Ce n’est donc pas une langue supérieure aux « patois », comme on le croit souvent?

Nullement. Les patois ne sont pas des parlers « inférieurs »: ce sont des variations locales d’une même langue. Aucune langue n’est supérieure à une autre: cela, c’est de la propagande.

Pour quelles raisons les langues régionales sont-elles en déclin?

Plusieurs facteurs se sont conjugués. L’école, qui a imposé l’usage exclusif du français. Le service militaire et la guerre de 1914-1918, qui ont obligé les masses paysannes à recourir à une langue commune. L’exode rural, qui a déplacé les masses paysannes pour vivre dans des grands centres urbains. Sans oublier bien sûr la radio et la télévision.

De son point de vue, l’Etat a mené une politique redoutablement efficace…

Exactement. Car on l’a oublié, mais la France a longtemps constitué une tour de Babel linguistique et culturelle. Au moment de la Révolution, selon le rapport de l’abbé Grégoire, seuls 3 des 25 millions de Français de l’époque parlaient et comprenaient le français!

Cette diversité a toujours représenté un défi redoutable pour le pouvoir, qu’il soit monarchique ou républicain. C’est sans doute ce qui explique qu’il se soit montré hostile aux langues régionales.

L’Ordonnance de Villers-Cotterêts, en 1539, était rédigée contre le latin, mais a aussi joué contre les idiomes concurrents du français. Toutefois, la guerre contre les langues régionales a véritablement commencé à l’époque de la Révolution, et s’est poursuivie avec la République, avec des méthodes que l’on jugerait inadmissibles aujourd’hui. Souvenez-vous de ce fameux « signal » ou « symbole », en usage jusque dans les années 1960, que l’on imposait à l’enfant surpris en classe à prononcer un mot en auvergnat ou en alsacien. L’instituteur lui accrochait au cou un sabot ou un morceau de fer, dont le « fautif » ne pouvait se débarrasser qu’en dénonçant l’un de ses camarades. A la fin de la journée, le détenteur du « signal » était puni.

Etonnez-vous après cela que les langues régionales aient été associées à des sentiments de honte et de culpabilité et que les écoliers, devenus adultes, n’aient pas eu envie de les transmettre à leurs enfants!

Pourquoi l’Etat a-t-il agi ainsi?

Parce qu’en France, la langue se confond avec la question nationale. A la différence de pays culturellement homogènes, la France a rassemblé des peuples très différents. Et pour faire tenir ensemble la Flandre et le Comté de Nice, l’Alsace et la Gascogne, il a fallu un Etat fort, qui a écrasé les identités régionales, dont les langues sont bien évidemment l’étendard.

D’où viennent nos langues régionales?

Pour simplifier, il faut distinguer entre les langues issues du latin, dites romanes, et les autres. Parmi ces dernières, il faut citer le basque, bien sûr, qui est une langue non indo-européenne, c’est-à-dire qu’elle se parlait non seulement avant l’arrivée des Romains, mais avant même celle des Gaulois! Il y a ensuite le breton, une langue celtique. Et enfin les langues germaniques: le flamand, les variétés du francique lorrain et l’alsacien.

Parmi les langues romanes, les plus nombreuses, on trouve au nord les langues d’oïl, comme le picard, le normand, le gallo, le champenois, le poitevin-saintongeais, etc. Au sud, on distingue le corse, qui est apparenté à l’italien, le catalan et le francoprovençal, qui s’étend de la Savoie à Lyon. Sans oublier, bien sûr, les langues d’oc, avec le provençal, le languedocien, l’auvergnat, le limousin, l’auvergnat et le gascon.

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