Pour une véritable régulation bancaire au niveau européen

Par MICHEL DESTOT Député, maire de Grenoble et président d’Inventer à gauche, DOMINIQUE LEFEBVRE Député, membre de la Commission des finances, JEAN PEYRELEVADE Ancien président du Crédit lyonnais, MICHEL ROCARD ancien Premier ministre et président d’honneur d’Inventer à gauche, BERNARD SOULAGE Professeur d’économie et vice-président de la région Rhône-Alpes délégué à l’Europe

–La crise financière et bancaire n’est peut-être pas derrière nous, il y a fort à parier que les banques, hedge funds et autres véhicules financiers n’ont pas dit leur dernier mot. En juin 2011, la Banque des règlements internationaux (BRI) mettait en avant les dangers systémiques qui nous guettent : l’encours total des produits dérivés (vendu de gré à gré) s’élevait à un niveau vertigineux : 708 000 milliards de dollars (contre un PIB mondial à peine supérieur à 62 000 milliards de dollars).La crise menace toujours, nous devons donc protéger les épargnants des écueils de la finance de marché.

Après la crise de 1929, le Glass-Steagall Act avait, en 1933, instauré l’incompatibilité entre les banques de dépôt et celles d’investissement. Ce choix de régulation, adapté aux circonstances de l’époque, a participé de l’absence de crise financière systémique durant plusieurs décennies. La dérégulation orchestrée dans les années 80 et 90 en Europe et aux Etats-Unis a vite conduit aux nombreuses crises (fonds LTCM en 1998, Lehman Brothers…). Il y a fort à parier que, si aucune action d’envergure n’est engagée, elles se poursuivront et seront mortifères.

François Hollande s’est engagé pendant la campagne présidentielle (7e engagement) à séparer et à réguler les activités bancaires. Le projet de loi est proposé aujourd’hui au Parlement français. Nous le soutenons, il est essentiel pour la pérennité de notre système financier. Mais ce premier pas nécessaire doit être conforté et accompagné. Nous proposons pour cela trois pistes d’amélioration.

Premièrement. Nous devons engager dès à présent un travail au niveau européen, pour que l’initiative française ne reste pas isolée. A défaut, nous pénaliserions notre système bancaire – qui avait mieux résisté que les autres à la crise – sans effets réels sur les risques financiers. Le chemin vers l’existence d’un régulateur unique et puissant à travers l’Autorité bancaire européenne (ABE, adossée à la Banque centrale européenne) sera long, mais nous devons emprunter cette voie dès à présent. L’articulation entre le régulateur (l’ABE) et le prêteur en dernier ressort (la BCE) est indispensable. Pour aller dans ce sens, une commission parlementaire de contact avec les Parlements des pays voisins, et avec le Parlement européen, nous semble primordiale. La France est pionnière dans cette régulation. Elle doit aller de l’avant et proposer que cette réforme d’ampleur soit reprise en Europe.

Deuxièmement. La partie II du projet de loi («Renforcer la capacité d’intervention des autorités publiques lors d’une crise bancaire et protéger les dépôts de chaque Français») est satisfaisante dans la mesure où elle traite de la question de l’aléa moral. Elle permet un système de sanctions couplé à une régulation très puissante : en cas de mauvaise gestion, l’Autorité de contrôle prudentiel des banques et des assurances (ACP) verra ses pouvoirs renforcés (révocation des dirigeants, possibilité de nomination d’administrateurs provisoires, mises en paiement des actionnaires…). Et surtout, le système bancaire devra assurer ses propres erreurs, sans recours aux contribuables.

En revanche, nous devons aller plus loin dans la première partie du projet de loi. Si nous ne sommes pas pour la séparation pure et simple des activités bancaires, nous sommes favorables à un processus de filialisation accentué. Distinguer les activités en créant des filiales pour la gestion pour compte propre est majeur. Mais la filialisation doit aller jusqu’aux dirigeants : le management doit être différencié entre la banque de détail et celle d’investissement. Quant aux activités de la filiale «ségrégée», celles-ci doivent pouvoir être définies moins du fait de leur taille (la moyenne française des fonds gérés pour compte propre s’établit à 5 % quand elle est de 15 % pour Goldman Sachs) qu’à raison de la nature de leurs activités et ce périmètre doit pouvoir être adapté en fonction de l’évolution des risques systémiques.

Troisièmement. La stabilité du système bancaire et financier passe par un système de régulation puissant. Les ratios prudentiels (à travers les normes prudentielles dites Bâle II et, demain, Bâle III), le couplage de la rémunération des traders à des objectifs de long terme, la capacité à contrôler précisément une activité bancaire sont autant de leviers qui contribuent à assurer la pérennité du système. L’Autorité de contrôle prudentiel (ACP) et, demain, le régulateur européen doivent avoir les moyens de nos ambitions, à savoir davantage d’inspecteurs, d’auditeurs par établissement de crédit ou d’assurance contrôlé. Osons prévoir les moyens de notre ambition. Rappelons que la «dangerosité» d’une banque ne dépend ni de la nature de ses activités ni de sa taille, mais de la manière dont elle gère les risques.

La régulation bancaire passe, comme au siècle dernier avec le Glass-Steagall Act, par une régulation fondée sur la distinction entre activités utiles à l’économie et activités spéculatives des institutions financières. Une régulation qui sera d’abord européenne si elle veut être efficace, et mondiale si elle veut être opportune.

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