Vive le sujet ! Série 1 et 2

« Vive le sujet » relève de « l’indiscipline », ainsi nommée parce qu’il s’agit de performances qui outrepasssent les cadres des différentes disciplines, théâtre, arts visuels, danse, chant etc. mais aussi parce que ces spectacles témoignent d’un esprit créatif et novateur, faisant volontiers un pied-de-nez aux conventions de genre.
C’est le cas pour les deux performances de la première série (série 1 et 2) qui se veulent libres et joyeuses, De L’une à l’hôte et Nos Coeurs en terre.
De L’une à l’hôte
Le titre du spectacle annonce son esprit: il s’agit d’une jonglerie réjouissante sur les mots, accompagnée de l’évolution acrobatique d’une danseuse. Une comédienne, Violaine Schwartz et une danseuse, Victoria Belén mènent de front cette performance, qui pour être modeste n’en est pas moins remarquablement réussie. C’est aussi drôle que pertinent. Le thème épouse étroitement la scénographie: qu’est-ce qu’un hôte, pourquoi ce nom de « hôte » est-il réversible? L’hôte est toujours un autre, accueillant ou accueilli. Mais non son féminin « hôtesse », qui ne se dit que pour la femme accueillante, « hôtesse de l’air » ou « hôtesse d’accueil ». Comme on pouvait s’y attendre, le nom féminin subit une perte sémantique et une dévalorisation. Ce jeu de Moi à l’Autre, ou à l’Hôte, différence ou ressemblance, est incarné par le jeu du double, la danseuse collant à l’actrice, ou doublant ses gestes. L’hôte et son autre deviennent une sorte de créature biface, une espèce de déïté polymorphe, à l’instar de Brahma. C’est une image juste et amusante des glissements, des effets de double, des divorces, de tout ce qui unit et sépare le couple des hôtes. Par quel mystère l’hospitalité devient-elle si rare dans nos sociétés, quand elle n’est pas punie comme un délit ?
A défaut d’y remédier sur scène, le spectacle aidera le public à comprendre les données de la question, à s’en amuser sans rien perdre de sa gravité.

Nos coeurs en terre
Les minéraux ont-ils un sexe? Peut-être abuse-t-on du langage quand on parle de « coeur de pierre »? Au XVIIè siècle, à l’époque ou les philosophes libertins s’exercent à penser sans Dieu, il est des gens de Lettres pour imaginer les autres planètes, le voyage intersidéral. Parmi eux, il en est un de profondément original, Pierre Borel. Il était médecin ordinaire du roi Louis XIV, et il avance détenir la preuve irréfutable de la sexualité des pierres. Ce fut l’occasion d’un vaste débat au milieu de ce siècle qui préfigure Les Lumières. Qu’en est-il aujourd’hui? Le minéral serait-il plus proche de l’animal qu’on le suppose ordinairement?
Voici la question qui anime l’auteur de cette pièce David Wahl, habitué qu’il est à entremêler recherches scientifiques et récits populaire. Question d’autant plus actuelle qu’elle recoupe la problématique environnementale, nous interrogeant sur notre rapport à la terre, en tant que planète comme en tant que matériau. Pour donner vie à ce questionnement David Wahl a trouvé la complicité d’un peintre et sculpteur, Olivier de Sagazan. Au fur et à mesure que l’auteur-comédien déroule son texte, il est enduit de glaise par son acolyte, d’abord son costume, puis sa chevelure, pour être ensuite recouvert de cette terre grasse qui lui colle à la peau. Il en va de même pour le sculpteur qui prend plaisir lui aussi à se couvrir de terre. Métamorphose, transformation! Par la grâce de la sculpture, on passe d’un règne à l’autre. L’homme se transforme en arbre, il lui pousse des branches et des feuilles. L’argile accomplit des merveilles, toute la mythologie nous le raconte. Encore une fois, l’homme retrouve le geste créateur du Démiurge. Un nouveau Golem se présente à nos yeux. Rien de plus poétique que ce lien matérialisé entre espèce humaine et espèce minérale. Et si les dernières découvertes scientifiques donnaient raison à ces rêveurs du XVIIè siècle? Si la vie prenait vraiment source dans la pierre?
En tout cas nous en avons ici une préfiguration saisissante, à la fois comique et poétique, une riche image qui a de quoi vous rendre amoureux de la terre.
Michèle Bigot

Festival d’Avignon 2021
Jardin de la Vierge du lycée Saint-Joseph
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