Une vie de trompette sans tambour

Jusqu’au 17 novembre 2019 au Lucernaire

— Par Jean-Pierre Léonardini —

La chronique théâtrale de Jean-Pierre Léonardini. Il brode sur les fins dernières de l’artiste qui change de cap sans renoncer. Déjà percé des flèches exquises du succès (en off  à Avignon et en tournée), Emmanuel Van Cappel fait halte au Lucernaire avec son spectacle intitulé Elle… Émoi (1). Elle, c’est la musique, plus spécifiquement celle issue de la trompette sous toutes ses formes (à pistons, en ut, piccolo, bugle, clairon…), dont il est un spécialiste virtuose en rupture de ban, s’étant depuis beau temps évadé de la fosse d’orchestre pour voler ici et là de son propre zèle, sur les scènes qui accueillent à plaisir ce musicien-acteur infiniment spirituel qui, je ne sais trop pourquoi, m’a remis en tête cette délicieuse chanson de Bourvil : « Oh ! Dis, chéri, Oh !  joue moi-z’en/D’la trompette,  D’la trompette… » Cette vieille scie a pour titre le Trompette en bois. Emmanuel Van Cappel ne l’est pas, de bois. Instrumentiste chevronné depuis l’adolescence, partie prenante dans maintes aventures musicales, formé au jeu suivant les principes de l’école gestuelle de Jacques Lecoq, il est l’auteur de son texte qui joue sur les mots avec maestria, avec autant d’aisance qu’il s’empare des cuivres accrochés dans son dos pour en tirer, à point nommé, un régal de sonorités maîtrisées.

Pour la réjouissance sémantique, on n’est pas loin de Raymond Devos. Élégant, jusque dans le renoncement au frac de la tradition, sans cravate, les pieds nus, parfois vautré dans un fauteuil club, Emmanuel Van Cappel distille un humour de fin sourire. Il brode sur les fins dernières de l’artiste qui change de cap sans jamais renoncer à ce à quoi il s’est abouché, enfin libre de s’y livrer au sein d’une autobiographie à partager à la cantonade. Ne pourrait-on aller jusqu’à définir Elle… Émoi comme une bio-fiction auditive ? Nathalie Louyet a signé la mise en scène, Jean-Philippe Lucas-Rubio étant crédité du « regard extérieur ». En une heure d’horloge, Emmanuel Van Cappel se livre avec franchise, avec un zeste d’autodérision qui ne fait que relever la gravité essentielle du propos. Pourquoi tant d’années de studieuse astreinte, si c’est pour attendre dans l’ombre le moment élu pour votre instrument d’enfin résonner dans le concerto ? La scène lui est un lieu d’affranchissement radical où s’interroger sur soi au vu et au su des autres, lesquels, le plus souvent, auraient bien voulu « savoir jouer d’un instrument ». On souhaite que sa joie demeure en scène !

(1) C’est tout en haut du théâtre, dans la salle dite le Paradis, au 53, rue Notre-Dame-des-Champs, Paris 6e ; tél. : 01 42 22 66 87, www.lucernaire.fr. Le texte d’Emmanuel Van Cappel est publié aux éditions de l’Harmattan.