Un Père de la Nation qui se dessine

Par Yves-Léopold Monthieux

Un ami de la nomenclatura foyalaise me disait hier que jamais Péyi-a et ce qui reste du MIM ne laisseront Serge Letchimy donner son nom à une Martinique autonome ou indépendante. D’autres exemples pourraient confirmer que le sort de la Martinique est étroitement lié à une compétition de ses leaders devant le l’histoire.

Ce phénomène me rappelle le bref entretien que j’avais volé à Alfred Marie-Jeanne dans un couloir d’ATV. « Voudriez-vous connaître le destin de ces hommes qui ont donné leur nom à leur pays comme Simon Bolivar, Jose Marti ou Fidel Castro ? Aimeriez-vous que la Martinique s’identifie à votre nom, lui demandai-je, quelles que soient les conséquences positives ou négatives, y compris pour votre propre famille ». Son accord empressé à ces éventualités était sans ambiguïté. Deux circonstances ont paru faire écho à cette réponse, d’abord, au lendemain du moratoire, la répétition de sa propre sentence : « Césaire est voué aux poubelles de l’histoire ». Ensuite, l’opposition de Chaben, qui s’est avérée vaine, à la dénomination de l’aéroport du Lamentin du patronyme d’Aimé Césaire. Pour cela il avait osé proposer que celui-ci, qui l’avait mal pris, se contente du Lycée Schoelcher.

Seules cette compétition et la menace d’un succès de Chaben avaient conduit le Parti progressiste martiniquais à voter non aux consultations électorales du 7 décembre 2003 et du 10 janvier 2010. Il fallait empêcher qu’une évolution du statut, si petite soit-elle, soit regardée comme un succès de Marie-Jeanne et retenue par l’histoire comme l’œuvre de celui qui avait été à l’origine des deux consultations populaires. Leur opportunité avait été contestée par le PPM par une boutade (chatt-en-sac suivi d’un non sournois) pour la première ; par son vote négatif au congrès de décembre 2008 suivi du non assumé, pour la seconde consultation. Comme cela est démontré aujourd’hui, l’objectif politique du PPM et de son Président allait bien au-delà de celui contenu dans les deux consultations, qui, soit dit en passant, avait été rejeté par les Martiniquais. Pire, la tentation est grande de ne pas inviter ce dernier à ses noces. Le rappel par tous qu’il serait consulté, est parfaitement hypocrite. Ce n’est qu’après la consultation que les élus et le gouvernement « font leurs affaires », pour reprendre un mot de Césaire.

Tous évitent soigneusement de prononcer le mot « référendum », le scrutin populaire exécutoire (et non consultatif) qui intervient à la fin du processus et oblige les élus et l’Etat au strict respect du texte voté. Tous préfèrent la consultation faux-cul qui permettrait de mieux abuser de l’électeur. Même Louis Boutrin, tête de turc de la classe politique, évoque cette consultation alibi. Le reproche qui lui est fait n’est pas de se rapprocher de ses idées, ce qui est vrai en se mettant sous le manteau de Letchimy, mais de changer de bonnet.

Retournement de situation, donc, il n’est plus possible à Alfred Marie-Jeanne de rattraper Césaire devant l’histoire et il a de bonnes chances de se faire distancer aussi par le très déterminé Serge Letchimy, qui se destine à devenir le « père de la Nation ». En effet, après s’être fait dicter les voies et les moyens pour y parvenir, il semble suivre les préceptes édictée par sa plume-conseil, Patrick Chamoiseau, dès octobre 2010.

« …Dès lors, celui qui parviendra, avec le souffle d’un idéal, l’énergie d’un projet, à mettre en branle ce processus de responsabilisation, cette liberté de conception, en entraînant avec lui, sans peur, sans renoncement, sans régression aucune, la majorité des Martiniquais, deviendra le père de la Nation. Tout autre faible degré politicien (déresponsabilisation, agitation dans les urgences, logique de gestion, panacée économique ou paternalisme social) est voué aux oubliettes de nos histoires. »

S’agissant du père de la Nation, on croyait la place déjà occupée. Reste que la formule de Chamoiseau, « oubliettes de nos histoires », est moins irrespectueuse que celle de Chaben, « poubelles de l’histoire ».

Fort-de-France, le 27 août 2023

Yves-Léopold Monthieux