Un nouvel avatar de la Françafrique

Par Michel Galy, politologue

Ainsi, Cassandre avait raison ! La guerre africaine de François Hollande a bien commencé au Mali. Pendant que stratèges, politiques et humanitaires se mobilisent sur le Moyen-Orient et la Syrie, c’est en Afrique que la France intervient.

Laissons tomber quelques instants, pour une analyse sereine, le pesant catéchisme diplomatico-communicationnel, qui veut que c’est « en appui de », « à la demande de », que la France est intervenue !

MOBILISER LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST

« En appui » de quoi ? Comme pour d’autres interventions, le schéma de la diplomatie française était bien, par le biais des régimes relais, de mobiliser la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), l’Union africaine, l’ONU dans un savant crescendo de demandes, déclarations et résolutions légitimant l’intervention militaire.

Cette dernière aurait eu pour fer de lance les forces tchadiennes habituées du désert, les corps du Nigeria et du Sénégal, et des contingents régionaux.

La réalité était déjà tout autre : des forces spéciales françaises, dirigées depuis Ouagadougou, étaient à pied d’oeuvre au Burkina Faso, au Niger, en Mauritanie et même au Mali !

L’avancée surprise de colonnes de pick-up de plusieurs milliers de djihadistes fonçant vers Mopti et Bamako a dissipé cet écran de fumée médiatique, cette légende diplomatique et cette esquisse de « coalition » internationale.

« BONS ISLAMISTES » D’ANSAR EDDINE DES « MAUVAIS » D’AQMI

Autant pour les naïfs voulant distinguer les « bons islamistes » d’Ansar Eddine des « mauvais » d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ou autre Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ! Echec à Ouagadougou, confusion à Bamako, erreurs d’analyse à Paris : le bilan d’un an d’action au Mali et au Sahel semble très mitigé !

Les scénarios de crises s’écrivent à partir de schémas logiques dépassés : trop souvent, militaires, diplomates ou humanitaires oublient la politologie africaine, la longue durée, les structures sociales (ainsi la segmentarité touareg et ses incessants retournements d’alliance) qui sous-tendent les conflits.

Alors que le pouvoir se fait une image négative, criminalisée, instrumentalisée de ses ennemis, je n’ai jusqu’ici lu aucune analyse en termes de religions, de cycle de pouvoirs, d’islamisation de longue durée et sur de grands espaces touchant le Sahel (et jusqu’à la Côte d’Ivoire !) : le philosophe arabe Ibn Khaldoun donnait ces clefs au… XIVe siècle !

L’historien Lucien Febvre (1878-1956) avertissait déjà d’étudier une crise religieuse comme celle de la Réforme en termes religieux, autour du sacré et du politique, et non sous l’angle d’un confus et très bushien « terrorisme international » !

Laissons de côté les cycles séculaires de corruption, et demandons-nous où pèchent dans le Mali contemporain les raisonnements en termes de « renseignement militaire ».

L’intervention indirecte a échoué, ainsi que la négociation ; « jouer les Touareg » du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), pour « liquider AQMI », puis séparer Ansar Eddine des autres mouvements islamistes ont été deux manipulations manquées, laissant le nord du Mali aux mains de mouvements réunifiés et conquérants.

Intervenir à Bamako, sans mandat, pour détruire le pouvoir du capitaine Sanago et disperser islamistes et Touareg dans tout le Sahel risquent d’être deux erreurs majeures encore à venir. Mais pouvait-on faire autrement, autour de Mopti ?

COUP DE SEMONCE CONTRE UNE ARMÉE ISLAMISTE

Evidemment non, et on ne peut qu’approuver le coup de semonce contre une armée islamiste qui semble vouloir conquérir et sans doute mettre à feu et à sang le sud et la capitale !

Mais pourquoi en est-on réduit à cette approbation forcée ? Nous ne pourrions approuver un interventionnisme massif qui se profile à Tombouctou, Kidal ou Gao et encore moins à Bamako, ce qui provoquerait une guerre civile et des massacres urbains.

La volonté de faire un « double coup d’Etat » (au nord et dans la capitale) serait hasardeuse, la société civile, politique et même religieuse étant très divisée…

Par ailleurs, l’intervention, une fois de plus, n’a pas un « habillage » juridique convaincant, ni du côté de l’ONU, ni du côté malien : un pays qui n’a pas d’accord de défense ne peut être représenté par un président intérimaire sans grande légitimité !

Faire apparaître Dioncounda Traoré comme un président fantoche porte-voix des intérêts occidentaux et français pourrait se révéler un jeu fort dangereux.

Et plus dangereux encore serait une intervention française massive.

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