Un 14 juillet en pétard mais j’ai rêvé que mon île pourrait se défiler

— Par Patrick Mathelié-Guinlet —
J’ai rêvé que mon île, larguant la longue et lourde chaîne qui l’ancre à ce continent européen avec lequel elle n’a rien en commun si ce n’est un usage de la langue coloniale,

partait à la dérive au mitan du vaste océan, loin du bruit et de la fureur de ce théâtre qu’est le monde actuel et de la mauvaise tragi-comédie qui s’y joue…

J’ai rêvé que sur mon île on ne se préoccupait plus que du chant des oiseaux, du gazouillis des poètes et musiciens, de la luxuriante beauté des fleurs et paysages, d’amour fraternel et de chaleur humaine, bref de faire de cette vie la fête perpétuelle qu’elle devrait être, n’en déplaise aux contempteurs moralistes de tout poil politique, sanitaire ou religieux !

J’ai rêvé que sur ce paradis tropical on vivait de l’abondance des cadeaux de la Terre-Mère qu’on respecterait et cesserait d’empoisonner, dans le partage, l’amour et la libération de l’esclavage de l’argent en l’absence de tout besoin.

On peut me taxer d’irréalisme ou d’isolationnisme mais je désire seulement que mon île soit un asile, non de fous, mais pour tous ces rêveurs d’utopie du bonheur qui y vivent :

île oasis de paix et de joie au milieu du désert, à l’écart d’un monde devenu fou de haine, de peur et d’oppression,

île flottante au milieu d’un dessert de délices sucrés…

Elle, mon île, déployant enfin ses ailes pour s’envoler très haut au-dessus de ce “nid de coucous”, demeurant à jamais cachée à l’abri du vortex d’un triangle bermudéen, invisible, intouchable, inviolable, incontaminée…

PLACE DE LA BASTILLE,
PLACE DE LA NATION
OU PLACE DES ANTILLES,
À CHACUN SA PLACE
SANS PERDRE LA FACE,
SANS CONTREFAÇON…

On fête au quatorze juillet
en France la Fête Nationale
en l’honneur de la Liberté
de haute lutte récupérée
des mains du pouvoir Royal
avec en toile de fond
la prise d’une prison
comme le pétard mouillé
de cette Révolution
fêtée aujourd’hui par ses fils
avec des feux où l’artifice
l’emporte sur la réalité !
La Bastille ! Combien ont été
reconstruites sous d’autres noms,
en d’autres lieux et d’autres temps,
mêmes symboles d’un judiciaire
au service de l’arbitraire
d’un pouvoir aux limites peu claires…
Mais pour nous, Martiniquais,
c’est plutôt le vingt-deux mai
mil huit cent quarante-huit en vrai
que le peuple s’est libéré
des chaînes de l’oppression,
pouvoir absolu du colon.
Même si la Révolution
de mil sept cent quatre vingt-neuf
avait pendant la Convention
par une décision fort sage
aboli déjà l’esclavage
et accueilli des députés
de couleur à l’Assemblée
avant que la de Beauharnais,
Joséphine de son prénom,
que soit sa mémoire à jamais
honnie de tous les Antillais,
ne le fasse sur l’oreiller
rétablir par Napoléon,
fossoyeur d’la Révolution
qu’elle avait un jour épousé
pour le meilleur et pour l’Empire.
Et le pire était à venir
quand se rétablirait le joug
par les armes et un bain de sang
en Haïti dans les Antilles
et pour Toussaint tout finissant
si tristement au Fort de Joux
qui valait bien une Bastille…

Patrick MATHELIÉ-GUINLET