Trente ans de « Recherches en Esthétique », ça se fête – Une exposition à l’Atrium

— Par Selim Lander —
Recherches en Esthétique a trente ans, trente années au cours desquelles le numéro annuel a paru sous la même forme avec une régularité métronomique. Un exploit dans l’absolu et a fortiori dans un domaine aussi élitiste que l’esthétique. Ainsi la Revue d’Esthétique, certes plus ancienne puisque créée en 1948, a-t-elle connu de nombreuses vicissitudes, changements de périodicité (trimestrielle, semestrielle), de forme et d’éditeur, cessant même de paraître en 2004 avant de renaître en 2008 sous l’intitulé Nouvelle Revue d’esthétique. Il a existé naturellement depuis longtemps des magazines qui rendaient compte des expositions (à l’instar de votre Madinin’art !), enrichis de quelques articles plus fouillés, comme Beaux-Arts (créé dès 1923, qui a cessé de paraître en 1944), Artpress (créé en 1972), Beaux-Arts Magazine (créé en 1983) mais il s’agit de magazines grand public ayant certes leur utilité, qui ne sont pas contrairement aux revues l’œuvre d’universitaires à la pointe de la recherche dans leurs domaines (histoire de l’art, art contemporain, cinéma, …).

De surcroît, cette belle revue au format A4, dirigée par le professeur Dominique Berthet, est conçue et publiée à la Martinique, petite « collectivité territoriale » de l’outre-mer français. Il ne faudrait pourtant pas croire qu’elle se limite à l’esthétique martiniquaise. Bien au contraire, c’est une revue ouverte sur le monde autant par les thèmes abordés (« Le Temps » pour le numéro 30) que les spécialistes qui y contribuent, même si l’on note une certaine prédilection tant pour les artistes originaires de la Caraïbe parmi ceux qu’elles s’attache à faire connaître que pour les événements marquants qui s’y déroulent (comme les Biennales de Cuba)

Alain Joséphine – ST 313 – acrylique sur toile, 150 x 89 cm – 2025

Après une première exposition à Saint-Pierre en mars et avril célébrant les trente ans de la revue (1), une nouvelle exposition vient de s’ouvrir dans les locaux de Tropiques Atrium – Scène nationale à Fort-de-France, regroupant les œuvres de quatre artistes talentueux et bien connus des amateurs locaux, soit Julie Bessard et Ricardo Ozier-Lafontaine, œuvrant en Martinique, Annabel Guerrero, parisienne mais qui a réalisé les grandes photos de femmes affichées à Saint-Pierre, trio complété par Alain Joséphine, également originaire de la Martinique mais installé dans « l’île sœur », la Guadeloupe. Quatre artistes immédiatement reconnaissables, l’un d’entre eux au demeurant, le dernier cité, bénéficiant simultanément d’une exposition personnelle à la Fondation Clément, au François, avec des grands formats (jusqu’à 200 x 330 cm) non retenus à Fort-de-France (2).

Nous avons eu l’occasion de dire tout le bien que nous pensions des peintures d’Alain Joséphine en présentant l’exposition du François. Disons ici que c’est un peintre de la nature, d’une nature reconstruite, avec plusieurs plans, des entrelacements de branchages et de feuillages, quelques fleurs, et pourtant tout cela aéré, léger. Une peinture pour rêver comme devant les nymphéas de Monet, même si le motif, la matière, la texture ne sont pas du tout les mêmes. Un « régal pour les yeux ». Dit-on encore cela ? Risquons-le quand même, en ajoutant « pour l’esprit au même titre que les yeux », car comment la beauté pourrait-elle se manifester en nous sans le truchement du complexe enchevêtrement de neurones baptisé « esprit » ?

Les trois autres artistes sont loin de démériter et apparaissent d’ailleurs plus en phase avec les pratiques artistiques d’aujourd’hui. Leurs œuvres sont « spectaculaires » au sens où l’on ne peut pas passer devant elles sans s’y arrêter. Et dans le paysage actuel de l’art, on doit saluer des artistes possédant une identité assez forte pour nous retenir : Julie Bessard avec ses grandes arabesques colorées qu’elle décline désormais sur d’autres supports, sphères ou tondos ; Ricardo Ozier-Lafontaine qui creuse inlassablement son sillon d’où surgissent de minutieux dessins à l’encre, enchevêtrement de formes imaginées (voir la 1ère photo) ; enfin Anabell Guerrero qui revient avec la série de photographies « Les Pierrotines » représentant des femmes en pied, vêtues de robes à l’ancienne, découpées en triptyques.

Julie Bessard – Pays mêlés – huiles sur toile – 2025

Cette exposition relativement restreinte, concentrée dans la salle « La Véranda » de TRopiques Atrium, est en réalité très riche. Le choix des artistes présente un éclectisme de bon aloi, évidemment pas totalement représentatif mais suffisant pour que les visiteurs de passage puissent se rendre compte de la richesse de la production artistique de la Martinique, cette petite île.

Conversations, Exposition à l’occasion des 30 ans de la revue Recherches en Esthétique, commissaire Dominique Berthet, Tropiques Atrium, Fort-de-France, du 30 mai au 11 juin 2025

Prix des œuvres

Julie Bessard : de 190 €, sphère, diamètre 20 cm à 8000 €, grande peinture, 200 x 200 cm

Ricardo Ozier-Lafontaine : de 360 € à 1000 €

Annabel Guerrero : de 900 € à 1500 €

Alain Joséphine : de 2000 €, 90 x 90 cm à 2500 €, 150 x 89 cm

(1) https://www.madinin-art.net/une-exposition-sur-le-temps/

(2) https://www.madinin-art.net/quatre-expositions-plus-une-a-la-fondation-clement/