Tartuffe-Théorème Un spectacle de Macha Makeïeff

— Par Michèle Bigot —

Contrairement à ce que le titre laisse entendre ( en vertu du tiret qui unit Tartuffe et Théorème) il ne s’agit nullement d’une création dans laquelle Macha Makeïeff aurait confronté les deux textes pour en tirer une troisième œuvre originale. Première déception: il ne s’agit que d’une mise en scène de plus de la pièce de Molière et le rapprochement avec Pasolini reste superficiel et inexploité. Tout se passe comme si on s’était avisé après coup que les deux œuvres traitaient de l’emprise!

Encore est-ce l’aspect le plus intéressant, mais il aurait fallu respecter l’ambiguïté du Tartuffe de Molière, son caractère manipulateur, sa duplicité, son hypocrisie et la modalité insidieuse de son influence, au lieu d’en faire un prédateur brutal! A cet égard, on attendait la scène de la séduction d’Elmire en craignant le pire, compte tenu de la débauche de gesticulations à laquelle on assiste depuis le début. Et le pire est advenu. Au lieu de l’approche doucereuse d’un séducteur cauteleux on a droit aux manœuvres brutales d’un prédateur. Peu s’en faut qu’il ne la viole sur scène.

Tout est à l’avenant: tout ce qui doit rester sous-terrain, implicite est exposé de façon explicite, exubérante pour ne pas dire énorme. Sous prétexte de théâtraliser, on verse dans La Cage aux folles. L’hystérie et le sur-jeu sont de rigueur dans le théâtre de Macha Makeïeff. C’était déjà sensible dans Trissotin ou Les Femmes savantes, où la chose pouvait encore se justifier. Mais désormais elle propose aux comédiens de lâcher les fauves et ils s’en donnent à cœur joie, compte tenu de leur jeunesse. On ne saurait le leur reprocher. Du coup, le texte de Molière est passé à la moulinette, entre éructations et murmures inaudibles. Heureusement qu’une grande partie des spectateurs connaît le texte de Molière par coeur, car je mets au défi les novices d’yn entendre quelque chose. Il devront se contenter d’un divertissement canaille, pour ne pas dire vulgaire, qui joue sur l’ambiance des sixties, les jupes bouffantes et les boléros, les pitreries de Flipote, les grimaces de Dorine, les baisers intempestifs, les lumières de Jean Bellorini genre IKEA (qu’allait il faire dans cette galère?), les tubes des années cinquante (Pepito mi corazon!). Quand Dalida rencontre Tartuffe! Et pourquoi d’ailleurs les années cinquante? Si c’est un rapprochement avec Pasolini, on est loin du compte. L’œuvre de Pasolini, à commencer par Théorème s’arrache d’emblée au temps qui l’a vu naître pour accéder à l’intemporalité.

L’allusion à Pasolini se bornerait-elle à manifester l’omniprésence de l’homosexualité? Ce serait faire injure à l’oeuvre de Pasolini. D’autant plus que le traitement du thème de l’homosexualité donne lieu à une direction d’acteurs qui permet tous les débordements et aboutit à une version moderne de La Cage aux folles. Le voici assassiné une seconde fois.

Quant à la scénographie, elle ne fait que reprendre un dispositif scénique en passe de tomber dans les lieux communs théâtraux; il propose deux étages séparés par un voilage. L’arrière plan étant censé représenter les coulisses de la maison d’Orgon dans lesquelles on se livre aux bacchanales dans le dos du père de famille ou encore les cérémonies secrètes et autres rituels sataniques auxquels se livrent les dévots en mal de transcendance. Le défilé des corbeaux et le son de l’orgue présentifiant la noirceur de leurs entreprises, au cas où on n’aurait pas compris!

Bref, tout cela sent la facilité et la complaisance. Chez certain(e)s, le théâtre vire au divertissement. On passe du théâtre populaire au théâtre populiste. Si c’est par jeunisme, on ne peut que s’en affliger, c’est faire peu de cas des jeunes spectateurs que de leur offrir la facilité.

Michèle Bigot

Tartuffe-Théorème

Un spectacle de Macha Makeïeff

La Criée Théâtre national de Marseille

3-26. 11. 2021