Sur la dépénalisation des drogues, en particulier du cannabis.

— Par Yolène de Vassoigne —

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Avant de vous inviter à lire mon article sur la question de la dépénalisation des drogues (ci-dessous, partiellement publié le 15-04-2016 dans le quotidien France-Antilles), il m’est difficile de ne pas réagir à l’autre article publié sur ce sujet relatant les propos d’un médecin. Sur les psychoses je lis “il s’agit d’une maladie dont le malade n’est pas conscient”. Allez donc le dire aux millions de personnes qui en souffrent dans le monde… les troubles psychiques dont font partie les schizophrénies (incluses dans la catégorie des psychoses) génèrent une souffrance souvent extrême donc dire que ces personnes n’en sont pas conscientes me semble de la pure inconscience ou une totale ignorance et méconnaissance de ce public et de ces troubles. Un peu plus loin je lis “JE PENSE que cette autorisation (dépénalisation) augmentera le risque réel de cancer des testicules, d’infarctus et d’AVC”. Mr le docteur VOUS PENSEZ… MAL. Nulle part parmi les centaines, les milliers d’articles scientifiques et médicaux publiés sur le cannabis on n’a jamais lu ça, dommage que ce médecin n’étaye ses propos d’aucune référence scientifique pour conforter de telles élucubrations sans le moindre fondement. Un peu plus loin, citation : “les “jardins” vont commencer à “fleurir” de façon légale sur NOS balcons… les risques que le commerce légal tombe entre les mains du crime organisé ne font aucun doute…”. Commençons par la fin, aux mains de qui donc est aujourd’hui ce commerce, sinon du crime organisé précisément, qui compte parmi les plus riches multinationales ? Quant aux “jardins fleurissant” sur NOS balcons… c’est comme NOUS voudrons ! je vois déjà le voisin du dessous ou d’à côté s’introduisant subrepticement chez NOUS la nuit sans doute pour y installer SES “jardins”, j’avoue la blague ne serait pas du goût de tous…
Il m’apparaît d’une part que le sujet de la dépénalisation des drogues est suffisamment important pour le traiter avec un minimum de sérieux, d’autre part que les passages de l’article relevés ci-dessus dénotent une absence totale de recherche d’information sur la question et une volonté claire de désinformation et d’instiller la peur chez les lecteurs. Rien donc à voir avec un point de vue argumenté et une volonté d’INFORMER.

Me concernant, lorsque le journaliste m’a contactée pour connaître mon point de vue j’ai commencé par faire des recherches sur le net pour savoir précisément de quoi j’allais parler, faire un tour d’horizon de comment ça se passe ailleurs dans le monde, en particulier en Europe. J’ai scrupuleusement lu les retours d’expériences dans les pays ayant dépénalisé les drogues car ce sont ces expériences-là qui m’ont paru pertinentes s’il est question de débattre du sujet sans peur ni tabou ni préjugé : comparer les politiques menées et leurs résultats, notamment concernant l’impact sur la consommation et le trafic dans les pays ayant dépénalisé et en France. Puisque me semble-t-il la préoccupation majeure des gouvernements serait la diminution, voire l’arrêt du trafic, et l’impact sur la consommation si une loi de dépénalisation devait être adoptée, un sujet de société majeur évoqué tout récemment par un député médecin mais qui à l’évidence ne risque pas d’être de si tôt à l’ordre du jour en cette période pré-électorale présidentielle (il n’est qu’à lire les réactions des politiques de tous bords dans la presse du jour) et la politique de l’autruche a encore de beaux jours devant elle . A partir de mes recherches j’ai donc proposé un article qui a malheureusement été tronqué presque des 2/3, seule la partie en caractère gras ayant été publiée.

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Sur la dépénalisation du cannabis.

Le débat, à terme incontournable, sur la dépénalisation du cannabis, vient de s’inviter dans l’actualité avec la déclaration du Secrétaire d’Etat aux Relations avec le Parlement, Jean-Marie Le Guen.

Pourtant nombre de politiques ont reconnu (tout comme le Président Obama) avoir fumé du cannabis, donc sont passibles en France d’une peine pénale. Parmi eux, le Premier Ministre Manuel Valls, l’ancien ministre de l’Ecologie Jean-Louis Borloo, le député européen Daniel Cohn-Bendit pour ne citer que ceux mentionnés dans la presse nationale. Bien d’autres se seront tus.

Que propose Jean-Marie Le Guen, médecin de profession ? D’ouvrir tout simplement le débat sur une question qui concerne la santé publique, la sécurité de la population et les droits de l’Homme. « Le Parti socialiste doit ouvrir le débat sur la fin de la prohibition du cannabis… la situation actuelle ne marche pas et on doit bouger » a-t-il affirmé lundi sur BFMTV.

Il y a quelques mois, le patron des députés PS, Bruno Le Roux, avait déjà proposé d’ouvrir ce débat. Vincent Peillon, alors Ministre de l’Education Nationale avait estimé en 2012 que « le débat sur la dépénalisation du cannabis était un sujet majeur ».

L’ex-Garde des Sceaux, Christiane Taubira, avait elle aussi déclaré considérer « qu’il faut arrêter de fermer les yeux, alors que 17 millions de français ont déjà goûté aux paradis artificiels ».

L’ex-Ministre de l’Intérieur, Daniel Vaillant, est lui aussi partisan de longue date d’une légalisation contrôlée « face à l’échec de la loi de 1970 sur les stupéfiants ».

Mais à un an des présidentielles, pas question « d’ouvrir la boîte de Pandore » avait déclaré François Hollande au début de son mandat. Encore moins à la fin n’en doutons pas.

Alors que l’échec de la politique actuellement menée est évidente aux yeux de tous, en outre fort coûteuse tant en moyens humains que financiers, la politique de l’autruche reste de règle dans une France « bigote » (citation de Jean-Marie Le Guen) qui refuse de regarder en face une réalité à laquelle nous Martiniquais sommes aussi confrontés, peut-être plus qu’ailleurs en France. Sauf que cette politique de l’autruche nous a depuis bien longtemps rattrapés et qu’ici nous en vivement cruellement les conséquences au quotidien, non seulement en termes de santé publique, mais aussi de sécurité de la population avec une explosion de la délinquance liée au trafic de stupéfiants. Pas une semaine sans qu’il en soit fait état dans la presse locale, avec parfois des conséquences dramatiques comme le décès tout récemment de cette jeune femme utilisée comme « mule ».

Et si nous ouvrions les yeux car détourner le regard d’un problème le résout-il ?

Un petit tour du monde. De nombreux pays ont déjà ou vont sous peu dépénaliser l’usage du cannabis : Canada, Colombie, Costa Rica, Pérou, USA (23 états + 7 en voie de dépénalisation) entre autres.

En Europe 11 pays ont légiféré en dépénalisant (9) ou légalisant (2 : Espagne et Pays-Bas dans des limites strictes).

Le rapport de la Commission mondiale sur la politique des drogues estimait que la lutte actuelle contre les drogues est un échec. Il encourageait à arrêter de considérer les consommateurs comme des criminels, préconisant de dépénaliser la consommation des drogues.

En Grande Bretagne, l’Observatoire britannique des drogues, après 6 ans de travaux, se prononce pour la dépénalisation de certaines drogues comme le cannabis. Il estime que les campagnes de prévention n’ont aucun effet réel et préconise que ce soit considéré comme un délit, non un crime. Cultiver du cannabis à usage personnel, poursuit-il, permet de lutter contre la commercialisation de sa production.

La France est un des pays les plus répressifs en la matière, et pourtant un de ceux où la consommation est la plus importante en Europe.

Prenons l’exemple du Portugal, le pays le plus libéral dans ce domaine, jadis confronté à une forte consommation de drogues y compris de drogues dures. En 2001 la consommation et l’acquisition de stupéfiants à usage personnel ont été dépénalisées. 15 ans plus tard, on constate une diminution de la consommation en particulier chez les jeunes et le Portugal connaît la consommation la plus faible d’Europe : 8% des 15-64 ans, contre 23% en France. Le Portugal a redirigé les financements autrefois dédiés à la lutte contre la consommation et le trafic vers des cellules de prise en charge médicale ou psycho-sociale, notamment pour les consommateurs de drogues dures. « Globalement, force est de constater, près de 15 ans après, que la décriminalisation de la consommation de drogue a été nettement plus positive que négative » (FranceTV info), 18/10/2015.

Mais que signifie « dépénalisation » ? Certainement pas légalisation sauf dans de rares pays. Dans la plupart des pays d’Europe ayant dépénalisé, la possession ou la consommation sont « tolérées » ou « encadrées » et considérées non comme un « crime » pénalement puni (France), mais sont un délit se soldant par un simple avertissement ou une amende qui peut être relativement élevée, notamment en cas de récidive. La plupart du temps, l’usage ou la production personnelle sont autorisés dans des limites bien définies. Dépénaliser offre donc une variété de dispositions légales possibles pour « encadrer » en contrôlant la qualité et la quantité des produits consommés ou mis en vente.

A la Martinique aujourd’hui partout le commerce va bon train, y compris devant les établissements scolaires. Rien de plus facile que de se procurer cannabis ou cocaïne, des produits parfois « frelatés » ou avec une très forte teneur en TCH (molécule active du cannabis), dont les effets peuvent être très variables selon les consommateurs, allant de la personne bien insérée socialement et professionnellement consommant occasionnellement ou en quantité limitée à une consommation non-stop parfois associée à l’alcool chez d’autres. La large consommation, en particulier chez les jeunes, a une incidence non négligeable sur le nombre de personnes développant des psychoses. Le cannabis n’en est pas « la cause » mais souvent l’élément déclenchant sur un terrain de fragilité. Le pourcentage de « comorbidités » en psychiatrie, c’est-à-dire de troubles psychotiques associés à la consommation de drogues est très important (à Colson, 40% des personnes hospitalisées étaient co-morbides). Dépénaliser c’est aussi mettre à mal un trafic juteux qui a enrichi et continue à enrichir plus d’un et a généré des effets collatéraux comme une augmentation considérable de la délinquance liée, y compris le trafic d’armes, les vols avec violence pour se procurer de quoi se fournir en drogues. Une partie non négligeable de notre jeunesse fout le camp, embuée dans des paradis artificiels qui peuvent se révéler être un enfer au quotidien pour eux-mêmes et surtout leur entourage. L’avenir de ces jeunes peut être gravement hypothéqué en termes d’insertion socio-professionnelle.

Dépénaliser me semble offrir la possibilité d’arrêter la politique de l’autruche, reste à savoir ce qu’on mettrait dedans.

N’est-il pas donc temps de prendre à bras-le-corps, intelligemment c’est-à-dire sans tabou ni préjugé, cette problématique que tôt ou tard il va falloir de toutes façons affronter en ouvrant le débat de façon citoyenne et démocratique. A quoi sert-il de brandir les bannières de la peur dans la population sinon à protéger des cartels florissants (entre les mains desquels nos enfants voient s’envoler en fumée leurs rêves, voire crèvent) en maintenant un statu quo qui depuis des années prouve que ça NE MARCHE PAS COMME C’EST aujourd’hui ? Allons-nous continuer à voir nos enfants traités comme des criminels et jetés en prison pour avoir été victimes de ces gens sans scrupules ? Allons-nous là encore laisser d’autres, dont parfois les intérêts sont liés à ces trafics, décider au nom des populations ?

« Les politiques basées sur le « tout répressif » ont non seulement échoué à réaliser leurs objectifs, elles ont aggravé la situation en termes de santé publique et de violence sociale… La dépénalisation de l’usage de drogues, telle que la pratiquent le Portugal et la République Tchèque, s’est révélée plus à même de le prévenir, d’en soigner la dépendance et d’en réduire les dommages, individuels et collectifs… La France associera-t-elle sa voix à celle des pays, notamment européens, qui plaideront pour que la santé publique, la sécurité des populations et les droits de l’homme soient placés au centre des politiques internationales en matière de drogues ? »

L’OBS (17/03/2014) Ruth Dreifuss, ancienne Présidente de la Confédération Suisse, et Michel Kazatchkine, Envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU Membres de la Commission globale de politique en matière de drogues.

(15-04-2016)