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La Mort pour la Vie ou Mourir pour Vivre : Chapitres VII & VIII

— Par Robert Lodimus —

Chapitre VIII

L’EXODE ET L’ENFANCE

La cabane de tante Gisèle ressemblait jadis à une fourmilière. Quatre adultes et sept gosses en bas âge s’empilaient dans la paillote composée de deux chambrettes surplombées de fragiles panneaux de terre. Il s’agissait de son mari Capois, de leurs deux fils, Emilio et Frédéric; de sa sœur Léonie, la cadette et ses trois gosses, Lysius, Dorimond, Marius; Germaine, et de la benjamine avec ses enfants, Selondieu, Laïana et Lucia. Puis, au fil du temps, la pluie des fatalités, pareille à des nuées d’oiseaux migrateurs venus des pays nordiques, avait vidé la baraque de tous ses pensionnaires. Certains, comme Capois, Emilio, Fréderic, Léonie, Germaine, Laïana étaient décédés. D’autres, tels que Marius et Lucia émigrèrent à Cuba; et on n’avait plus entendu parler d’eux. Quant à Lysius et Dorimond, ils avaient jeté l’ancre dans la partie Est de l’île où ils avaient trouvé du travail pour couper la canne à sucre dans l’un des 500 bateys de la République dominicaine.

Le visage d’Acélia avait considérablement blêmi sous la fanchon décolorée. Selondieu, assis sur le tronc d’un arbre mort, presque à l’entrée de la vielle chaumière sans porte qui servait de cuisinette, en face de tante Gisèle entièrement écrasée dans un fauteuil rustique, posa un regard doux et inquiet sur sa femme accroupie à quelques pas de là, et qui roulait le mil dans un tamis de paille de latanier, arrêtant de temps en temps le mouvement de rotation de ses bras pour enlever les petits cailloux gris qui s’étaient mêlés aux grains légèrement jaunis avec son pouce et son index de la main droite.

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… Et il pleuvait encore du sang et des larmes!

— Par Robert Lodimus — 

… Et il pleuvait encore du sang et des larmes!

– Vous êtes à Fort Dimanche, vieux frère…
– Dieusifort Espérance!
– Ici, les noms ne comptent pas. Nous avons tous un seul nom : Camarade. Nos mangeons les mêmes déchets dans la même marmite crasseuse. Nous mourrons d’une seule maladie : la tuberculose, avec, si possible, une aspirine et une gorgée de pissat dans l’estomac.
L’homme toussa très faible.
– Tu connaissais Ézéchiel Abellard, le journaliste de Radio Métropole, ajouta-t-il avec la même lenteur ? Eh bien, il a crevé dans cette cellule, la tête appuyée contre ce récipient souillé de nos excréments qui se trouve à ta gauche. Ça fait déjà très longtemps… Pourtant, son ombre erre toujours au milieu de nous. Son nom est resté dans chaque cellule, inscrit sur tous les murs de Fort dimanche. Il en est ainsi pour chacun d’entre nous qui laisse sa vie dans un cachot de Fort Dimanche pour avoir rêvé de Liberté. Ne l’oublie pas Dieusifort! Quand on s’appelle Camarade, on ne meurt jamais…

Dieusifort Espérance, fils unique de Victoire Laguerre.

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La Mort pour la Vie ou Mourir pour Vivre : Chapitres VI & VII

— Par Robert Lodimus —

Chapitre VI

L’ACCIDENT

L’astre du jour s’apprêtait à franchir le cercle méridien. Les recommandations de Pauline avaient ragaillardi le moral des « catastrophés » de la nature débridée. Les paroles de sagesse et de résilience de la Rochoise, qui laissaient suinter un filet du stoïcisme de Zénon de Kition ou de Marc Aurèle, avaient finalement réussi à répandre du baume sur les meurtrissures des chagrins et des malheurs des souffre-douleur. Ces bonnes gens, braves et courageux comme les hirondelles migratrices condamnées à reconstruire leurs nids après chaque saison hivernale, avaient retroussé leurs manches et relevé leurs bras. Pour reprendre Daniel Pennac : « Quand tout est fichu, il y a encore le courage. » Les hommes complètement requinqués, on aurait dit des ballons gonflés à point, laissant sur place les femmes et les « moufflets », rassemblèrent leurs forces et partirent chercher de l’aide aux alentours. En deux temps trois mouvements, les gaillards étaient revenus avec des machettes, des tenailles, des haches, des piquoirs, des marteaux, des scies, des ciseaux et d’autres outils et équipements artisanaux pour effectuer des tracées sur le sol, creuser des fondations, couper des troncs d’arbres, concasser des pierres que les mômes intrépides, toujours de bonne humeur, empilaient avec soin et discipline… Des camarades des deux sexes et de tous les âges arrivèrent des contrées avoisinantes pour participer, de la façon dont ils le pouvaient, au grand « coumbite » de reconstruction du village.

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La Mort pour la Vie ou Mourir pour Vivre : Chapitre V

— Par Robert Lodimus —

Chapitre V

LE DÉFI

« Ne sais-tu pas que la source de toutes les misères de l’homme, ce n’est pas la mort, mais la crainte de la mort. »

                                         (Épictète)

     La nuit avait enlevé son masque horrifiant sur la « trombine » stupéfiée, médusée, atterrée  de la nature amochée. Le jour se leva sans clarté sur les hameaux qui ceinturaient La Roche, et qui n’avaient pas non plus résisté aux assauts des vents dévastateurs et à la frénésie du déluge mortifère. La localité dans son ensemble offrait aux regards tout ébahis une scène de délabrement indescriptible, un théâtre de désolation dantesque, un tableau de déliquescence apocalyptique, un spectacle de débâcle effarant, un panorama de décrépitude impensable, un champ de ruines incroyable, un cirque de décadence inimaginable. Cette fois-là, le village avait réellement cassé ses épines dorsales et il était amputé de ses jambes et de ses bras fluets. Il eût été vraiment difficile pour lui de se relever, et de se remettre à clopiner, à boiter voire à marcher comme avant. Dans cet environnement dépérissant, devenu encore plus invivable par les malheurs soudains, les rescapés avec leur profil de morts-vivants, comme on en voyait dans les romans de Bram Stoker, n’avaient même pas imaginé l’avenir, tellement ils le voyaient porteur d’incertitude démoralisante.

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La Mort pour la Vie ou Mourir pour Vivre : Chapitre IV

— Par Robert Lodimus —

Chapitre IV

LES SURVIVANTS

     Une fois de plus, les habitants de La Roche avaient recommencé à porter les guêtres de malheurs que la nature cruelle et impassible leur avait confectionnées. C’était vrai pour eux aussi, comme George Sand l’avait écrit, que « la vie était un orage ». Cependant, ces âmes tracassées d’indigence avaient juré de rester agriffés à la rambarde d’une résilience éreintée, certes, mais inviolable, indomptable et inaliénable.

    Francesca entrelaça ses doigts engourdis et pressa sa papille mammaire avec les paumes de ses mains froides. À ce stade-là, ses seins ressemblaient plutôt à deux baies supportées par une  branche de goyavier, qui avaient entamé sa phase d’aoûtement. La tête penchée vers l’avant, le menton se rapprochant légèrement de la cage thoracique, la jeune fille déposa son genou gauche sur les roches sédimentaires, sans ressentir aucune sensation physique de douleur.  Elle gardait ses paupières solidement soudées. On aurait imaginé  des plinthes  scellées avec de la colle époxy. Francesca peinait à croire qu’elle était encore debout sur le tarmac de la vie, que l’ouragan, classé probablement de haute intensité sur l’échelle de Saffir-Simpson, l’avait épargnée, qu’elle n’était pas engloutie avec ses cousines Renande, Bernardine, Thérèse, Irène; ses cousins Christophe, Lebien, Occinel; ses amis Clovis, Phanor, Gladys, Augustine et Rita.

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La Mort pour la Vie ou Mourir pour Vivre : Chapitre III

— Par Robert Lodimus —

Chapitre III

LA ROCHE

Au sein de ce hameau défraichi, dressé dans la paume géante de cette portion de territoire du nord-ouest, une espèce d’invention sinistre greffée comme une bronche obstruée sur un poumon malade, les jours se bousculaient et se ressemblaient tous. La neurasthénie, le concept inventé en 1869 par le neurologue américain George Miller Beard pour décrire l’état de fatigue, d’anxiété et de déprime des individus, se répandait en ces lieux comme du sablon sur une chaussée goudronnée. Les habitants, étranglés par la misère, l’ennui et le découragement, partaient, s’éparpillaient dans les régions limitrophes; ou pire encore, se balançaient au bout d’une corde… Mérinord, le raccommodeur des filets de pêche, fut retrouvé pendu à un chêne. Ociana, la mère de ses quatre enfants en bas âge, venait de quitter la bicoque pour aller faire les trottoirs à la ruelle Robert Geffrard, située dans l’un des quartiers miséreux de la métropole, à moins d’un kilomètre du quai Hammerton Killick. La Roche, dans son nouvel emplacement, peinait à se relever de la violente tempête qui avait surpris les villageois étendus sur leurs couches supplicieuses.

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La Mort pour la Vie ou Mourir pour Vivre : Chapitre II

— Par Robert Lodimus —

Ce récit palpitant est celui d’un petit village que ses habitants ont dénommé La Roche, et qui est parvenu mystérieusement à remonter à la surface de la vie, après avoir été précipité dans les entrailles de l’Enfer.

Chapitre II

LE CADAVRE

            « En temps de révolution, prenez garde à la première tête qui tombe.

            Elle met le peuple en appétit. »

                                              (Victor Hugo)

    La ville se réveilla à l’aube du vendredi saint avec un manteau de  tragédie. Le corps de la dame flottait dans les eaux écumeuses de la mer verdâtre. Comme si ce n’était pas déjà assez pour les riverains de pleurer depuis une semaine sur les souffrances d’un Christ qui allait se faire crucifier pour la millionième fois à cause des péchés de l’humanité. Quelle humanité? Une humanité idolâtre, narcissique, nombriliste, vaniteuse, délinquante, sadique… récidiviste!

Et encore cette humanité qui passait son temps à sculpter sa propre destruction dans l’indifférence des uns et dans l’insouciance des autres. Après tout, ne faisait-elle pas que marcher vers sa mystérieuse prédestination, suivre la trajectoire irréversible de son devenir apocalyptique, cheminer en ligne droite, à la rencontre du fatum auquel elle était vouée depuis sa naissance?

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Jorge Maria Bergoglio: Ce pape qui venait de l’Argentine

— Par Robert Lodimus —

« L’engagement politique naît de la réflexion sur la foi qui exige un changement. »

(Leonardo Boff)

Mercredi 13 mars 2013. La terre entière a les yeux rivés sur la Place Saint-Pierre. Le conclave délibère depuis 24 heures pour élire le 266ème pape qui remplacera Benoît XVI. La surprise est générale. Cette annonce de démission inattendue est tombée comme un couperet sur la tête de la journée du 11 février 2013. Pour la première fois dans l’histoire de l’Église catholique romaine, un pape renonce à poursuivre son pontificat jusqu’aux portes de l’éternité. Vers 19h06, alors que le manteau foncé de l’angélus achevait de se déployer sur la ville de Rémus et Romulus, une fumée blanchâtre s’échappe de la cheminée de la chapelle Sixtine. La foule, composée de fanatiques et de curieux, dont la plupart venus de loin, applaudit. Les bras sont levés. Et les mains pointées vers le ciel, en signe de remerciements au divin Créateur. La Cité de l’État du Vatican a trouvé son nouveau Chef en la personne du cardinal argentin Jorge Maria Bergoglio.

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La Mort pour la Vie ou Mourir pour Vivre : Chapitre I

— Par Robert Lodimus —

AVANT-PROPOS

« Mourir en combattant sied mieux au soldat qu’être libre dans la fuite.»

(Miguel de Cervantès)

    Ce livre est dédié aux jeunes, aux élites intellectuelles, aux paysans qui ont sacrifié leur avenir, en ayant fait le choix de participer à la lutte contre l’injustice et l’inégalité.

    Il y en a qui ont été assassinés avec une plume à la main ou un micro à la bouche. D’autres sont décédés sur un champ de bataille. Plusieurs, dans la sombreur d’un cachot froid et infect, ont succombé à la torture et à la famine. Tous ces camarades ont cultivé l’espérance d’une vie meilleure pour les pauvres. Rêvé de Liberté pour leur pays. Leurs croyances dans un monde équitable les ont rendus impavides, intrépides, audacieux… Ils ont affronté les dictatures les plus féroces pour allumer des lampions d’espoir dans les foyers. Et ceux-là qui succombèrent à la mort n’avaient jamais regretté d’avoir emprunté le chemin de la résistance et mené le combat – sous toutes ses formes – contre la domination, l’exploitation et l’hégémonisation.

    Nous rendons hommages dans cet ouvrage à ces Grands Disparus qui ont embelli les pages de l’histoire par leurs engagements indéfectibles envers les démunis de la terre.

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Réveil

— Poème de Robert Lodimus —

Réveil

Depuis plus de deux siècles

Clopine mon pays

À la recherche

De cette île mystérieuse,

Où le printemps, dit-on, est éternel.

Les chemins du « Bien » et du « Mal »,

Où s’arrêtent-ils ?

L’incertitude et la peur

Ensablent notre conscience.

Les indigents du Sud,

Dans la saison

Des égarements,

Sans répit, lapent leurs malheurs.

Sur les vestiges des temps héroïques,

Épopées sublimes et glorieuses,

Toute une meute de misérables!

Des lambeaux ambulants !

Des loqueteux déboussolés!

Des restes d’humains crucifiés

Comme des insectes morts

Sur les branches

Des dionées impavides!

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Voyage féérique au Macoutistan, le « pays » du grand poète et romancier Gary Klang…

— Par Robert Lodimus —

Le 27 février 2025, les parents, les collègues et les lecteurs de Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d’Argent, alias Frankétienne, l’ont accompagné à sa dernière demeure avec une profonde tristesse. L’enfant de « Ravine-Sèche » allait célébrer sa quatre-vingt-neuvième année d’existence le 12 avril prochain, dans une capitale en lambeaux, méconnaissable, pariatisée, livrée pieds et mains liés, – comme le Fils de l’Homme à Hérode Antipas –, aux lycanthropes d’Hadès et de Perséphone, le dieu et la déesse des enfers. Franck Étienne a traversé, – pour reprendre le jargon utilisé dans le vaudouisme –, sans avoir accompli son rêve : obtenir le prix Nobel de littérature. Peut-être, entrera-t-il dans l’histoire à l’instar de l’écrivain suédois nobélisé à titre posthume en 1931, Erik Axel Karlfeldt, – quoique celui-ci l’eût refusé de son vivant en 1918 –, pour son ouvrage Cor d’Automne (Höstorn), paru pour la première fois en 1927. Car, dans bien des cas, la mort n’est pas arrivée à gommer l’opiniâtreté des « obsessions subjuguantes ». Et puis, « mieux vaut tard que trop tard !»

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