Sociologue et philosophe, Dominique Méda nous a accordés un long entretien dans lequel elle décrypte la crise profonde du travail et comment la reconversion écologique nécessitera d’avantage de travail humain. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune – N°9 « Travailler, est-ce bien raisonnable?« , actuellement en kiosque)
— Propos recueillis par Denis Lafay—
Cela n’aura échappé à personne : le travail a été désespérément invisible dans la campagne présidentielle, phagocyté non seulement par les marronniers traditionnels (immigration, insécurité, souveraineté, pouvoir d’achat, etc.), mais aussi par l’emploi, dans lequel il est communément dissous. Et puisque l’emploi va, le travail devrait aller… Or, comme le démontre la sociologue et philosophe Dominique Méda, il traverse une crise profonde. Profonde et même inédite, promise à d’indicibles affres au fur et à mesure que la digitalisation, l’ubérisation, la plateformisation, la généralisation du télétravail, mais aussi l’intelligence artificielle ou le métavers porteront leur suprématie à une hégémonie sur l’économie. Les dogmes, tentaculaires, du technologisme et de la dématérialisation se sont imposés, qui, appliqués au travail, prophétisent sa « déréalisation », prévient la professeure de sociologie à l’Université Paris Dauphine-PSL – également directrice de l’Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (Irisso) et titulaire de la chaire « Reconversion écologique, travail, emploi, politiques sociales » au collège d’études mondiales (FMSH).

Dominique Méda peut s’en réjouir : « la crise nous ouvre les yeux ». Sur quoi ? Les dégâts d’un capitalisme débridé, d’un système, impérialiste, d’économie déréalisée, d’une liberté de circulation des capitaux toxique, d’une politique, ivre, de désindustrialisation et de délocalisation aiguisée par la division internationale du travail. Elle « ouvre les yeux » sur la valeur réelle de métiers communément dégradés – otages d’une conception marchande de l’utilité sociale et sociétale -, sur le délire consumériste et productiviste, sur l’inanité de certains dogmes (PIB). Au final, la sociologue et philosophe met en exergue ce que l’examen de la crise met en lumière : la vacuité d’un modèle de société à la fois épuisé et destructeur. L’heure est aux ruptures, annonce-t-elle. Des ruptures en faveur d’une alter ou post croissance, elle-même au service d’une reconversion écologique assurant justice sociale, emplois utiles, sens du travail, et « conditions de vie authentiquement humaines ». Et des ruptures qui seront soumises au révélateur de la stratégie d’Etat de « relance » : sera-t-elle verte ou brune ? L’arbitrage germe peut-être, en tous les cas la co-auteure d’Une autre voie est possible (Flammarion, 2018) y croit, « dans les consciences citoyennes.
Le gouvernement a récemment proposé une réforme de la politique familiale (diminution du quotient familial et développement de l’accueil des jeunes enfants) qui a relancé le débat sur la fonction de celle-ci et les différentes formes qu’elle peut prendre. Si tout le monde s’accorde sur le fait que la politique familiale vise à aider les familles – et plus particulièrement à rétablir l’équilibre entre les ménages qui ont une famille à charge et les autres -, une politique familiale de gauche poursuit selon nous trois objectifs supplémentaires : combattre les inégalités sociales entre ménages ; promouvoir le bien-être de tous les enfants en corrigeant les inégalités qui existent dès le plus jeune âge ; améliorer l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle exige la mise en œuvre simultanée de trois volets.