Série. « Les noirs comme les blancs vont devoir changer leurs imaginaires »

— Par Caroline Constant —

En 2017, la comédie « Il a déjà tes yeux » nous plongeait dans le quotidien d’un couple noir qui adopte un enfant blanc. Le réalisateur Lucien Jean-Baptiste donne une suite à son film avec une série déjantée en six épisodes. Une saga qui déconstruit avec brio les clichés.

Il y a trois ans, je suis allé au ski avec mes gamins. J’ai posé mon fils à l’école de ski, et là un môme m’a demandé : « Pourquoi tu es noir ? » En 2016 ! Je me suis dit qu’il fallait mettre des Noirs à 20 heures à la télé, pour que ce type de gamins arrête de croire que les Noirs sont américains, pour habituer l’œil, en somme. Après le succès du film, la production est venue me voir. Mais les séries, ce n’est pas du tout ma came. Sébastien Mounier, le garçon avec qui j’ai écrit le film, et qui me connaît bien, m’a dit : « Je crois que ce serait historique, une petite famille atypique comme ça, à 21 heures, sur la télévision française. » Et il a ajouté : « Et puis, tu sais, tu es bavard. Et tu vas avoir cinq heures pour t’exprimer »…

Malcolm X a dit : « Par tous les moyens. » Même si je n’en sauve qu’un. Ce sera peut-être ce flic qui ne mettra pas un coup de matraque sur la tête de ma fille ou de mon fils. Ou une famille qui ira parler normalement à ses voisins africains. On peut divertir sans montrer des meurtres, des trucs horribles. On peut rendre les gens heureux aussi autrement…

Quand un Noir présente le journal de 20 heures, ça reste étonnant. Mais quand tu vois un Noir coursier, ou qui fait le ménage, c’est la norme. Je comprends qu’on puisse penser ça. Mais, maintenant, l’homme noir comme l’homme blanc vont devoir changer leurs représentations. Moi, je fais tout ça pour les enfants : il faut qu’on foute un coup de pompe à tous ces imaginaires d’un autre temps, et donc filer un coup de pompe aux codes du cinéma. Et j’aime m’amuser avec ça. Par exemple, dans la série, il y a un homme qui dit : « J’ai quatre enfants, moi aussi je me suis arrêté de travailler. » Je trouve que, dans la bouche d’un homme, ça sort de la norme, et donc on l’entend mieux.

Vous avez vu le nombre d’accents qu’il y a dans la série ? Je l’ai fait exprès ! C’est aussi ce qui fait le charme de la France, toutes ces couleurs, toute cette multiplicité. Je trouve ce pays merveilleux : vous êtes dans le Nord, chez les Ch’tis, il y a une culture, des traditions, des goûts, des couleurs. Vous allez dans le sud de la France, c’est complètement autre chose. Du coup, j’ai du mal à entendre les discours qui disent : « La France est comme ci ou comme ça. » Parce que la France, c’est un patchwork. Si nous étions moins cons, on aurait intégré ce patchwork, et la France aurait été encore plus belle, plus forte, et pas dans une vision colonialiste. Mais dans une logique d’entendement, d’échanges, de partage. On va essayer quand même !

C’est la grande question de la série, avant même le rapport Noirs-Blancs. La famille, c’est mon thème de prédilection depuis « la Première Étoile ». Il y a un côté psychanalytique, cathartique. Moi, je n’ai jamais connu mon père. Dans ce premier film, je m’étais créé un père nul, mais présent, qui m’emmenait au ski. Dans la série, j’ai imaginé que mon père revenait. J’y ai mis tous les éléments que j’ai vécus : quand j’ai découvert à 16 ans que je n’étais pas du même père que mes frères et sœurs, je suis allé aux Antilles pour tenter de le rencontrer, comme dans la série où je vais en Côte d’Ivoire.

Sur la question de famille, j’ai un enfant d’un premier lit, deux enfants d’une seconde union : je suis un monsieur de 55 ans qui n’est absolument pas dans cette norme qu’on m’avait assignée à l’enfance, un papa, une maman. Je ne peux que m’interroger : est-ce que j’ai bon, est-ce que j’ai faux ? Non, il n’y a pas de bon ou de faux. Tu fais ce que tu peux. Ta famille, c’est celle que tu te crées. Je pense que la seule norme, aujourd’hui, c’est le bonheur de l’être dont tu as la responsabilité. Et, à travers la famille, il y a la question de la filiation : qu’est-ce qu’on donne à nos enfants ? Et celle de la transmission : je suis martiniquais, alors mes enfants ne doivent manger que du boudin, et danser sur de la musique antillaise ? Ben non. Je préfère parler d’enrichissements multiples.

Et après, allons encore plus loin : un pays, c’est aussi une grande famille. La France a toujours adopté. Et maintenant, elle ne veut plus, alors qu’il y a plein d’enfants du monde entier qui viennent frapper à la porte. Et, comme on est dans un grand virage où c’est le bordel, essayons de réfléchir posément, sans que le mot « Arabe » ne signifie « terroriste » ou que le mot Noir ne signifie « voleur ».

Source : L’Humanité.fr