Sauver les langues originelles, c’est aussi sauver la planète

Effacées par l’Anglais et les politiques coloniales, de nombreuses langues originelles ont disparu ces dernières décennies. Si les peuples qui les parlaient en sont les premières victimes, la Terre, elle-aussi, à tout à y perdre.

Le ngarigo, l’ojibwe, le lakota, le chinook, le quechua, le navajo… ces langues méconnues, voire totalement inconnues ont ont été oubliées, effacées par l’anglais ou autres langues des colons, devenues langues nationales. Malheureusement, leur disparition pourrait bien nuire à la planète.

Celles que l’on appelle « indigènes » ou autochtones sont définies comme les langues d’origine, parlées par les natifs d’une région. On pense par exemple aux Premières Nations du Canada (aussi appelés « Amérindiens ») ou les Aborigènes d’Australie. Et parmi les conséquences insoupçonnées de leur disparition pourrait se trouver… la destruction de l’environnement, détaille un article de Vice World News qui explique que la « suppression et destruction des langues autochtones, ainsi que la dominance mondiale de l’anglais, est une cause majeure de la destruction de notre environnement« .

La destruction d’un héritage

Jakelin Troy, professeure des langues indigènes et membre du peuple Ngarigu des Snowy Mountains (Sud-est de l’Australie), interviewée par Vice, met en lumière le drame qu’est la perte d’un langage. En faisant référence aux incendies qui ont frappé l’Australie en 2019 et 2020, elle explique que ces peuples aborigènes d’Australie ont une culture, des chansons, des traditions, qui sont transmises et utilisées pour s’assurer que le pays continue de fonctionner correctement.

Elle ajoute qu’il y a « des choses plus profondes et larges qui échappent aux Australiens. Ils commencent à vouloir apprendre ces choses parce qu’ils sont terrifiés du réchauffement climatique ». Et cela se ressent par les mots. Les Occidentaux ont des mots forts, inquiétants, très terre-à-terre pour évoquer le réchauffement climatique : « éco-anxiété », « extinction de masse », « urgence climatique »… Pour les autochtones, qui n’ont pas de mot fixe pour désigner ce réchauffement climatique, cela représente un défi, une épreuve à surpasser comme l’ont fait les générations précédentes.

Ainsi, quand les Européens ont colonisé le monde, ils ont essayé d’imposer une façon de voir les choses, une façon de parler et de désigner les choses telles qu’ils les voient en reniant les pensées et coutumes locales. En effaçant une langue, ils ont aussi effacé des savoirs utiles : l’entretien de la terre, la production de nourriture, le respect de la Nature, la connaissance des plantes médicinales, les techniques d’irrigation, les calendriers saisonniers… Selon The Irish Times, les langues originelles, anciennes, ont souvent un rapport très profond avec la Nature, les racines, le paysage qui entoure les peuples. Ce qui a été perdu avec l’anglais par exemple, une « jeune » langue qui sert à communiquer simplement.

Des stéréotypes bien ancrés

Si on supprime soudainement les savoirs et ce qui est appelé la « bio-culture » de tout un peuple et qu’on laisse un territoire entre les mains de personnes qui n’ont pas cette même culture, qui ignorent comment s’en occuper correctement, il est sûr que l’on court à la catastrophe, estiment les différents experts cités par Vice. Pour les Etats, les peuples indigènes sont vulnérables et c’est d’ailleurs de cette manière qu’ils ont excusé leurs actes : la vulnérabilité d’un peuple leur permet d’agir pour leur « protection ». Une étude montre pourtant que ces peuples savent qu’il y a un problème et une urgence écologique : montée des eaux, inondations impactant leurs cultures, feux de forêts, intenses cyclones… Il y a un réel besoin de combiner l’ancien avec le nouveau pour combattre les changements climatiques. Ce n’est donc pas en s’appropriant une terre que l’on ne comprend pas qu’on va changer les choses.

Comme le dit Ashley Fairbanks, du peuple des Ojibwés aux Etats-Unis : « Si votre langue meurt, votre façon de voir les choses meurt avec », parce que nous sommes façonnés par notre langue. Darach Ó Séaghdha, auteur de Motherfoclóir: Dispatches from a Not So Dead Language, ajoute qu’un « nombre important d’informations scientifiques ont été transmises à l’oral, mais ont été perdues avec le traumatisme de la famine et de l’immigration« . C’est le même processus qui a été réalisé un peu partout dans le monde avec « l’éducation » des populations locales avec l’anglais. Vice évoque les Samis de Norvège ou les enlèvements des enfants Aborigènes australiens et Indigènes du détroit de Torrès de 1869 à 1969 : les générations volées, envoyées dans les écoles de Blancs, avec leur savoir environnemental.

Les solutions pour sauver ce qui est perdu

Alors quel est le meilleur moyen pour éviter cette perte d’héritage ? En plus de reconnaître leur existence et leurs territoires, il faudrait faire l’effort d’apprendre ces langues. Ou en tout cas vouloir les conserver. Pour être exploités pour leurs richesses, des territoires entiers ont été volés à ces peuples locaux. La coopérationpar le langage est donc nécessaire pour pouvoir restituer des pans de cultures qui ont été arrachés à ces communautés, mais aussi se reconnecter avec la Nature.

Ashley Fairbanks indique que « les personnes non-natives glamourisent la façon dont nous interagissons avec la nature. C’est souvent très déshumanisant« . C’est donc pour cela qu’elle demande à ce qu’il y ait de la réflexion avec l’apprentissage de leurs langues.

Il ne faut pas que ce soit le résultat d’un effet de mode, d’une tendance, mais un acte fait avec conviction et respect. Elle ajoute : « Je vois constamment de l’irrespect comme si d’une certaine façon les personnes non-indigènes peuvent obtenir nos savoirs et tout réparer ». Restaurer et promouvoir les langues des autochtones sur leurs territoires d’origine seraient un grand pas vers des changements durables pour le réchauffement climatique et dans l’Histoire.

Les langues sont d’une importance capitale : elles nous permettent de communiquer, de s’exprimer, de se rebeller, de s’identifier… Dans chaque parole et chaque mot, il y a un sens cachant des subtilités que seuls ceux qui parlent la langue peuvent comprendre. Et cela vaut pour les questions environnementales.

Federico Fellini a dit « une langue différente est une vision différente de la vie » et c’est exactement pour cela qu’il est important de conserver les langues originelles d’un pays. Selon l’AIATSIS (Australian Institute of Aboriginal and Torres Strait Islander Studies), en Australie, il existe plus de 250 langues dont 800 dialectes et chacune est spécifique à un peuple, une culture ou une région. Selon l’Indigenous Language Institute, aux Etats-Unis, il existait autrefois plus de 300 langues, elles ne sont maintenant plus que 175 et il est estimé que d’ici 2050, elles ne seront plus qu’une vingtaine. Autant de mots pour raconter le monde, et la Terre, qui disparaîtront.

Source : Neomag.fr