Remettre le Nord à sa place.

— Par Yvon Joseph-Henri, Président de l’A3C —

Curieusement, c’est au moment où la montée en charge des contaminations et des décès se fait tranquillement en Martinique, que le préfet impose le discours parisien d’une reprise de l’école. En face, les cafouillages sont nombreux et laissent dans la cacophonie planer le doute, l’incertitude et l’inquiétude des personnels. Dans un déconfinement qui n’a pas attendu le 11 mai dans l’oubli léger de la nature extrêmement contagieuse et virulente du virus, il faut remettre les pendules à l’heure. Non, il n’y aura pas de reprise de l’école ; non par caprice mais parce que rien ne le permet.

En ouvrant les écoles en Martinique, on multiplie les contaminations, sans plus permettre aux parents d’aller travailler tant le temps de prise en charge des élèves sera court. Et, les élèves qui seront pris en charge physiquement ne pourront évidemment pas l’être en plus virtuellement, à distance, les personnels enseignants pouvant difficilement se démultiplier malgré une bonne volonté souvent méconnue. Enfin, on désorganise ce qui marchait bien pour de nombreux élèves, le travail à distance, pour imposer un simulacre de contact avec l’école qui n’apprendra rien aux enfants.

Le but du confinement n’était pas d’éviter toute contamination et tout décès, mais, en retardant les contaminations, d’éviter l’encombrement des services de soins intensifs, et de permettre ainsi une prise en charge convenable qui sauvera nos vies. Mais cela n’éliminera pas les conséquences lourdes d’une maladie qui épuise et dont on met longtemps à se remettre car le virus s’attaque à tous les éléments du corps humain, sans épargner – on le sait maintenant – les enfants.

Notre population – personnels enseignants inclus – est majoritairement âgée, diabétique, hypertendue, atteinte de cancers : une fois décimée c’est une île aux professeurs antillais décimés, brutalement orpheline de sa culture, de son passé que nous gagnerons.

Que l’Etat ait envie d’ouvrir un cancan entre parents d’élèves inconscients et fonction publique de l’Education, c’est son problème !

Mais il y a des préalables incontournables que nos syndicats enseignants ont laissé contourner et sur lesquels ils n’ont pas donné les clés.

  1. Est-il envisageable d’ouvrir des écoles alors que des communes entières sont privées d’eau ou sous la menace de coupures tournantes et imprévisibles ?

  2. Les dépistages. On n’a pas les moyens de les faire ? Est-ce le problème des personnels ? Non. Et c’est un préalable pour assurer leur sécurité.

  3. Les masques, le liquide hydroalcoolique, les protections y compris vestimentaires. C’est à l’administration à les fournir, en nombre et selon un rythme suffisant pour les personnels.

  4. Le nombre d’élèves à recevoir ? A revoir. Dans les conditions où nous sommes, pas plus de 5-7 élèves sachant que même là, quand on connaît ce qu’est une école, un collège ou un lycée on mesure la difficulté d’imposer à certains élèves, trop nombreux, respect des règles, tranquillité et calme.

  5. A-t-on solutionné le problème du transport scolaire ? Non

  6. Dans ce contexte, il aurait mieux valu prendre son temps pour régler les problèmes d’incompétence, d’amateurisme des pouvoirs publics pour envisager, si cela est alors possible, une rentrée saine et construite. Il faut renouveler les conditions de cours dans les salles de classe en installant comme nous l’avons déjà dit des boxes pour les élèves, équipées d’ordinateurs en réseau connectés à celui du professeur et au serveur de l’établissement. Il faut aussi un cheminement pour entrer et s’installer dans ces boxes, un cheminement pour sortir, un bureau du professeur protégé aussi comme celui des élèves, des micros, des écouteurs et des hauts parleurs.

On pourra aider syndicats et rectorat à concevoir ces outils et à apprendre à les utiliser, nous l’avons fait déjà par ailleurs. Mais que diable, il est plus que temps de se mobiliser pour préparer l’installation de ces outils.

Si rien ne se fait, il faut en incriminer la dégénérescence de la fonction publique en Martinique faute d’une hiérarchie compétente au plus haut niveau. Le rectorat et les syndicats ne peuvent être contaminés ni par les réseaux, ni par la politique. Un inspecteur ne peut être un élu municipal en charge des affaires scolaires dans la circonscription qu’il couvre. Un responsable syndical ne peut être au bureau politique d’un parti jusque-là majoritaire et militer ouvertement pour ce parti à moins d’en être une courroie de transmission, comme certains syndicats l’ont ouvertement été pour d’autres, avec les avatars qu’ils connaissent. Que nous le sachions, aucun des 3 ou 4 grands syndicats enseignants – voire de leurs fédérations en Martinique – n’est officiellement inféodé à un parti quelconque.

Restons libre de penser comme nous l’entendons, mais ne mélangeons pas les casquettes car on ne fait aucun travail satisfaisant rongé par l’ambition d’accéder à autre chose que ce pourquoi on est initialement entré dans la fonction publique et l’enseignement. Faute de quoi, ne nous étonnons pas de l’accélération l’hémorragie que connaît notre enseignement s’accélère, au détriment de la formation de nos élèves et de leur réussite au sein de la compétition mondiale qui s’exacerbe.

 

Yvon JOSEPH-HENRI

Président de l’association des Consommateurs et des Citoyens de la Caraïbe (A3C)

Président de CaribbeanStudies, association d’aide aux élèves en recherche de cours et de professeurs.

Ancien secrétaire du SNES Martinique puis de la FSU Martinique

Ancien animateur aux nouvelles technologies chargé de la mise en réseau total d’un lycée de 900 élèves équipé de 400 ordinateurs et des équipements et logiciels adéquats.

P.S. On aimerait que le recteur balaie dans son rectorat au lieu de se contenter de dire que l’Education Nationale est prête à ouvrir les écoles. C’est un parapluie vis-à-vis du ministère, non une réalité ; et encore convient-il de rappeler que l’ouverture ne peut se faire comme avant la crise du coronavirus. Le cacher c’est tout bonnement mentir à la population.