Sur le Chemin controversé de l’École

Mai 2020, faire ou non l’École buissonnière ?

Difficile aujourd’hui de se faire une opinion… Les avis concernant la reprise des classes divergent d’un pays à l’autre, d’une ville à l’autre, d’une mairie à l’autre. Il en est ainsi à La Martinique, où Martinique La Première faisait le point sur la situation au 7 mai 2020. Quatre grandes catégories semblaient alors se dessiner : les municipalités opposées à une reprise avant septembre, les municipalités faisant attendre leur décision, les municipalités se préparant à la reprise dans le courant du mois de mai ou en juin, celles qui sans fixer de dates affichaient la volonté d’ouvrir certains établissements avant septembre.

Le maire de Fort-de-France, Didier Laguerre, qui a fait le choix d’une rentrée progressive, s’explique ce mercredi 13 mai, sur le site du web-journal « France-Antilles »  

J’entends beaucoup parler de la date du 18 mai, or je n’ai jamais parlé d’ouverture des écoles à cette date ! La stratégie qui a été adoptée est la suivante… A partir du 11 mai, préparation des écoles, nettoyage des écoles, pour pouvoir accueillir les enseignants. Une fois les écoles prêtes à accueillir les enseignants, que dans chaque école l’ensemble de la communauté scolaire — enseignants, parents d’élèves, personnels municipaux, comités de parents — détermine le mode de fonctionnement de l’école. Que l’on soit en capacité de déterminer précisément combien d’enfants peuvent être accueillis, comment ces enfants peuvent évoluer dans l’école, comment ils peuvent manger, quel circuit peut être utilisé pour se déplacer en respectant les gestes barrières, combien d’enfants peuvent aller aux toilettes en respectant les gestes barrières… etc. C’est-à-dire que, dans chaque école, on élabore ensemble un mode de fonctionnement en présence de Covid-19, et donc un protocole sanitaire. C’est lorsque ce travail collaboratif aura été fait qu’on sera en capacité de dire quelle école peut accueillir combien d’enfants, et quand ! Et c’est lorsque ce document, ce PPMS (Plan particulier de mise en sécurité) de chaque école aura été établi, que nous serons en capacité de prendre des décisions quant à l’ouverture et à l’accueil effectifs d’enfants.

Dans le même temps, nous avons effectué un sondage, une interpellation auprès des parents d’élèves, puisque c’est sur la base du volontariat que se fait ce retour en classe, pour savoir combien d’enfants pourraient être accueillis. Et, aujourd’hui, nous avons 300 parents qui sont volontaires à la scolarisation de leurs enfants (pour les classes concernées, c’est-à-dire grande section, CP et CM2, qui regroupent 2241 enfants sur les quelque 6500 que compte l’ensemble des écoles). Cette stratégie a, pour moi, l’objectif d’adapter très précisément le protocole à chaque école. Les 49 écoles de Fort-de-France sont différentes, ont des problématiques différentes, y compris pour l’arrivée des enfants dans l’école, leur récupération par les parents… Tout cela doit être parfaitement pris en compte, et on s’appuiera pour ce faire sur le protocole qui a été mis en œuvre pour les deux écoles de Fort-de-France, à Chateauboeuf, qui ont accueilli des enfants de soignants pendant toute la période du confinement.

Des difficultés à ne pas sous-estimer : un exemple

En France, la directrice d’une école élémentaire s’exprimait le vendredi 8 mai, sur FranceInfo, dénonçant les difficultés d’une reprise prévue pour le 18 mai — et qui pourrait bien s’avérer aventureuse. Voici quelques passages tirés de l’article publié :

Lundi 18 mai ? : « …parce que, de toute façon, il y a tellement de choses à mettre en place que c’était impossible avant. Ce n’est pas moi qui ai décidé, c’est le maire parce que la grosse problématique avec ce protocole, c’est qu’il nous faut des agents de nettoyage en nombre important. Il faut tout organiser. Ils bâchent. Ils enlèvent les objets pour les enfants. On met les tables une par une, on marque au sol des passages. Enfin, c’est très, très, très complexe et ça prend énormément de temps (…) 

C’est compliqué pour les maternelles : 

« Les conditions dans lesquelles on va accueillir les enfants, c’est tellement loin de ce qu’est une école que ça nous met très en colère. On est en train de tester quelque chose d’une ampleur importante sans qu’on ait des garanties de quoi que ce soit. Le Conseil scientifique demandait que les écoles ouvrent en septembre et je pense qu’on aurait dû suivre son avis et prendre le temps de réfléchir à ce qu’on était en train de faire. Là, dans les maternelles, on est, à mon avis, en train de faire quelque chose qui est même maltraitant pour les enfants (…). C’est incroyable ce qu’on demande aux enfants : d’être responsables d’eux-mêmes, d’être responsables de leurs camarades. Et ils seront assis sur une chaise toute la matinée, tout l’après-midi, toujours la même chaise, alors que ça n’existe jamais en maternelle ! L’enfant circule dans la classe, joue. Les coins-dînette sont retirés, les coins voitures sont retirés. Tout ce qui fait la socialisation de l’école maternelle — et c’est bien pour cela qu’elle existe — n’a plus lieu d’être.

C’est compliqué pour l’élémentaire aussi : 

« … parce que, quand même, il y a des petits loups de 6-7 ans. C’est  compliqué d’enseigner avec un masque ( …) Quand on apprend à lire, par exemple, on voit le visage de l’enseignant qui va former la lettre, le son avec la bouche. Nous, enseignants, on s’approche tout le temps des enfants, par exemple en graphisme pour leur apprendre à tenir leur crayon, à former les lettres. Tout ça sera impossible, désormais. On manipule plein de petits objets que l’on se passe… On ne pourra plus le faire parce que dans le protocole, il est dit que l’on devra tout, tout, tout nettoyer derrière.

Quid de l’exemple des « classes » restées ouvertes pendant le confinement pour accueillir les enfants de soignants ? : 

« On n’avait pas de masques, on n’avait pas de protocole. On a fait avec notre bon sens. Et non, il n’y avait pas de gestes barrière en maternelle ! C’est impossible pour un enfant de maternelle de comprendre la distanciation sociale, de ne pas aller vers ses camarades. Alors, oui on passait plus de temps aux toilettes à se laver les mains… Mais ce n’est pas de l’école ce qu’on a fait dans les écoles pour les enfants de soignants ! On a essayé de faire au mieux, de les accueillir, de leur assurer une sécurité affective, mais ce n’était pas de l’école…

Et ce qu’on va faire en ouvrant les écoles à partir de maintenant, avec ce protocole, ce ne sera pas de l’école non plus (…). Il faut arrêter de dire que c’est l’école. Ce n’est pas vrai. C’est un endroit où on va stocker des enfants ! »

À la Martinique, nous serions prêts, selon le recteur de l’Académie, Pascal Jan qui précise avoir demandé des groupes de 7 élèves maximum jusqu’au CE1, de 12 ensuite. En conclusion, un protocole qu’on met en place sans avoir de certitude sur sa faisabilité réelle. Une situation qui peut être anxiogène. Des conditions d’apprentissage difficiles pour les élèves. Enfin, un protocole qui sera confronté à l’épreuve des faits, quand les enfants seront présents dans les écoles.

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Fort-de-France, le 13 mai 2020