Relever le défi des jeunes activistes

— Par Raphaël Constant —
Combien de martiniquais savaient que l’entrée du Parc Aimé Césaire avait été construit en 1935 pour le tricentenaire de la conquête française de la Martinique. A la même période que l’érection de la statue de d’Esnambuck ?

Peu de monde.

Au moins l’action des jeunes activistes aura permis cela.

Moins d’un an avant leur émergence sur la scène politique, ce courant a clarifié la scène politique martiniquaise mieux que des milliers de discours : dénonciation du rôle de l’état français dans le scandale du chlordécone, implication des békés dans ce même empoisonnement, démonstration du système « deux poids, deux mesures de la justice française, mise en cause du « schoelchérisme » et de ses contempteurs actuels etc…..

Elles ont aussi permis de clarifier le rôle des forces politiques en présence.

La réaction préfectorale n’a rien de bien étonnant. Dénoncer la violence, dénoncer une minorité sont les discours traditionnels des gouverneurs et préfets depuis 1635 quand l’ordre colonial et la présence française sont contesté.

Quelle ironie : le représentant d’un état qui a commis une série de crimes et de meurtres impunis sur cette terre martiniquaise et protège un ordre injuste qui ose donner des leçons de démocratie à une jeunesse en révolte !

Ce discours contre la violence est classique de l’oppresseur qui reproche à l’opprimé de ne pas ou ne plus accepter le joug de la soumission.

La CTM a pris une délibération souhaitant qu’il soit mis fin à la violence. On peut se faire plaisir à crier qu’il faut être uni (en dépit des contradictions réelles et objectives) et pacifique. La réalité, comme l’a démontré Fanon est que la société coloniale est par nature violente et qu’il n’existe pas de décolonisation sans violence du colonisé, même si ce n’est pas cette violence qui permettra de vaincre mais bien le niveau de la conscience nationale du peuple martiniquais.

Notre droite assimilationniste et néolibérale qui a repris du poil de la bête (conséquence de l’alliance contre-nature de 2015 ?) avec ses victoires à Saint Joseph, Rivière Pilote et Espace Sud reprend son appel classique à réprimer. Monplaisir a reproché au Préfet que le 26 juillet (est-ce un hasard, date anniversaire de l’attaque de la Moncada ?) il est laissé faire.

Matamore, le préfet lui a répondu qu’en matière de courage il n’avait pas de leçon à recevoir et surtout qu’il n’avait pas voulu diviser à nouveau la Martinique à propos de l’esclavage. Curieux argument car si les français ont été divisés sur l’esclavage et qu’en Martinique les békés se sont battus pour son maintien, la grande majorité des martiniquais étaient contre l’esclavage et le sont toujours. Le préfet n’a pas mis en marche sa soldatesque car l’image internationale de la France en aurait pris un coup. En tous les cas, il reste un point acquis, la droite martiniquaise reste la droite et si aucun homme de ce courant n’a eu le courage de protester contre l’abstention de leur amis européens sur le vote au parlement européen concernant l’esclavage, ils sont tous d’accord pour qu’on réprime, quitte même à protester si on ne le fait assez vite et assez fort.

La position du PPM est aussi intéressante à apprécier, surtout après les derniers évènements de la porte du tricentenaire.

Rappelons quand même qu’au début, lors des premières actions des jeunes dans les magasins carrefour pour dénoncer le rôle de la caste békée dans l’empoisonnement au chlordécone, la réaction du PPM était éclairante. Letchimy (président d’une pseudo-commission sur le sujet), s’est démarqué en refusant un combat racial, utilisant l’argumentaire (voir E. de Reynald) assimilant le combat contre le pouvoir de la caste à un combat raciste !

Césaire a certes, à la fin de vie, promu la réconciliation mais jamais la soumission à la caste blanche (comme d’ailleurs pour mémoire que s’il est vrai que Césaire – ou Darsières – ne s’est jamais prononcé pour l’indépendance, il a maintes fois admis cette option, contrairement à la direction progressiste actuelle qui est avant tout pour le maintien sous le joug français).

Mais, il est clair, et nettement depuis 2010, que l’actuel PPM est devenu la structure politique la plus conséquente dans la défense des intérêts de la caste et de la présence française en Martinique. La récente prise de position de ses élus à la CTM sur les 225000 euros à donner à Bally en est une petite illustration.

Il est clair que dès le début le PPM s’est opposé aux actions des jeunes activistes.

En janvier, Laguerre a peut-être pleuré pour sa bonne ville mais le PPM n’a pas dit un mot sur la violation des libertés publiques et des droits des jeunes poursuivis.

Le 22 mai 2020, avant Préfet, ministre et président, les premiers à dénoncer des « actes de vandalisme » de petits voyous étaient Laguerre et Letchimy

Il a fallu le passage en Martinique de l’ex premier ministre Ayrault pour que du coté des oppresseurs et leurs alliés « locaux, il fut admis une évidence : il s’agissait d’actes politiques et non de vandalisme ou de banditisme.

Trahi par ses propres amis, le PPM a tenté de rétropédaler. Théâtralement, Letchimy écrivit à Laguerre pour lui dire de créer une commission mémorielle, ce que s’empressa de faire l’édile de Fort de France.

On ne va pas s’étendre sur l’étrange composition de cette commission et la compétence de sa responsable qui n’a guère brillé à la Région ou à la CFTU.

Cette commission (qui fait des petits et a été saluée par le Préfet) est la marque d’une totale méprise. Croire qu’une commission va régler la question des luttes actuelles est une erreur. En fait, cela rappelle un politicien français qui disait que pour enterrer une idée, il fallait créer une commission. Penser que les jeunes activistes ont besoin de leçons d’histoire est d’une arrogance et d’un mépris complet. Ils demandent à être traité en égal et non comme des élèves dans une cour de récréation.

Il ne faut donc pas s’étonner dans ce contexte du symbole de l’enchainement de Laguerre. Ce dernier a été crié partout qu’il a été agressé. Bref, la chaîne était en plastique. Laguerre n’a pas été enchaîné mais symboliquement, les jeunes lui ont dit une vérité, les chaînes sont dans ta tête.

Que des maires silencieux sur tous les scandales existant en Martinique, complaisant avec les brutalités policières perdent leur temps à se dire solidaires d’un maire qui dénonce une agression inexistante, cela démontre leur utilité social et politique.

Les rodomontades du PPM sur la porte du tricentenaire sont une autre illustration de ce positionnement politique. Allez déterrer Césaire pour s’opposer à une manifestation de jeunes voulant dénoncer un symbole colonial, il faut vraiment que le parti du réservoir de Trénelle n’ait plus grand chose à dire. Tenter de récupérer Khoko (qui n’a jamais été au PPM) et sa fresque que la municipalité a laissé se dégrader n’est pas plus fameux.

Mais à force de menaces (contre qui le PPM voulaient mettre en branle ses troupes ?), le PPM a obtenu ce qu’il voulait, que le Préfet interdise toutes manifestations le 2 août. Et on a vu ce spectacle ahurissant de militaires français (comme un retour à la caserne Galliéni) casqués et bottés occupés le Parc. L’ancien Préfet Terrade a dû rire dans sa tombe.

Quant à son supposé appel au dialogue, de quoi veut discuter le PPM ? : Du scandale du TCSP, de la corruption, des curieuses mises à la retraite à la ville de Fort de France, de la faillite de la ville de Fort de France et la mansuétude de l’état à son égard ?

Le PPM reste une parfaite machine électorale mais sur le plan de l’éthique et de l’avenir, il y a peu à en attendre. Il un des « potomitan » de l’ordre social actuel.

Nul doute que dans 20 ou 30 ans, on se souviendra que des jeunes ont détruit statues et symboles de la colonisation et pas du tout des menaces du Préfet, des rodomontades de Letchimy, des appels de Monplaisir et encore mois des larmoiements de Laguerre.

Contrairement à ce que l’on pense, il y a au moins un précédent à ces actes courageux de ces jeunes activistes. C’est l’épopée de l’OJAM. Le cri de la « Martinique aux Martiniquais » avait aussi ébranlé des certitudes. Ce mouvement avait entraîné un déchainement d’accusations. Le progressiste (mal remis de son compagnonnage avec le gaullisme) titrait sur « le temps des assassins », le préfet et la droite dénonçaient « le complot du mardi gras ».

Tout cela finit par une arrestation générale et une déportation en France. Ce n’est qu’au moment où les responsables de l’OJAM furent logés à la prison de Fresnes que la gauche martiniquaise commença à s’unir pour les défendre.

La leçon à retenir de cela est que l’OJAM est morte dans les geôles coloniales et qu’il faudra attendre 1971 pour que la gauche autonomiste ose un nouvel acte important avec la Convention du Morne Rouge de 1971.

Autrement dit, s’il est vrai que ce mouvement de jeunes n’entre pas dans les cases habituelles de la militance politique, qu’il semble se moquer comme de l’an quarante de savoir qui va diriger la CTM en 2021 ou 2022, qu’il mette en avant le drapeau RVN mais pas clairement le mot d’ordre d’indépendance, que nombre de militants font la fine bouche en se demandant si c’est du lard ou du cochon, qu’il déroute et détonne pour les orthodoxies politiques classiques, que de doctes donneurs de leçons longtemps assoupis les regardent de haut, il a l’avantage d’exister, de poser des questions gênantes, d’ouvrir des espoirs de lutte, de démontrer que le courage n’est pas vain etc….

Il reste qu’il est impératif que les courants indépendantistes radicaux doivent vite ouvrir une perspective politique à cette jeunesse militante pourque leur combat permette des avancées décisives.

R. CONSTANT

Avocat et Militant