« Questcequetudeviens? », en clôture de la Biennale de Danse 2018

Samedi 5 mai 2018 à 20h Tropiques-Atrium

Dans sa dernière création, « Questcequetudeviens? », […]] Aurélien Bory propose un spectacle inventif et brillant qui met en scène la solitude de I’être et la vanité de l’existence. De I’enfance aux années d’apprentissage à la vie active – « on commence a bosser » – à la maturité et à la mort, en 50 min défile le parcours d’une rose rouge comme le flamenco à la vie encore plus brève que celle de Ronsard.

Le caractère anodin de l’interrogation qui sert de titre est renversé en une trajectoire sombre où la gravité naît de la dérision. Tout commence bien. Une jeune fille joyeusement fait des gammes de flamenco sur un espace vaste comme une grande plaine. Vêtue d’une robe rouge traditionnelle, riante, joueuse, elle opère une mue magique lorsqu’elle quitte sa robe – ou que sa robe la quitte – comme une poupée change de panoplie et comme on quitte l’enfance. Sans s’en apercevoir. De son pas lent et de son chant plaintif, Alberto Garcia, incarnation fantomatique du temps qui passe, pousse l’être vers son devenir.

Le guitariste jusqu’ici caché surgit comme le premier compagnon d’une vie. Hilarante glissade en chaise à roulettes sur le parquet flottant d’un appartement lambda, il joue tandis qu’elle s’entraîne à danser avec une professeure invisible. Fini le temps de !’insouciance et des années au grand air, c’est dans un container que I’air commence à s’épuiser, Travail sur I’extérieur / intérieur qui dédouble les sons comme Stéphanie Fuster face à son miroir, la solitude n’est brisée que par les échos de sol. Exit donc José Sanchez expulsé sur sa chaise à roulettes, Voici le troisième acte d’une existence tragique.

L’air, l’eau, le feu, sont les motifs favoris de la fuite baroque. Partie en fumée de son container d’où désormais s’écoule I’eau, Stéphanie Fuster se retrouve à danser dans un immense pédiluve pour ce qui constitue le morceau de bravoure de ce spectacle. Paradoxe ultime, c’est dans cette eau que se perd la grâce de la fluidité. Tour à tour lumineux, morcelé comme les écailles de son reflet, le bassin se mue enfin en un réceptacle d’encre noire où la danse de Fuster se fait plus raide, plus anguleuse, obstinée comme si l’être cherchait à échapper à quelque chose, à l’écraser.

Il s’agirait de la mort que l’on n’en serait pas étonné. Après les pathétiques soubresauts de l’animal qui se débat, Stéphanie Fuster s’allonge dans cette eau noire, et imitée par José Sanchez et Alberto Garcia, offre son visage à la lumière sélénique. Superbe tableau. C’est la jeunesse des interprètes et leur fragilité qui au moment des saluts retourne une dernière fois l’assistance. Ultime éclat d’un spectacle drôle, beau, émouvant où le flamenco est audacieusement décontextualisé et magnifiquement interprété, et duquel on ne se prendra à regretter, comme pour la vie, que la relative brièveté.

Eric Demey

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