Qu’en est-il du «retour protecteur de l’État-providence» en Martinique et Guadeloupe avec la crise du Covid-19  ? 

— Par Jean-Marie Nol, économiste —

En Martinique et en  Guadeloupe, les choses évoluent avec la crise du coronavirus sans qu’on n’y prête attention , car les Antillais  rétifs à se projeter dans l’avenir à l’aide de l’analyse prospective , ne se rendent pas compte que  le pouvoir économique qui a pour objet d’influencer, d’encadrer, de limiter ou de contrôler le jeu des acteurs économiques appartient plus que jamais au premier chef à l’Etat français.

La France consacre 31 % de son PIB aux dépenses sociales publiques, record du monde

En effet, La crise sanitaire consacre le retour de l’État sur la scène non seulement économique et sociale,  mais également politique en Martinique et Guadeloupe . Elle s’est  traduite ces derniers temps depuis l’ère du préfet Gustin en Guadeloupe (le gouverneur dixit certains commentateurs de la vie politique guadeloupéenne) par un dessaisissement du personnel politique local dont la parole est devenue inaudible, et une montée en puissance de l’État ainsi que de la société civile notamment sur la question de l’eau . Sans conteste, cette crise du Covid 19 consacre le retour, d’une certaine manière métamorphosée , de la question de l’évolution du rôle de l’État français  , quelque peu occultée au cours de ces dernières années par un surinvestissement des élus locaux dans le champ des revendications identitaires. Rapportés à l’histoire récente, ils dévoilent du même coup l’ampleur du malaise qui sévit en Martinique et en Guadeloupe sur la gestion des problèmes récurrents de l’île par les élus locaux et l’inadéquation des solutions régulièrement apportées. Le PIB de la Martinique et de la Guadeloupe va chuter et cela va entraîner une redistribution des cartes sur l’échiquier politique . Ce qui est certain , c’est que la dépense publique aura fortement augmenté, propulsant son ratio au PIB de la Martinique et de la Guadeloupe à des niveaux encore jamais vus. Cela sera-t-il cependant représentatif du considérable mouvement d’étatisation qu’aura provoqué le coronavirus ?

Et que devient l’évolution statutaire dans tout cela ? Peu de chose, hélas. Je me répète : en cette matière elle paye, encore et toujours, l’ alignement des martiniquais et guadeloupéens sur le culte de l’État.

Je ne prône aucunement d’adopter un discours de rupture  , qui serait aussi archaïque qu’inefficace. Mais qu’au moins on valorise l’idée qu’on peut servir la solidarité et l’intérêt général en dehors de l’emprise de la sphère publique qui génère de l’assistanat et de la peur de la responsabilité . Ainsi lors du récent sondage de qualistat, l’on peut être surpris du fait que l’évolution statutaire ne représente que 5% parmi les principales préoccupations des guadeloupéens. Tant est si bien que la prévision la plus vraisemblable reste encore une certaine forme de statu quo  ; après une forte secousse du Covid 19 , les choses reprendraient peu à peu leur cours antérieur à savoir un maintien voire un renforcement de la politique d’assimilation en Martinique et Guadeloupe avec la différenciation portée par le gouvernement (cf la loi ordinaire 4D). 

Il faut sans doute porter davantage l’analyse sur le plan de l’autonomie des citoyens, de leur désir et de leur capacité à maîtriser une part plus grande de leurs activités de production comme de consommation en « retirant » celles-ci du giron protecteur de la puissance publique. Mais on se heurte alors frontalement à un  écueil . C’est  le fait qu’une grande partie de la population des Antilles françaises  ne demande pas mieux que de continuer à se laisser materner par un État qui en veut toujours plus en matière de réglementation. La crise du coronavirus consacre le grand retour de l’État, protecteur et stratège, face à un système de décentralisation avec l’érection en Martinique d’une collectivité unique qui aurait failli. 

En période de crise, le citoyen pense que l’État organisateur de notre avenir fait mieux que tout le monde. Les martiniquais et les  guadeloupéens demandent à être protégés non seulement contre la pandémie, mais également contre la crise économique et sociale . Et quoi de plus protecteur que l’État ?

Et tout le monde trouve normal que l’État redevenu tout-puissant impose le blocage de l’économie, pour sauver des vies menacées, et assure en contrepartie les salaires de ceux qui ne peuvent plus travailler et les fins de mois des entreprises et des commerces au bord de la faillite.

La crise redonne à la puissance publique un rôle de premier plan, au prix d’un recul de la visibilité de l’action des acteurs locaux. Mais le grand retour de l’État interventionniste ne s’arrête pas aux frontières françaises, mais s’effectue désormais dans l’ensemble des régions d’outre-mer. 

La crise sanitaire du COVID 19 , d’une violence inouïe, a forcé l’État à intervenir massivement pour sauver des économies ultramarines menacées de faillite. Mais , cela ne se fera pas sans contrepartie politique que ce soit en Martinique où les élus de la CTM ressentiront bientôt le vent du boulet financier , ou en Guadeloupe . L’État veut désormais reprendre la main et entend maintenant  imposer le tempo .

Ce retour de la légitimité de l’intervention de l’État est une surprise après quarante ans de promotion du laisser-faire dans la sphère politique et de discours libéraux sur le plan économique affirmant vouloir limiter l’État à ses fonctions régaliennes. C’était déjà le discours de Jacques Chirac lors du référendum en 2003 et de Nicolas Sarkozy en 2015 à petit bourg. 

Depuis lors, contre toute attente, l’État a pris le virage interventionniste, en palliant les manquements des élus locaux dans des domaines comme le manque d’eau dans les robinets,  ou la gestion défectueuse des collectivités locales et en aidant les entreprises en difficulté avec des aides financières et des  prêts . Une chose semble sûre: plus les déficits publics des collectivités locales explosent,  plus le soutien financier sera important pour maintenir à flot les entreprises, et  plus le poids de l’Etat se fera sentir dans l’économie martiniquaise et guadeloupéenne . 

Nul doute que c’est une autre vision historique de la politique au temps long pour la Martinique et la Guadeloupe qui est en train d’émerger de cette crise du Covid 19  . 

 »  Sa ki an bèk pa ta’w , sa ki an fal sé ta’w «  

(Ce qui est dans ton bec n’est pas à toi, ce qui est dans ton ventre est à toi) 

Moralité : Il faut attendre jusqu’au bout avant de crier victoire…. 

Jean marie Nol économiste