Lilian Thuram : « Pour ne pas avoir conscience qu’il y a un privilège blanc, il faut être blanc »

Synopsis :

Qu’est-ce qu’être blanc ? Plus qu’une couleur de peau, n’est-ce pas plutôt une pensée ? Qui sont ceux qui l’ont inventée, et pourquoi ?

Ce livre raconte l’histoire de la pensée blanche, son origine et son fonctionnement, la manière dont elle divise, comment elle s’est répandue à travers le monde au point d’être aujourd’hui universelle, jusqu’à infuser l’air que l’on respire. Depuis des siècles, la pensée blanche est une norme, la fossilisation de hiérarchies, de schémas de domination, d’habitudes qui nous sont imposées. Elle signifie aux Blancs et aux non-Blancs ce qu’ils doivent être, quelle est leur place. Comme la longue emprise des hommes sur les femmes, elle est profondément ancrée dans nos mentalités et agit au quotidien. Seule sa remise en question permettra d’avancer pour passer à autre chose.

Il ne s’agit pas de culpabiliser ni d’accuser, mais de comprendre les mécanismes à l’œuvre, d’en prendre conscience pour construire de nouvelles solidarités. Le temps n’est-il pas venu d’élargir nos points de vue pour nous considérer tous enfin comme des êtres humains ? 

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Dans son nouveau livre, l’ex-champion du monde de football décrypte le contexte dans lequel les sociétés européennes ont inventé des catégories raciales.

Propos recueillis par Séverine Kodjo-Grandvaux

Noirs et Blancs, la mémoire dans la peau (2/3). Lilian Thuram a pour habitude de dire qu’il est « devenu noir à l’âge de 9 ans » quand on le lui a signifié à son arrivée en métropole, lui qui avait grandi jusque-là en Guadeloupe. De la même manière, avance-t-il dans La Pensée blanche (éd. Philippe Rey), l’« on ne naît pas blanc, on le devient ». Au fond, tout ne serait que question de perspective et de regard.

Dans cet ouvrage didactique très documenté, l’ancien champion du monde de football démontre en s’appuyant sur de nombreux exemples comment, en créant la figure du Noir dans le contexte esclavagiste et colonial, les sociétés européennes ont inventé, par voie de conséquence, celle du Blanc. Idéologie politique qui a divisé l’humanité pour mieux en exploiter une partie, la pensée blanche a ainsi forgé des catégories sociales qui continuent d’opérer dans les représentations et les imaginaires actuels et sont toujours projetées sur les individus, qu’ils soient fraîchement arrivés du continent africain ou français de peau noire depuis des générations. Sans chercher à culpabiliser, Lilian Thuram nous invite à questionner et à déconstruire cet héritage pour lutter efficacement contre le racisme et bâtir un monde en commun.

Vous partez d’un constat simple : on parle facilement de Noirs mais très difficilement de Blancs. Comme si blanc n’était pas une couleur. Comment l’expliquer ?

Lilian Thuram Dans mon livre, je relate cette histoire : j’ai demandé à un ami d’enfance, blanc de quelle couleur j’étais. Il m’a répondu « noir ». C’était une évidence. Je lui ai demandé ensuite de quelle couleur il était, lui. Il m’a répondu : « Je suis normal. » Il n’y a rien de méchant dans ce qu’il m’a dit, mais cela montre à quel point il a été éduqué à se penser comme étant la norme. Or la normalité ne se questionne jamais. En France, la question raciale est vue comme lointaine : soit elle concerne un passé reculé, soit elle est liée à l’apartheid en Afrique du Sud ou à la ségrégation aux Etats-Unis, comme si, au fond, l’Europe n’avait rien à voir avec le racisme.

Qu’est-ce qu’on appelle le « privilège blanc » ?

Quand de très nombreuses personnes sont discriminées pour leur couleur de peau, ne pas l’être relève du privilège. Pour ne pas avoir conscience qu’il y a un privilège blanc, il faut être blanc et ne s’être jamais posé la question. Ceux qui n’acceptent pas cette idée comparent souvent le quotidien d’un Blanc pauvre à celui d’un Noir riche pour dire qu’il n’y a pas de privilège blanc. Mais le problème ne se situe pas à ce niveau. Le privilège blanc est un privilège existentiel, celui de n’être jamais discriminé du fait de sa couleur. On ne se rend pas compte de la violence que c’est que de l’être.

Qui est blanc ?

Etre blanc, comme être noir, n’est pas une réalité, mais une perception : c’est à la fois être désigné comme tel et affirmer qu’on l’est. Aux Etats-Unis, il existait sous la ségrégation le phénomène du passing. Déménageant dans le Nord, des Noirs à la peau claire se faisaient passer pour blancs et devenaient blancs avec les privilèges qui vont avec.

Qu’est-ce alors que la « pensée blanche » ?

C’est cette construction idéologique qui invente…

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