Qu’adviendra-t-il de La Porte du Tricentenaire ?

« Construire, pas détruire », exhorte la ville de Fort de France, après la destruction des statues de Schœlcher, de Joséphine et de d’Esnambuc, et la menace qui pèse sur la Porte du Tricentenaire

Sources : France Antilles, RCI, Zist, People Bò Kay

Une menace

« Aimé Césaire a demandé à Kho Kho René Corail¹ de donner, par une œuvre nouvelle, un autre sens à la Porte du Parc Floral — qui porte son nom désormais — une porte qui célébrait le tricentenaire de l’installation de la France en Martinique. Ainsi a été créée la fresque racontant le génocide amérindien, explique la ville sur son site Mangovea. Cette explication est accompagnée d’une vidéo (visible sur le site Facebook, ainsi que les retransmissions du Cénacle) dans laquelle Zaka Toto, chercheur en histoire, spécialiste en études des nationalismes et identités, regrette que cette démarche de décolonisation d’Aimé Césaire n’ait pas été transmise aux jeunes générations. « Malheureusement, ce qui nous explose au visage, ces derniers jours, c’est que cela a été conçu comme cela, mais cela n’a pas été transmis », déplore le chercheur.

Cette vision d’Aimé Césaire, jusque-là inconnue, s’inscrit dans la réappropriation des symboles sur lesquels la ville de Fort-de-France travaille, en ce moment, dans le cadre d’une Commission mémorielle qu’elle a mise en place, à la suite du déboulonnage de deux statues de Victor Schœlcher par des activistes martiniquais, le 22 mai dernier, jour du 172ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage en Martinique.

Les jeunes activistes réclament la suppression, dans l’espace public, de tous les symboles liés à la colonisation, à l’esclavage et aux négriers. Outre le déboulonnage et la destruction des deux statues de Victor Schoelcher, ils ont détruit dimanche dernier à coups de massue la statue de Joséphine de Beauharnais, native de Martinique, première épouse de Napoléon Bonaparte qui a rétabli l’esclavage en 1802. Ils ont dans la foulée détruit la statue de Pierre Belain d’Esnambuc. Leur prochaine cible, c’est la Porte du Tricentenaire pour laquelle ils ont lancé un ultimamum au maire de Fort-de- France, pour qu’il la dépose, faute de quoi ils ont prévu de la faire disparaître de l’espace public.

« La Porte du Tricentenaire c’est 350 ans de bâti de la ville », rappelle Zaka Toto (…) « Décoloniser, c’est prendre quelque chose et en changer le sens…  c’est ce qui s’est passé avec la Porte du Tricentenaire … Il s’agit de la  symbolique la plus forte  de décolonisation de l’île », explique le chercheur, qui dit encore que la Porte « a été faite en 1935 pour célébrer les 300 ans de la colonisation de la Martinique et l’arrivée de Belain d’Esnambuc  en Martinique… En faisant d’abord le “reniage” à l’intérieur du lieu, Aimé Césaire en a changé la fonction ».

D’après Polly Miette, le 28 juillet 2020

L’ultimatum, tel que rapporté par RCI

« Cette porte dite du tricentenaire a été construite à l’occasion de la célébration des 300 ans de la prise de possession et du début de la colonisation de la Martinique par Pierre Belain d’Esnambuc (1635). Après avoir détruit la statue du dernier nommé sur la Savane de Fort-de-France, les activistes ont, au cours de leur tour en ville en traînant la tête de Pierre Belain d’Esnambuc, découvert cette porte massive. Après réflexion, ils ont posé un ultimatum au maire de Fort-de-France, Didier Laguerre. Ils demandent à ce dernier de détruire la porte avant dimanche prochain, sinon ils la détruiront eux-mêmes.

Drapeaux à la main, rassemblés devant la porte, les activistes ont donné rendez-vous à la population à 9 h 30 dimanche prochain. C’est la jeune Alexane Ozier-Lafontainne, 20 ans, membre du groupe d’activistes et particulièrement active sur les réseaux sociaux, qui a prononcé le message de mise en demeure au premier magistrat de Fort-de-France. Les activistes estiment que cette porte symbolise le commencement du massacre des Améridiens qui peuplaient la Martinique, et de la mise en esclavage des Noirs en Martinique.

Cette annonce inquiète à nouveau dans le milieu de la recherche historique. Car autour de cette porte, l’artiste  KhôKhô René Corail a dessiné une fresque représentant les Amérindiens combattant la colonisation. La commande avait été passée par Césaire au début des années 80. Il avait laissé carte blanche au plasticien ».

 

Une réponse

Dans la conférence de presse qu’il a organisée ce lundi 27 juillet 2020 à son bureau, Didier Laguerre, maire de Fort-de-France, a tout d’abord rappelé avoir « mis en place un processus démocratique de consultation à travers une commission », et expliqué qu’il faut la laisser travailler et faire des propositions quant au devenir des statues. « Certaines propositions sont déjà sorties puisque ce mardi, le conseil municipal devait adopter la dépose de la statue de d’Esnambuc et la renomination de la rue Galliéni », a précisé le premier magistrat de Fort-de-France, avant de déplorer « que certains préfèrent passer à l’acte directement et ne respectent pas le processus démocratique qu’il y a lieu de suivre dans ce cas ».

Didier Laguerre a poursuivi avec le message vidéo dans lequel des militants RVN exigent que le maire de Fort-de-France détruise la Porte du tricentenaire, qui servait autrefois d’entrée au Parc Culturel Aimé-Césaire… Il a rappelé qu’il s’agit là du patrimoine municipal : « Il est hors de question que la Ville démonte ou démolisse ce patrimoine. Il est aussi hors de question que la Ville se soumette à un quelconque ultimatum. Nous prendrons les mesures qui s’imposent pour protéger ce patrimoine municipal, dimanche matin ». Il a rappelé aussi que « cette porte a été traitée en son temps, puisqu’elle ne sert plus d’entrée au parc Aimé-Césaire », et qu’elle pourra faire à nouveau l’objet de débats pour son nouveau traitement. « Je ne suis pas en colère, je suis plutôt triste de voir que nous avons du mal entre Martiniquais à traiter le problème par le débat, par l’échange, par la discussion. Triste que nous allions vers une situation qui se rapproche du chaos et du désordre et qui, au final, risque de dresser des Martiniquais contre des Martiniquais ».

Fort des soutiens des autres maires, le maire de Fort-de-France salue les communes qui « comme le Prêcheur et Trinité ont déjà engagé une démarche mémorielle ». Il ajoute : « Je souhaite vraiment, — et je proposerai à l’association des maires de se saisir de ces questions et de ces problématiques —  que nous ayons une réflexion sur l’ensemble de la Martinique. Cessons de faire croire qu’il n’y a de symboles coloniaux que sur Fort-de-France… L’État doit aussi prendre ses responsabilités. Chacun doit prendre et assumer ses responsabilités. Moi je les prends et les assume en tant que maire. Je peux entendre l’impatience de certains, car ce n’est pas d’aujourd’hui que se posent ces problématiques mémorielles, mais cela fait également longtemps que ce travail a démarré sur Fort-de-France. Je rappelle qu’il y a une place du 22-Mé qui date de 1972, qu’il y a une statue de la Liberté réalisée pour répondre à l’idée d’une liberté donnée, il y a des fresques et monuments, il y a des rues qui ont été débaptisées… Preuves du travail entamé par la municipalité depuis de très nombreuses années. C’est un travail qu’il faut poursuivre collectivement, dans le débat, en y associant des experts, des historiens mais aussi les Martiniquais, d’où la mise en place de cette commission ».

 

Pour mieux être informé : Entre autres choses, l’histoire de la Porte est relatée dans ZIST. Voici juste le début de l’article:

En 1935, l’Empire colonial français célèbre l’anniversaire de sa conquête coloniale dans la Caraïbe, c’est le Tricentenaire aux Antilles. Une série d’évènements sont organisés à Paris, mais aussi dans les colonies appelées vieilles “colonies”. Une délégation créée pour l’occasion avec à sa tête Albert Sarraut, homme d’état français, ancien Premier Ministre sous la IIIe République, va entamer une croisière pour visiter tous ces petits bouts de France…

 

Sur Facebook, à voir sur le site Mangovea : De superbes photos lors de la célébration de l’anniversaire de la mort d’Aimé Césaire 

Le texte suivant présente les photographies : « Voici la preuve que la fresque de Kho Kho René-Corail a été valorisée par la ville de Fort-de-France.

Ici, quelques photos de l’extraordinaire mise en lumière de cette œuvre magistrale par le Sermac à l’occasion de la commémoration des dix ans de la mort d’Aimé Césaire. Faire croire que « la ville ne fait rien » est pour le moins mensonger.

Faire croire que le Sermac ne perpétue pas la volonté culturelle d’Aimé Césaire est faux.

Le Parc culturel Aimé Césaire reste un lieu de transmission de la culture martiniquaise, et cette porte fermée est révélatrice de cette volonté de raconter l’histoire avec notre plume, avec la créativité de l’expression artistique martiniquaise, notamment de Kho Kho René Corail ».


1. Kho Kho René-Corail : Joseph Sainte-Croix René-Corail, dit Khokho René-Corail, artiste engagé, est né le 14 septembre 1932 à Beaufond, dans la campagne des Trois-Îlets en Martinique, et mort dans cette même ville le 13 février 1998. Il fut en 1962, l’un des auteurs du Manifeste de l’OJAM.